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Faut-il verdir l’épargne ?

Epargne 10 novembre 2020

Les épargnants, leur cassette et la covid-19

Avec le deuxième confinement annoncé le 28 octobre 2020, les Français seront, sans nul doute, amenés à épargner par défaut, de manière subie ou contrainte. À défaut de pouvoir consommer, ils épargneront. Ce comportement est de plus en phase avec leur état d’esprit. La crainte de perdre leur travail et de supporter des baisses de revenus les conduit à renforcer leur épargne de précaution.

Une cassette bien remplie

De mars à juillet, la cassette de la covid-19 – une cinquantaine de milliards d’euros selon le Conseil d’analyse économique d’euros mis de côté – serait le produit des ménages les plus aisés. 70 % de l’épargne supplémentaire aurait été constituée par les 20 % des ménages les plus aisés. Les 10 % les plus riches en termes de revenus auraient été à l’origine de 54 % du supplément d’épargne. Ces résultats ne sont en rien surprenants car, covid ou pas, l’épargne est en France avant tout constituée par le quintile le plus aisé des ménages. Durant le confinement, les ménages ont réduit leurs dépenses, les achats se limitant à l’essentiel : nourriture, abonnements, loyer, etc. Parmi les seuls postes de dépenses en augmentation figurait celui des achats de matériels informatiques. Les ménages les plus aisés consacrent, par nature, une part plus importante que les autres à des dépenses non obligatoires, loisirs, tourisme, etc. Ces activités étant rendues impossibles, leurs capacités d’épargne ont automatiquement progressé. Si depuis le déconfinement, la consommation de biens a retrouvé, voire dépassé, son niveau d’avant crise, celle de services demeure encore très en retrait du fait de la forte contraction des activités culturelles, de loisirs, de restauration et d’hébergement.

Avec le deuxième confinement, cette poche pourrait tendre vers plus de 75 milliards d’euros. Elle sera sans précédent à la hauteur de l’évènement auquel est confrontée la France.Pour les économistes du Conseil d’analyse économique, les 10 % les plus pauvres se seraient endettés ou du moins auraient désépargné pour faire face à une baisse de leurs revenus par ailleurs majoritairement constitués de

revenus de transferts. Les ménages du premier décile ont été les plus affectés par la forte contraction de l’intérim, des contrats à durée déterminée et de la suppression des heures supplémentaires. En revanche, il convient de souligner que la collecte du livret d’épargne populaire qui était en baisse depuis plus d’une décennie est de nouveau positive depuis le mois de mars. Ce produit qui ouvre droit à une rémunération de 1 point est réservé aux personnes globalement non imposables à l’impôt sur le revenu. De même, la collecte du livret jeune est depuis six mois positive.

Qui sont les épargnants ?

Dans les propos de certains commentateurs et de certains économistes, cette épargne serait illégitime. À demi-mot, les pouvoirs publics devraient punir les épargnants d’avoir épargné, de ne pas consommer et de ne pas contribuer à la relance du pays. Si les Français mettent de l’argent de côté, c’est avant tout par peur des lendemains qui pourraient déchanter. L’absence de visibilité sur le cours de l’épidémie n’incite pas à se lancer dans des achats inconsidérés, la prudence est de mise. Ce phénomène est constaté à chaque crise, que ce soit en 1993, en 2009 ou en 2012. Le Conseil d’analyse économique estime qu’il conviendrait d’accorder des prestations supplémentaires aux plus modestes afin qu’ils puissent consommer davantage. Sans nier la faiblesse de leurs revenus et des difficultés que peuvent rencontrer au quotidien les 10 % des ménages les plus modestes, il convient de se remémorer qu’en 2018/2019, dans le cadre du règlement de la crise des Gilets Jaunes, le gouvernement avait alors prévu 17 milliards d’euros d’aides aux ménages à faibles revenus. Or, ces 17 milliards d’euros n’ont aucun effet sur la consommation ; en revanche, la collecte du Livret A a fortement augmenté. Les Français du premier quintile qui sont menacés de perdre leur emploi sont les premiers à tenter de mettre de l’argent de côté.

L’épargnant n’est pas un nuisible ?

L’épargnant est de plus en plus mis au ban de l’empire ; autrefois loué, il est devenu un mauvais patriote. Mettre de l’argent de côté était un signe de bonne gestion, de prévoyance, de bonne santé morale. La fourmi l’emportait sur la cigale à tous les coups. Aujourd’hui, l’épargnant devrait cesser de l’être afin de défendre l’économie. Pour autant, il doit consommer responsable, faire attention à la planète, aux animaux, et ne pas émettre de gaz à effet de serre. Consommer sans le faire peut amener l’épargnant citoyen à l’inaction ou à la schizophrénie.

L’épargne a encore de nombreuses qualités. Elle permet de préparer l’avenir, de financer l’État, les entreprises, le logement social avec le Livret A et l’économie sociale et solidaire avec le livret de développement durable et solidaire (LDDS). Si les Français n’épargnaient en moyenne plus de 15 % de leur revenu disponible brut, la notation de la France et les capacités d’emprunt de l’État seraient tout autres.

Comment dégonfler la cagnotte ?

Pour certains, le dégonflement de la cagnotte liée à l’épidémie passe par l’augmentation des prélèvements. Puiser dans l’épargne covid de manière fiscale aurait comme conséquence des retraits massifs avec une préférence absolue pour la liquidité immédiate, le compte courant ou la monnaie fiduciaire. Par ailleurs, l’augmentation des prélèvements sur l’épargne a, en règle générale, l’effet inverse, en conduisant les ménages à épargner davantage afin d’effacer la perte subie sur le patrimoine.

