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L’inflation est de retour, quelles conséquences pour l’économie et quelle stratégie pour les épargnants ?

Economie 7 mars 2022

3 QUESTIONS À PHILIPPE CREVEL, DIRECTEUR DU CERCLE DE L’ÉPARGNE

Face à la résurgence de l’inflation, les banques centrales ont décidé d’augmenter leurs taux directeurs. Ce changement de cap monétaire peut-il aboutir à un affadissement de la croissance ?

Le rebond de l’inflation a surpris, par sa force et sa durée, les banques centrales. Celui-ci ne devait durer que quelques mois et s’estomper avant la fin de l’année dernière. La crise ukrainienne avec ses conséquences sur l’énergie et les produits agricoles ne fait qu’accentuer cette tendance. Nul n’ose prédire désormais la fin de la vague inflationniste. Au cours de l’année 2021, les économistes ont certainement sous-estimé la désorganisation des chaînes de valeurs par l’épidémie. La stratégie de zéro covid choisie par la Chine et certains pays asiatiques aboutit à des arrêts épisodiques de production qui se répercutent sur les autres États. La forte demande, dopée par les plans de relance, a créé d’importants goulets d’étranglement. Au même moment, aux États-Unis comme au Japon, les consommateurs ont souhaité acquérir les mêmes produits. Si avant la crise, la demande était soutenue par les services, avec l’épidémie, celle-ci est avant tout portée par les biens industriels qui nécessitent des matières premières et de l’énergie. En raison de prix bas pratiqués ces dix dernières années, les entreprises des secteurs minier et énergétique ont sous-investi. Les tensions internationales provoquées par le conflit dans le Donbass contribuent également à la hausse des prix. La décarbonation des économies et le souverainisme économique sont également des facteurs inflationnistes. La force et la durée de l’inflation dépendront de l’ampleur de sa transmission sur les salaires. Aux États-Unis, avec un marché de l’emploi marqué par un taux d’activité en retrait et un mouvement important de démissions, la répercussion de la hausse des prix sur les salaires semble se produire. En Europe, en revanche, cela n’est pas pour le moment le cas, malgré l’augmentation du nombre d’emplois vacants.

Avec un taux d’inflation qui dépasse 5 % en zone euro et 7 % aux États-Unis, les banques centrales ont décidé d’accélérer la fin progressive des politiques monétaires expansives. Il faut prendre conscience que ces politiques qui se traduisent par des taux directeurs nuls voire négatifs et par des rachats d’actifs n’ont pas à devenir la norme. Elles sont par nature exceptionnelles. Plus elles perdurent, plus délicate sera leur réduction. La sortie du dopage monétaire est un exercice périlleux, car il est en vigueur depuis de nombreuses années. Aux États-Unis, les politiques monétaires accommodantes ont été de mise depuis la crise de 2008, même si la banque centrale avait réussi à relever légèrement ses taux entre 2016 et 2018. La zone euro s’était convertie plus tardivement à une telle politique. Il a fallu attendre la crise grecque en 2012 et surtout la récession qui s’est ensuivie pour convaincre en 2015 la Banque centrale européenne (BCE) d’abaisser ses taux et engager de vastes programmes de rachats d’actifs. L’épidémie de covid-19 a amené, en 2020, la BCE à accroître ses achats d’obligations.

Si avec le retour à la normale de l’activité, la sortie des politiques monétaires accommodantes est logique, elle ne doit pas briser la reprise. Les banques centrales sont prises entre l’enclume et le marteau, partagées entre la volonté de limiter les tensions inflationnistes conformément à leurs missions statutaires et la nécessité de maintenir un niveau correct de croissance. Elles doivent aussi veiller à ne pas créer une crise de solvabilité des États qui se sont fortement endettés lors de ces deux dernières années.

