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Le retour de Kafka ?

Les éditos du Président 13 décembre 2019

L’édito de décembre de Jean-Pierre Thomas, Président du Cercle de l’Epargne

La retraite est un miroir. Elle en dit beaucoup sur les peuples et sur la manière dont ils sont gouvernés. La France a mis près de trois siècles à bâtir son système de retraite, de 1673 avec la création du premier régime des marins à la généralisation des régimes complémentaires au début des années 1970. Durant ces trois siècles, de nombreux projets ont été présentés et ont capoté faute de consensus, faute de volonté. Même les pères fondateurs de la Sécurité sociale, entre 1945 et 1947 ne sont pas arrivés à leurs fins. Le programme du Conseil National de la Résistance, publié le 15 mars 1944, avait, en effet, fixé comme objectif l’instauration « d’un plan complet de Sécurité Sociale visant à assurer à tous les citoyens les moyens d’existence, dans tous les cas où ils sont incapables de se les procurer par le travail, la gestion appartenant aux représentants des intéressés et de l’État ». Il indiquait également qu’ « une retraite permettant aux vieux travailleurs de finir dignement leurs jours » devait être instituée. Au nom de l’unité retrouvée du pays, les instigateurs de la Sécurité Sociale rêvaient d’un grand régime unique couvrant toutes les professions et toutes les branches de la protection sociale. La loi du 22 mai 1946 posait le principe de l’assujettissement obligatoire et avait clos le débat sur la nature de l’affiliation, certains étant favorables à un rattachement facultatif. Le principe de l’assurance obligatoire avec une mutualisation des cotisations et des droits avait été ainsi affirmé. La loi du 13 septembre 1946 ordonnait également que toute la population soit affiliée à l’assurance-vieillesse à compter du 1er janvier 1947. Cet objectif d’unité resta un vœu pieux. Cette loi fut même abrogée courant 1947. Les non-salariés avaient alors refusé de rentrer dans le régime général tout comme les salariés des grandes entreprises des secteurs du transport et de l’énergie qui s’étaient dotées avant la Seconde Guerre mondiale de leur propre régime d’assurance vieillesse. C’est ainsi que sont nés les régimes spéciaux à la SNCF, à la RATP, aux Charbonnages de France ou à EDF. La fonction publique disposait également de son propre système. Les fonctionnaires ont eu accès dès 1768, à une couverture vieillesse avec la création de la Caisse de retraite de la Ferme générale. Sous la Révolution, la loi d’août 1790 créa réellement le premier régime des fonctionnaires de l’État. Le projet d’Emmanuel Macron vise donc de revoir le système tel que nous le connaissons depuis 1945 mais plus largement de rebattre les cartes dont certaines dates du XVIIsiècle.

La retraite est, en France, considérée comme un élément clef du pacte social. La remise en cause des droits dits acquis est source de conflits. Chaque grande loi sur les retraites a donné lieu à ses grèves, à ses manifestations et à ses blocages. Depuis l’échec de 1995, le pouvoir a pris l’habitude de réformer de manière impressionniste en distinguant les différents régimes ou en ne retenant que quelques facteurs. L’exécutif prend un risque évident en décidant de refondre l’ensemble du système, devenu une mille-feuille difficile à piloter. Il est peu transparent et inéquitable en raison de sa complexité. Face aux résistances, le Président de la République est tenté d’opter pour la clause du « grand-père » en vertu de laquelle seuls les nouveaux entrants seraient concernés par le futur régime universel. De facto, cela aboutira durant plus de 40 ans à avoir un 43e régime qui s’ajoutera aux actuels. Les arbitrages pour rétablir les équilibres financiers seront, durant cette période, délicats. En effet, les cotisations permettront d’acquérir des points tout en ayant comme première mission de financer les anciens régimes par annuités. Il n’est pas certain que la rationalité, l’efficience et la simplicité soient au rendez-vous.

A lire dans le Mensuel de l’Epargne et de la Retraite N°68

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