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« Vous avez trois mois pour trouver les moyens d’équilibrer les régimes de retraite français pour 2027 sans toucher aux cotisations, aux prestations et à l’âge de la retraite ». Cela pourrait être la bande-annonce du prochain « Mission Impossible » avec Tom Cruise dans le rôle principal. La Conférence de financement qui a commencé le 30 janvier 2020 a, en effet, pour objectif de trouver des solutions autres que les mesures d’âge pour assurer l’équilibre du régime des retraites en 2027, le besoin de financement étant évalué à 12 milliards d’euros par le Conseil d’Orientation des Retraites au mois de novembre dernier.
Les partenaires sociaux et le Gouvernement doivent établir les pistes possibles de financement sachant que les points de divergences entre les parties prenantes sont importants. L’équation à résoudre est difficile car plusieurs paramètres sont, dès le départ, bloqués. Ainsi, cette conférence est censée se conclure sur une augmentation des cotisations ou sur une baisse des pensions. La tentation sera grande de jouer au bonneteau et de déporter le problème du financement.
La Conférence de financement a été convoquée afin d’éviter l’application de l’âge pivot à 64 ans qui était assorti d’un système bonus/malus très à la mode en finances publiques. Ce dispositif a été sorti du projet de loi portant réforme des retraites mais il en hante les couloirs. Le texte est élaboré autour de la notion d’âge d’équilibre duquel est tiré l’âge pivot. Il est prévu que l’âge d’équilibre évolue en fonction de l’espérance de vie avec un partage selon les règles des tiers : deux tiers pour le travail et un tiers pour la retraite ; partage qui prévalait de 2003 à 2014 pour le calcul de la durée de cotisation.
Le Gouvernement a donné trois mois aux partenaires sociaux pour trouver 12 milliards d’euros faute de quoi il a la possibilité de reprendre la main et d’appliquer l’âge pivot. La feuille de route est assez simple. Il est a priori interdit de toucher à l’âge légal de départ à la retraite, aux cotisations et aux prestations. Le Président de la République s’est engagé lors de sa campagne électorale en 2017 à ne pas modifier l’âge légal qui est fixé à 62 ans. La France est un des pays où l’âge légal est le plus faible au sein de l’OCDE. Il est en moyenne de 65 ans. Certes, cet âge précoce est atténué par nombre de trimestres cotisés ou validés qui, avec 43 ans pour les générations postérieures à 1973, est l’une des plus longues de l’OCDE. Le report de l’âge légal est la mesure la plus rentable. Le passage à 65 ans occasionnerait un gain de 30 milliards d’euros.
L’augmentation des cotisations est rejetée par les pouvoirs publics et le patronat au nom du juste partage des charges entre les générations et afin de ne pas peser sur le coût du travail et donc l’emploi. Par ailleurs, un relèvement des charges pourrait aboutir à réduire le pouvoir d’achat des actifs ce qui pénaliserait la demande intérieure.
La diminution des pensions a été écartée d’office. Le précédent de la hausse de la CSG au début du quinquennat a laissé des traces.
Les syndicats sont assez hostiles à lier réforme des retraites et retour de l’équilibre. Ils estiment que le déséquilibre diagnostiqué par le Conseil d’Orientation des Retraites est avant tout la conséquence de la politique de recrutement de l’État. La CFDT juge par ailleurs que l’équilibre ne devrait pas être évalué en 2027 mais en 2032, 10 ans après l’entrée en vigueur de la réforme.
La Caisse d’Amortissement de la Dette Sociale (CADES), destinée à financer le remboursement de la dette accumulée des régimes sociaux, bénéficie comme ressources de la Contribution au Remboursement de la Dette Sociale (créée en 1996), d’un pourcentage de la CSG et de versements provenant du Fonds de Réserve des Retraites (depuis 2010).
Logiquement, la CADES devait disparaître, comme la CRDS, en 2009. En 1997, la durée de la CADES a été prorogée jusqu’en 2014. En 2004, le Gouvernement décide que la CADES ne disparaîtra qu’au moment de la disparition de la dette sociale. Le Gouvernement d’Édouard Philippe a estimé que l’extinction de la dette pourrait intervenir en 2024. Néanmoins, une partie de la dette de la Sécurité sociale n’a pas été transférée à la CADES et se trouve dans les comptes de l’ACOSS. Par ailleurs, le retour de la Sécurité Sociale à l’équilibre reste hypothétique. Enfin, la CRDS a déjà été préemptée pour financer la montée en puissance des dépenses de dépendance.
En 2018, les apports de la CRDS et de la CSG à la CADES ont porté sur 15 milliards d’euros et ceux du Fonds de Réserve des Retraites sur 2,1 milliards d’euros.
