Accueil > Actualités > Retraite > 2022 >
Depuis 1993, la réforme des retraites est un sujet qui s’invite régulièrement dans le débat public et l’enflamme. Si la prévision de Michel Rocard, exprimée en 1991, lors de la sortie du Livre Blanc sur les retraites ne s’est pas réalisée – « Il y a de quoi faire tomber cinq ou six gouvernements dans les prochaines années » – elle soulignait la difficulté à mener sereinement en France une réforme sur ce sujet. Si les Français sont conscients de l’évolution de la démographie, des contraintes financières qui pèsent sur les régimes de retraite, ils sont profondément opposés à tout nouveau recul de l’âge légal. Plus les Français se rapprochent de l’âge légal, plus leur opposition croît. Ces derniers n’entendent pas se conformer à la tendance en cours au sein des autres pays de l’OCDE. Les comparaisons étrangères ne sauraient dicter la pratique en matière de protection sociale en deçà des frontières, même si les problèmes sont identiques… La préservation de l’âge légal n’est pas sans lien avec la défiance qui persiste à l’encontre du système capitaliste. La fin de l’idéal marxiste a laissé plus de traces en France que dans les autres pays. Le rêve d’un « autre monde » est partagé par une part non négligeable de la population comme l’a souligné la dernière élection présidentielle.
Les réalités démographiques ont peu de prise sur le débat public. Pourtant, dans moins de 20 ans, la France comptera 50 seniors (de 65 ans et plus) pour 100 personnes de 20 à 64 ans, contre seulement 38 aujourd’hui. En 2070, ce ratio passera à 57 seniors pour 100 personnes de 20 à 64 ans. D’ici 2040 la part des seniors devrait augmenter de 33 % par rapport à la population des 20-64 ans. Le nombre de retraités qui était de 5 millions en 1981 est, en 2020, de près de 17 millions. Il atteindra 23 millions d’ici 2070.
Dans les enquêtes d’opinion, dont celles réalisées par le Cercle de l’Épargne et Amphitéa, les Français sont opposés à tout report de l’âge de départ à la retraite. La barre des 60 ans demeure toujours un symbole, 12 ans après sa suppression. Tout report est vécu comme un recul du progrès social. Le 11 avril 2022, le journaliste de BFM TV, Bruce Toussaint soulignait que l’espérance de vie en bonne santé en France est de 64 ans, rendant inacceptable le report de l’âge de la retraite à 65 ans. Cet argument est celui de la France Insoumise que le député Adrien Quatennens défend avec vigueur. Il est aussi, en partie, celui du Rassemblement national.
Placer le curseur de la retraite à 64 ou à 65 ans reviendrait ainsi à priver les Français d’une retraite en bonne santé. L’indicateur de santé publique qui a émergé au début des années 2000 mesure le nombre d’années que peut espérer vivre une personne sans être limitée dans ses activités quotidiennes par un problème de santé. Il est également appelé « espérance de vie sans incapacité ».
Ces indicateurs sont plus complexes à bâtir que la simple espérance de vie qui est de nature statistique. Les indicateurs d’espérance de vie en bonne santé sont en partie subjectifs. Ils peuvent être calculés par la méthode de Sullivan qui associe les données de mortalité avec les prévalences de certaines pathologies. L’autre méthode de calcul retient l’état fonctionnel, le niveau d’incapacité des assurés. Cette dernière solution est utilisée au niveau européen pour calculer l’espérance de vie sans incapacité. Il prend en compte les problèmes de handicap et la qualité de vie.
Concrètement, l’espérance de vie en bonne santé se calcule à partir des données exhaustives de mortalité d’un pays, par sexe et par âge. Selon les calculs d’Eurostat, l’espérance de vie sans incapacité était, en France, en 2020 de 65,9 ans pour les femmes et de 64,4 ans pour les hommes. L’espérance de vie en bonne santé à 65 ans se situait, en 2019, à 10,3 ans, au-dessus de la moyenne de l’Union européenne. Depuis 2004, les femmes ont gagné 1,7 an d’années de bonne santé en moyenne, et les hommes 2,9.
Dans les systèmes de retraite par répartition, les curseurs d’ajustement sont simples, le nombre d’emplois, le niveau de cotisation, l’âge de départ, le montant de la pension. Il est possible d’affecter les cotisants en les obligeant à travailler plus longtemps ou à acquitter des cotisations plus élevées. L’autre moyen au niveau des recettes est d’améliorer le taux d’emploi, des jeunes aux séniors. Il est enfin possible de faire peser l’effort sur les retraités en sous-indexant leurs pensions ou en modifiant les règles de calcul des pensions (pour les nouveaux de retraités). Dans le passé, les gouvernements ont usé de tous les curseurs. Évidemment, il serait possible de dépenser plus pour les retraites. Or, la France est, avec l’Italie, l’un des pays qui consacrent l’effort le plus important en faveur des retraités, 14 % du PIB. Une augmentation de ce poids s’effectuerait au détriment des actifs, et donc de la compétitivité de l’économie.
Face au blocage sur le recul de l’âge de départ à la retraite, certains proposent d’autres outils.
Tout en conservant l’âge légal à 62 ans, sur le modèle retenu par l’AGIRC/ARRCO, un bonus/malus fortement incitatif pourrait être institué. Pour les assurés n’ayant pas un nombre de trimestres de cotisation majoré de 4 ou de 8 trimestres, un malus pourrait être appliqué sur leur pension du régime de base durant trois ou quatre ans. A contrario, ceux qui retarderaient leur départ à la retraite, pourraient bénéficier d’un bonus accru par rapport au système actuel.
Une autre voie consisterait à engager une réforme systémique en passant au système notionnel, le montant de la pension étant déterminé en fonction de l’espérance de vie. Ce système est en vigueur dans plusieurs pays européens dont la Suède ou l’Italie.
L’allongement de la durée de cotisation qui sera de 43 ans pour les générations nées après 1973 serait également une solution. Dans les faits, elle aboutit à un report de l’âge de départ ou à une baisse des pensions. La France se caractérise par un âge légal faible (62 ans) et une durée de cotisation longue. Les marges de manœuvre en la matière sont faibles.
La question des retraites est un débat passionnel, les arguments rationnels n’ayant pas toujours voix au chapitre. Si les Français tiennent au pouvoir d’achat des retraités, ce sujet étant un des plus sensibles à leurs yeux, ils ne sont cependant pas prêts à faire des concessions. L’idée qu’il n’y a pas de limites au financement public n’est pas sans lien avec ce déni de réalité.
A lire dans le Mensuel de l’Épargne de la Retraite et de la Prévoyance de mai 2022
contact@cercledelepargne.com