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Les cryptomonnaies, mirage ou eldorado ?

Economie 10 décembre 2020

Le cours du bitcoin avoisine actuellement les 20 000 dollars sur les plateformes qui permettent d’en acheter. La flambée actuelle de la reine des cryptomonnaies diffère de celles de 2017, qui avait permis au bitcoin d’atteindre les 19 500 dollars le 18 décembre 2017 avant de voir son cours chuter.

Le Bitcoin attire aujourd’hui davantage des investisseurs de long terme, comme des banques privées et des family offices, qu’en 2017. L’achat de bitcoins par des investisseurs institutionnels se développe. Le trust américain Grayscale, qui est connue pour ses achats de bitcoins pour de multiples investisseurs institutionnels, a ainsi annoncé mi-novembre 2020 qu’il gérait plus de 10 milliards de cryptomonnaies pour le compte de ses clients.

Des analystes de banques d’investissement comme JPMorgan comparent actuellement le bitcoin à l’or. Ces deux actifs n’existent qu’en quantité limitée et ne sont pas un moyen de paiement pratique. Le bitcoin représente en volume actuellement 3 % du marché mondial de l’or.

L’Iran pourrait développer son utilisation du Bitcoin pour tenter de contourner les sanctions américaines. Pour contrecarrer l’essor des cryptomonnaies privées, les banques centrales travaillent à la mise en œuvre également de monnaies électroniques.

Le bitcoin est actuellement la cryptomonnaie la plus importante et la plus connue du monde

Dans son livre « Un privilège exorbitant » publié en 2010, l’économiste Barry Eichengreen explique que le dollar, qui correspondait fin 2017 à la monnaie d’environ 63 % des avoirs des banques centrales et de 85 % des transactions sur le marché des changes, reste nettement la devise la plus importante du monde en raison de l’absence de véritable rival. Cet ouvrage a été publié un an après la création du Bitcoin à un moment ou les cryptomonnaies étaient confidentielles. Il existe aujourd’hui plus de 1 500 cryptomonnaies comme le Bitcoin, l’Ethereum ou le Litecoin. Mais leur niveau de liquidité diverge fortement. En effet, certaines cryptomonnaies sont peu liquides, la preuve en est qu’il est nécessaire pour nombre d’entre elles d’être converties en cryptomonnaies liquides, comme le Bitcoin, pour pouvoir ensuite obtenir des euros ou des dollars.

Avec une capitalisation actuelle du bitcoin d’environ 300 milliards d’euros, le bitcoin est la plus importante et la plus connue des cryptomonnaies. D’après une étude de l’université de Cambridge parue fin septembre 2020, il y a plus de 100 millions d’utilisateurs du Bitcoin dans le monde. Environ 18,5 millions de bitcoins sont actuellement en circulation. Le nombre de bitcoins en circulation est plafonné à 21 millions. Le fait que la masse monétaire soit prédéterminée est un distinguo important par rapport aux devises classiques ; la fluctuation de leur masse monétaire étant un outil important des politiques monétaires des banques centrales.

En octobre 2020, la décision de PayPal de permettre à ses utilisateurs américains d’utiliser le Bitcoin a engendré un envol du cours du Bitcoin. Les utilisateurs américains peuvent dorénavant acheter, conserver ou vendre des cryptomonnaies via PayPal. Dès début 2021, les 350 millions de clients PayPal pourront potentiellement utiliser leurs cryptomonnaies comme une source de paiement auprès des 26 millions de commerçants du réseau PayPal.

La monnaie numérique de Facebook devrait être lancée début 2021

La monnaie numérique de Facebook, qui se dénommait initialement le Libra, devrait être lancée en janvier 2021 dans une version limitée. Elle ne devrait être au départ qu’un jeton virtuel adossé au dollar et non pas un panier de devises comme initialement programmé. Le projet est dirigé par une association dont le siège est en Suisse. Le fonds souverain de Singapour Temasek a rejoint le projet.

L’association Libra a annoncé le 1er décembre 2020 le changement de nom de l’association et de la cryptomonnaie au cœur de son projet. L’association Libra devient l’association Diem et la cryptomonnaie le Diem.

Le Diem permettra au départ de payer les services de membres de l’association Libra comme Uber, Spotify ou Iliad. Le Libra sera donc loin d’être un système monétaire alternatif. Il sera aussi possible d’utiliser cette cryptomonnaie via les différentes plateformes du groupe Facebook.