La France, championne des prélèvements obligatoires, peut compter sur une longue liste de cotisations, taxes et impôts en tout genre. En jouant sur leur affectation, il est certainement imaginable de dégager 12 milliards d’euros pour le régime vieillesse. La première piste serait de transférer la contribution des entreprises au Fonds National d’Aide au Logement (FNAL) qui s’élève à 2,6 milliards d’euros en 2020. Le FNAL finance les allocations logement. Par ailleurs, il faudrait, certainement via l’impôt ou une nouvelle taxe, trouver de nouvelles recettes.
Dans le cadre du futur système de retraite, la cotisation de 28,12 % se décompose en une cotisation de 25,31 % contributrice de droits et une cotisation de solidarité de 2,81 %. La première s’applique jusqu’à trois fois le plafond annuel de la Sécurité sociale, la seconde s’applique sans plafond. Certains syndicats souhaitent augmenter cette cotisation pour les actifs gagnant au-delà de trois fois le plafond annuel (120 000 euros par an).
L’amélioration de la situation de l’emploi est une bonne nouvelle. L’augmentation du nombre d’emplois est une source de cotisations. Par ailleurs, une baisse du chômage pourrait permettre d’affecter une partie des ressources du régime d’indemnisation chômage (essentiellement de la CSG) au régime de retraite. Cette piste avait déjà été évoquée sous François Hollande mais n’avait pas eu de suites en raison de la progression du chômage. Cette solution qui a l’avantage d’être indolore demeure cependant fragile et soumise à l’aléa de la conjoncture.
Pour retarder l’âge de départ à la retraite, sans en revenir à l’âge pivot, les négociateurs pourraient réinstituer une durée de cotisation pour une période transitoire. Cette durée qui est actuellement de 41 ans et trois trimestres (générations 1958 à 1960) est censée passer à 43 ans pour les générations nées après 1972. Une accélération de l’allongement de la durée de cotisation pourrait être imaginée d’ici 2027 avec, par exemple, une application des 43 ans pour les générations nées après 1964.
Pour afficher un équilibre dès 2022, l’État pourrait être
contraint de verser une soulte. Le taux de cotisation fictif de l’État (taux
reconstitué par le Conseil d’Orientation des Retraites qui permet l’équilibre
de la retraite des fonctionnaires) est de 74 %. Dans le nouveau système,
le taux sera de 28,12 %. Même, en prenant les cotisations sur les primes
et les compensations à certaines catégories d’agents publics, l’État devrait
être, à terme, gagnant. Afin d’amortir le coût du transfert des retraités des
fonctions publiques dans le système du régime universel, l’État pourrait ainsi
verser une compensation.
Pour aboutir à l’équilibre, le Gouvernement pourrait être tenté de demander aux différentes caisses de retraite d’affecter une partie de leurs réserves à un fonds d’équilibre. Pourrait également y figurer le montant des actifs du Fonds de Réserve des Retraites (FRR) qui s’élevait à 32,7 milliards mi-2019. Ce dernier devrait diminuer du fait du versement annuel de 2,1 milliards d’euros à la CADES, et des 4,9 milliards d’euros à rendre à terme au régime des industries électriques et gazières. Ainsi, moins de 17 milliards d’euros sont mobilisables. Selon le rapport du Conseil d’Orientation des Retraites du mois de novembre 2019, la situation patrimoniale nette du système de retraite était de 127,4 milliards d’euros. Ce fonds pourrait apporter d’ici 2027 au minimum 5 milliards d’euros de revenus annuels sans toucher au capital. Évidemment, cela supposerait que les caisses acceptent de s’en délester, ce qui est peu probable.
Les partenaires sociaux et les pouvoirs publics pourraient dégager des économies sur des prestations accessoires aux pensions. La réversion, les majorations pour enfants, etc., sont des pistes dont certaines sont très sensibles.
Cette piste ne devrait pas être abordée. Elle viserait à lier le montant des pensions à un coefficient d’espérance de vie comme cela est le cas en Italie ou en Suède. Il serait possible de lier ce coefficient avec la pénibilité afin de personnaliser en fonction des carrières professionnelles le montant des pensions. Les salariés ayant occupé des emplois pénibles se verraient appliquer un coefficient majorant leur pension. Le principe serait l’application d’un paramètre actuariel dans le système de retraite actuel. Une telle intégration offrirait l’avantage de permettre une réelle retraite à la carte et de s’affranchir des questions d’âge.
La résolution de l’équation du retour à l’équilibre à paramètres fermés devrait aboutir à l’adoption d’un cocktail associant plusieurs solutions permettant aux parties prenantes de ne pas perdre totalement la face. Le concept d’âge d’équilibre, au cœur du projet de loi du Gouvernement, sera sans doute traduit sous une nouvelle forme pour être présent tout en étant moins visible. Par ailleurs, il est envisageable que le patronat accepte in fine une légère augmentation des cotisations dans le cadre du cocktail précité.
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