La question de la réorientation de l’épargne se posera surtout après les confinements. Néanmoins, les épargnants auraient peut-être intérêt à effectuer des arbitrages avant la fin de l’année. Le Plan d’épargne retraite lancé le 1er octobre 2019 constitue un outil répondant tout à la fois à la crainte de baisse des revenus après la liquidation des droits à pension et à la nécessité de financer les entreprises en recourant moins aux crédits bancaires. L’assurance vie et le plan d’épargne en actions sont les deux autres enveloppes permettant une réelle transformation de l’épargne liquide.

La diabolisation de l’épargne serait une erreur au moment où le rétablissement d’un minimum de confiance en ces temps troublés est une ardente obligation. Les pouvoirs publics doivent accompagner les épargnants afin de les inciter en douceur à surmonter la peur du lendemain. Les injonctions et les menaces ne sont pas de mises en la matière. L’épargne pourrait être mobilisée de manière positive pour contribuer au financement des recherches sur la santé, sur les nouvelles énergies, sur les nouveaux moyens de transport. Les sujets ne manquent pas sous réserve de ne pas rejeter le progrès.

L’épargne verte tiendra-t-elle ses promesses ?

L’épargne des ménages représentait, selon la Banque de France, fin 2019, plus de 5 437 milliards d’euros dont 3 576 milliards d’euros en produits de taux. Avec la crise sanitaire en cours, les ménages ont accru leur effort d’épargne en privilégiant les placements liquides et faiblement rémunérés. Selon le Conseil d’analyse économique, le supplément d’épargne lié au Covid-19 dépasse 55 milliards d’euros. Du mois de mars au mois d’août 2020, l’encours des dépôts à vue a augmenté de 47 milliards d’euros, celui du Livret A et du LDDS de 26 milliards d’euros et celui des livrets bancaires de 14 milliards d’euros. En revanche, l’assurance vie qui est un placement de plus long terme a enregistré une décollecte nette de 8,4 milliards d’euros.

L’épargne constitue une partie des revenus qui fait l’objet d’une renonciation à la consommation. Elle permet tout à la fois de répondre à des besoins réels ou potentiels à venir et de rembourser le capital des emprunts souscrits dans le passé. En France, deux tiers de l’effort d’épargne des ménages sont ainsi affectés au remboursement du capital des emprunts immobiliers. L’épargne est logiquement un flux, bien que souvent abordé sous forme de stock ou d’encours. Les deux approches sont différentes. Le stock de capital est alimenté par les flux d’épargne et peut connaître, par ailleurs en fonction des valeurs de marché une appréciation ou une dépréciation. En 2019, le flux d’épargne a été de 143 milliards d’euros quand le capital financier détenu par les ménages a augmenté de 465 milliards d’euros en raison de la forte valorisation des actions.

La mobilisation de l’épargne covid-19 est au cœur du débat public depuis la fin du confinement. Certains souhaitent qu’elle alimente la consommation quand d’autres rêvent de sa réorientation vers des placements de long terme afin de contribuer notamment à la transition énergétique.

Les membres de la Convention citoyenne pour le climat (CCC), demandent que l’épargne soit mise au service de la transition écologique. Parmi les 149 propositions élaborées par les 150 citoyens et présentée au gouvernement le 21 juin dernier, une concerne l’épargne. La PT3 (le nom de code de la proposition) préconise de modifier la gouvernance de la Caisse des dépôts et consignations en y intégrant la notion de transition écologique afin de permettre « une orientation massive de l’épargne réglementée vers les investissements verts ». L’objectif est de mettre à disposition de la transition le Livret A et le LDDS. Cette proposition n’est pas nouvelle. Un décret d’application de la loi Sapin 2 datant de 2017 permet déjà le fléchage de l’épargne du Livret A et du LDDS. Les banques sont censées orienter vers l’économie sociale et solidaire au minimum 5 % de l’encours du LDDS et du Livret A, non centralisé à la Caisse des dépôts.

En souhaitant réorienter l’épargne de précaution en faveur de la transition énergétique, les membres de la convention entendent assécher les activités qui ne seraient pas compatibles avec la transition énergétique. Ils reprennent ainsi la thèse de Jeremy Rifkin qui pense que dans les prochaines années, les activités carbonées périront par manque de ressources financières, les investisseurs s’en détournant que ce soit par la pression des marchés ou par l’application de normes. Un manichéisme trop violent pourrait être contre-productif. Ainsi, faut-il priver Total de financement en tant que symbole de l’industrie pétrolière ou au contraire accélérer sa mutation ? Les grandes entreprises au cœur de la production carbonée disposent d’un savoir-faire, de compétences qui peuvent être utiles pour la transition énergétique. Ils possèdent aussi de capitaux qu’il serait irrationnel de ne pas exploiter. Pour certains, au nom de la théorie Kodak, en vertu de laquelle les représentants du monde d’avant sont incapables de s’adapter aux nouvelles règles, il vaut mieux les asphyxier quand pour d’autres leur apport est indispensable. Plusieurs fonds d’investissement ainsi que quelques banques semblent choisir cette voie qui pourrait se révéler périlleuse sur le terrain de l’emploi. Affaire à suivre !

A lire dans le Mensuel n°79 de novembre 2020

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