Depuis un an et demi, le projet de Facebook fait l’objet d’importantes pressions de la part des pouvoirs publics qui craignent notamment que le Diem contribue au blanchiment d’argent, à l’évasion fiscale ou au financement du terrorisme. Ces craintes et ces pressions ont conduit PayPal, Visa, MasterCard, eBay et Stripe à se retirer du projet en octobre 2019.

Le lancement du Diem début 2021 reste toutefois suspendu à l’obtention d’un feu vert de la Finma, l’autorité fédérale suisse de surveillance des marchés financiers.

Les monnaies électroniques de banque centrale permettent l’affirmation de la souveraineté

La Banque des règlements internationaux (BRI) a révélé dans une étude de janvier 2020 que 80 % des banques centrales développent une Monnaie Numérique de Banque Centrale (MNBC) et que 10 % réalisent déjà des tests pilotes. Ces projets numériques diffèrent des cryptomonnaies classiques étant donné que leur diffusion est contrôlée par des banques centrales.

Le gouverneur de la banque d’Angleterre Mark Carney a soutenu en août 2019 à Jackson Hole qu’une cryptomonnaie soutenue par plusieurs nations « peut-être à travers d’un réseau de devises digitales de banques centrales » pourrait supplanter à terme le dollar.

Selon le Fonds monétaire international, l’une des principales raisons pour lesquelles les économies avancées se dirigent vers des monnaies numériques contrôlées par les banques centrales est de contrer la croissance des formes privées de monnaie numérique.

En Europe, la Suède a commencé à tester une monnaie numérique en février 2020 et la Banque de France mène depuis juillet 2020 des expérimentations de monnaie digitale dans les règlements interbancaires avec les acteurs de l’industrie financière.

La BCE a lancé en octobre 2020 une vaste consultation pour déterminer les caractéristiques d’un possible futur euro numérique. Depuis le 12 octobre, des « citoyens, le monde universitaire, le secteur financier et les autorités publiques » sont ainsi sondés sur le sujet. Cette consultation prendra fin mi-janvier 2021. Des expérimentations seront ensuite menées pendant 6 mois avant une décision quant au lancement de l’euro numérique vers la mi-2021. La mise en œuvre potentielle devrait par la suite prendre « entre 18 mois et jusqu’à 3 ou 4 années ».

L’euro digital serait un autre moyen d’émission de l’euro. Il se développerait en parallèle des pièces et billets, qui n’ont pas vocation à être supprimés, mais qui sont en légère perte de vitesse. Les paiements en espèces ont représenté 73 % des transactions effectuées dans la zone euro en 2019 contre 79 % en 2016.

La BCE a assuré que ce système serait sans risque pour les citoyens. L’euro numérique pourrait reposer sur la blockchain, qui est déjà utilisée par beaucoup de cryptomonnaies. La blockchain est un grand livre des comptes incorruptible qui peut potentiellement être utilisé par tous les détenteurs d’ordinateurs. Toutes les lignes sur ce livre de comptes informatique sont consultables par tous. Il est impossible de supprimer une ligne. À chaque transaction d’un titre de propriété, tous les ordinateurs participant au réseau font des calculs aléatoires et le premier mineur à valider la transaction la place dans un bloc de données cryptées qu’il ajoute à la chaîne des blocs précédents. Il est quasiment impossible pour une personne malveillante de pirater le livre, car il n’est pas possible de modifier un bloc au sein de la chaîne sans refaire tous les calculs nécessaires à la validation.

Pour pallier le risque de fuite massive des épargnants vers cette nouvelle forme de monnaie, la BCE pourrait proposer de limiter le nombre d’euros numériques en circulation. Les dépôts en monnaie numérique pourraient aussi être concernés par le taux négatif de (-0,5 %) actuellement en vigueur.

La Chine teste quant à elle depuis mai 2020 sa monnaie numérique de banque centrale à Shenzhen et dans trois autres villes. Le nom provisoire de cette devise est la Digital Currency Electronic Payment (DCEP). Ce yuan digital pourrait fournir en données le système de crédit social établi par le gouvernement chinois. À l’heure actuelle, plus de 85 % des transactions sont dématérialisées en Chine selon le Center for Strategic and International Studies. Les modes de paiement numériques sont contrôlés par des acteurs privés comme Tencent et Alibaba qui contrôlent respectivement WechatPay et Alipay.

Le Japon a aussi annoncé le 19 novembre 2020 qu’il allait entamer en 2021 une expérimentation de sa propre cryptomonnaie. Une trentaine d’entreprises sont impliquées dans ce projet de Central bank digital currency. Au Japon, les paiements numériques ne représentent qu’environ 20 % des paiements.

