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Des inégalités du patrimoine aux inégalités des revenus en France

Epargne 6 août 2020

Depuis une vingtaine d’années, la question de l’augmentation des inégalités de patrimoine revient périodiquement sur le devant de la scène grâce notamment aux travaux de Thomas Piketty.

La France est un des pays les plus égalitaires au niveau des revenus mais aussi en ce qui concerne le patrimoine. Les inégalités ont fortement décru depuis le début du XXe siècle en raison de l’introduction de l’impôt sur le revenu et le relèvement des droits de succession. Avec l’allongement de la durée de la vie et le processus d’appréciation de la valeur des actifs immobiliers et financiers, la réduction des inégalités s’est interrompue dans les années 80. À la différence de nombreux pays occidentaux et des Etats-Unis en premier lieu, l’augmentation des inégalités patrimoniales demeure limitée en France.

De la première révolution industrielle jusqu’en 1914, le patrimoine a, en France comme dans la grande majorité des États occidentaux, connu une phase de forte concentration. Les 10 % les mieux dotés des ménages français possédaient alors plus de 80 % du patrimoine total. La Première Guerre mondiale marque le début d’une période de forte baisse des inégalités. Au milieu des années 1980, les 10 % les mieux dotés ne concentrent plus que 50 % du patrimoine. La part du patrimoine détenu par la classe moyenne augmente fortement, passant de 14 % à 41 %. De la fin des années 1920 jusqu’à la sortie de la Seconde Guerre mondiale, les détenteurs de patrimoine ont dû faire face à la récession de 1929, à la guerre et à l’inflation. Ces facteurs ont érodé fortement leur patrimoine. En outre, les prélèvements obligatoires ont joué un rôle certain dans ce nivellement.

Durant les Trente Glorieuses, les classes moyennes, bénéficiant de la hausse des rémunérations salariales et de facilité d’accès aux crédits, se constituent un patrimoine en particulier à travers l’acquisition de la résidence principale. L’inflation qui est restée relativement élevée jusque dans les années 1980 a facilité l’accession à la propriété.

À partir des années 2000, l’évolution du niveau d’inégalité est dictée de plus en plus par les fluctuations des prix des actifs financiers. Quand ces derniers augmentent fortement, les inégalités progressent, quand ils baissent, le phénomène inverse est constaté. En revanche, l’élévation des prix de l’immobilier tend à réduire les inégalités entre la classe moyenne et la classe des 10 % les mieux dotés dont le patrimoine comporte une part importante investie en actifs financiers.

Depuis le début du XXIe siècle, l’augmentation du coût du logement empêche, en particulier les jeunes actifs et les ménages les plus modestes, d’accéder à la propriété et cela malgré la baisse constante des taux d’intérêt.

La montée des inégalités est également imputable à l’évolution de l’effort d’épargne. Celui-ci est de plus en plus concentré sur les 20 % des ménages les plus riches au niveau des revenus. Les 50 % les plus modestes n’épargnent pas.

Les inégalités du patrimoine sont également la conséquence de celles portant sur les revenus ainsi que celles liées aux successions.

Le revenu national par adulte a été multiplié par plus de 7 de 1900 à 2019 passant de 5 000 à plus de 35 000 euros. Cette progression a été réalisée essentiellement entre 1945 et 1980 durant les « Trente Glorieuses ». Si le taux de croissance du revenu national par adulte a été négatif entre 1900 et 1945 (-0,1 % par an), il est monté à 3,7 % entre 1945 et 1980. Depuis, la progression est inférieure à 1 % par an.

La proportion des revenus des 10 % les mieux dotés décroît entre le début de la Première Guerre mondiale et la fin de la Seconde. Elle passe ainsi de 50 à 30 % du revenu national. Cette chute est imputable à la forte diminution des revenus du patrimoine. La réduction des inégalités de revenus est en grande partie imputable à la destruction de capital qui caractérise cette période. De 1945 à 1983, l’évolution des inégalités est plus heurtée pour le revenu que pour le patrimoine. À partir de la fin de la Seconde Guerre mondiale, la hiérarchie des salaires favorise les catégories sociales supérieures et le haut de la classe moyenne. Les évènements de mai 1968 marquent l’arrêt de ce mouvement haussier. Un processus sans précédent de revalorisation des bas salaires et en premier lieu du SMIC intervient entre 1967 et 1983, puis au moment de la réduction du temps de travail entre 1998 et 2003. Durant la première période, le pouvoir d’achat des actifs au SMIC progresse de 130 %. Il faut y ajouter le rôle des prélèvements obligatoires et des prestations sociales qui aboutissent à abaisser le ratio des revenus entre les 10 % les plus riches et les 10 % les plus modestes à 3,5. Ce ratio est un des plus faibles de l’OCDE.

À partir des années 1980, les 1 % les plus aisés enregistrent de fortes augmentations de leurs revenus en lien avec le poids de leur patrimoine financier. La part des revenus détenus par le top 1 % passe de 7 % en 1983 à 11 % en 2014. Entre 1950 et 1983, tandis que le revenu réel par adulte augmente au rythme de 3,5 % par an pour la quasi-totalité de la population, les hauts revenus connaissent une hausse annuelle de 2.3 %. À partir de 1983, les très hauts revenus continuent de croître à un rythme de 2,2 % par an contre moins de 1 % pour le reste de la population. Cet écart croissant est à mettre en parallèle avec l’évolution de la part des revenus du capital possédée par les 1 % des individus aux plus hauts revenus. Elle passe de 26 % en 1983 à 35 % en 2000. Cette augmentation de la concentration des revenus du capital est liée à l’augmentation de la concentration des patrimoines observée durant cette période.

L’évolution des revenus du travail explique peu en France celle des revenus des plus riches à la différence de ce qui est constaté aux États-Unis. Seuls les 0,1 % et surtout les 0,01 % les mieux payés ont connu une forte revalorisation de leur rémunération. Les dirigeants des grandes entreprises ont bénéficié de la mondialisation des activités. Leurs salaires sont fixés selon des considérations extérieures aux règles nationales. La concurrence fiscale entre les États aboutissant à une diminution des prélèvements sur les dividendes, les stock-options voire sur l’impôt sur le revenu a également favorisé cette augmentation des rémunérations des cadres dirigeants.

Plusieurs facteurs jouent toujours en faveur de la concentration du patrimoine. Le vieillissement de la population est un facteur important. En France, plus de la moitié du patrimoine des ménages est détenue par les plus de 55 ans. Ce phénomène ne peut que s’accroître en raison de l’augmentation de l’âge moyen de la population. Les faibles taux d’intérêt conduisent à une appréciation de la valeur de certains actifs financiers et immobiliers. Ce phénomène est amené à perdurer afin d’assurer la solvabilité des États mise à mal avec la crise sanitaire. En matière de revenus, l’évolution est moins facile à tracer. De plus en plus de revendications se font jour pour améliorer les rémunérations les plus modestes. Certains émoluments accordés à certains dirigeants sont de plus en plus mal considérés amenant à un autocontrôle de la part des conseils d’administration. Par ailleurs, le processus de mondialisation semble être arrivé à son terme ou du moins s’être stabilisé.

La réduction des inégalités du patrimoine passe par la réduction de celles liées aux revenus et à l’héritage. Certains souhaitent un durcissement des droits de succession. En France, cette question est politiquement très sensible. L’idée de favoriser les donations pour favoriser une plus forte mobilité du capital est actuellement privilégiée mais elle pourrait déboucher, un jour ou l’autre, sur celle des droits de mutation à titre gratuit.

A lire dans le Mensuel n°76 d’août 2020

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