Un relèvement trop rapide des taux d’intérêt pourrait provoquer une série de réactions en chaîne et porter atteinte à la croissance. Il pourrait ainsi conduire à une baisse de l’investissement des entreprises et des ménages. En France, plus qu’ailleurs, les entreprises recourent essentiellement aux crédits pour se financer. Pour réaliser la décarbonation de leurs activités, pour rattraper leur retard en matière de digitalisation, elles se doivent d’investir. Un relèvement brutal des taux pourrait amener à un report des projets d’investissement. Les États fortement endettés sont également fortement exposés à la remontée des taux d’intérêt. L’inflation a l’avantage de réduire le poids de la dette publique au sein du PIB mais le service de la dette pourrait progresser rapidement. Les États pourraient néanmoins tirer profit de l’inflation du fait de l’indexation de leurs recettes (en particulier pour la TVA). Si les taux d’intérêt réels restent faibles voire négatifs, les États pourraient être gagnants. En revanche, les économies des pays émergents et en développement dont une part non négligeable des crédits est exprimée en devises étrangères pourraient être déstabilisées. La hausse des taux pourrait conduire les flux financiers à privilégier les placements occidentaux au détriment de ceux des pays émergents contraignant ces derniers à relever fortement leurs taux, ce qui pourrait casser leur croissance.

Pensez-vous que la hausse de l’inflation et celle des taux seront durables ?

En la matière, la prudence est de mise. Le retour rapide de l’inflation surprend, même s’il a été, au vu des milliers de milliards d’euros ou de dollars qui ont été mis sur la table, longtemps recherché. L’abondante liquidité engendrée par la politique monétaire expansionniste a fini par se transformer en inflation. L’inflation peut s’installer si elle touche les salaires et si une spirale peut s’engager. Les tensions internationales, la transition énergétique, les pénuries de main-d’œuvre peuvent provoquer l’enclenchement d’un cycle inflationniste. Par rapport aux années 1970 et 1980, il y a des similitudes, notamment la hausse des cours du pétrole. Il y a aussi des différences, les marchés étant beaucoup plus concurrentiels. Les banques centrales ont appris des crises précédentes et connaissent les effets de tout relèvement des taux. Par ailleurs, la sensibilité des économies à ces derniers est beaucoup plus forte en raison du niveau élevé de l’endettement. Une hausse, même faible, peut avoir des conséquences plus marquées en 2022 qu’en 1980. Dans ce contexte, les banques centrales utiliseront, sans nul doute, avec prudence l’arme des taux.

Quelles sont les conséquences pour les épargnants d’une augmentation des taux d’intérêt ? Doivent-ils s’en réjouir ? Le rendement des fonds euros augmentera-t-il ?

L’épargne des Français reste massivement investie en produits de taux. Ces derniers représentent plus des deux tiers de leur épargne financière. Un relèvement des taux d’intérêt leur est logiquement favorable. Si l’augmentation des taux est inférieure à la hausse de l’inflation et si elle n’intervient qu’avec retard par rapport à cette dernière, les épargnants devront accepter une baisse de la valeur en euros constants de leur patrimoine financier. Dans les années 1980, les détenteurs de livrets ont été perdants. Le taux du Livret A a certes atteint 8,5 % en 1981 mais l’inflation dépassait alors 13 %. Les épargnants ayant investi en produits de taux doivent prendre en compte leur rendement réel, c’est-à-dire net d’inflation. Il est fort à parier que dans les prochaines années, celui-ci demeure nul voire négatif. Cette politique appelée « répression financière » sera pratiquée afin notamment de faciliter la solvabilité des États.

Pour l’assurance vie, une remontée progressive des taux est, à terme, une bonne nouvelle pour les épargnants. Ils ne pourront pas néanmoins espérer en bénéficier dans un premier temps. Les fonds euros sont des tankers qui ont une inertie importante. Si leur rendement a baissé moins vite que les taux d’intérêt des obligations d’État, leur hausse connaîtra le même sort. Les obligations qui dans la gestion actif/passif des contrats d’assurance vie permettent d’assurer la garantie en capital verront leur valeur de marché diminuer avec la hausse des taux.

Les actions résistent mieux à l’inflation que les produits de taux, les entreprises ayant les capacités de répercuter les hausses qu’elles subissent sur leurs prix de vente. Néanmoins, cette faculté n’est pas donnée à toutes les entreprises. Celles qui appartiennent à des secteurs réglementés (distribution d’énergie par exemple) ou celles dont la demande est fonction des prix seront plus exposées à l’inflation. Les entreprises du luxe, de l’agroalimentaire ou de la santé ont en règle générale plus de latitude pour faire passer des augmentations de prix.

A lire dans le Mensuel N°95 de mars 2022


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