La nécessité d’une régulation pour limiter les dérives des cryptomonnaies

Les cryptomonnaies sont à l’origine d’importantes arnaques. L’anonymat de certaines cryptomonnaies encourage de nombreux criminels, voire des terroristes, à y avoir recours pour financer certaines de leurs activités. Les cryptomonnaies offrent aussi des possibilités en matière de blanchiment et d’évasion fiscale. Ces phénomènes ont conduit la Corée du Sud à interdire les cryptomonnaies anonymes (comme Monero ou Dash) à partir de mars 2021.

Comme le souligne Le Monde dans le cadre des révélations sur son enquête avec un consortium international de journalistes (dirigé par le quotidien suédois Dagens Nyheter et le réseau de journalistes Organized Crime and Corruption Reporting Project), une opération commune d’enquêteurs français, belges et israéliens encadrée par Eurojust a permis de démanteler à la fin du mois de janvier 2020 une importante escroquerie internationale de faux placements en bitcoins. Cette escroquerie a fait 85 victimes en France et en Belgique pour un préjudice total de 6 millions d’euros. D’après des chiffres communiqués par le régulateur britannique, la Financial Conduct Authority (FCA) et Action Fraud, 81 % des arnaques et escroqueries sur les devises ont concerné les cryptomonnaies entre le premier trimestre de 2018 et 2019.

Les fraudes liées aux cryptomonnaies ont entraîné des évolutions juridiques en France. Depuis la loi Sapin 2 de 2016, la publicité pour de nombreux produits à risque est interdite en France. Les courtiers en ligne sur les options binaires, les CFDs ou le Forex sont ainsi interdits de publicité. L’Autorité des marchés financiers (AMF) a jugé en 2018 que l’offre de dérivés sur les cryptomonnaies nécessite un agrément. Dès lors, la loi Sapin 2 concerne ce type de produits, qui ne peuvent faire l’objet d’une publicité par voie électronique.

La loi Pacte de mai 2019 a aussi fait évoluer le régime juridique pour les cryptomonnaies. L’AMF est dorénavant compétente pour délivrer un visa optionnel pour une levée de fonds en cryptomonnaie. Ce visa est nécessaire pour permettre de démarcher le grand public lors de levées de fonds. Afin d’obtenir ce type de visa, l’émetteur doit notamment réaliser un document d’information complet et compréhensible pour les investisseurs.

Par ailleurs, la Commission européenne travaille sur un projet de régulation européenne sur la blockchain et les cryptomonnaies. L’un des objets de ce texte sera de proposer un cadre harmonisé pour les différents États membres de l’Union européenne.

Enfin, la cinquième directive européenne contre le blanchiment d’argent est entrée en vigueur pour les États membres le 10 janvier 2020. Elle a été transposée en droit interne français par une ordonnance du 12 février 2020. Grâce à cette directive, la réglementation européenne en matière de lutte contre blanchiment et le financement du terrorisme est désormais applicable aux prestataires de services d’achat-vente de cryptomonnaies.

Conclusion

Même si les fondements de la flambée en 2020 des cours du bitcoin semblent plus solides que pour celle de 2017, les risques engendrés par cette nouvelle forme de monnaie restent nombreux. L’anonymat qui caractérise de nombreuses cryptomonnaies incite certains acteurs à utiliser ces dernières dans le cadre d’activités illégales.

La montée en puissance des cryptomonnaies, tant d’initiative privée que publique, est toutefois inexorable.

Le développement probable de l’euro digital par la BCE sera intéressant à suivre. Cette monnaie numérique devra répondre à de forts impératifs de sécurité. L’euro numérique devra aussi être bien moins volatil qu’une cryptomonnaie classique.

Dans le passé, la cohabitation de plusieurs monnaies a toujours été un exercice délicat. Avec les changes flottants, les monnaies évoluent en fonction de l’offre et de la demande en prenant en compte la vitesse de circulation. Les politiques expansionnistes ont mis fin aux thèses monétaristes en vertu desquelles l’augmentation de la masse monétaire était affichée par la banque centrale sur moyenne période en retenant des critères de prix et implicitement de croissance. La multiplication de la base monétaire par vingt en moins de vingt ans pourrait avoir à terme des conséquences sur la valeur des monnaies. La création des monnaies digitales reposant sur les techniques de blockchain pourrait apparaître pour les banques centrales comme un moyen de reprendre la main sur la création monétaire qui appartient, de fait, désormais aux administrations.

A lire dans le Mensuel n°80 de décembre 2020

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