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Le patrimoine en question

Etudes 22 septembre 2020

Le patrimoine des ménages représentait en Europe plus de cinq fois le revenu national dans les années 2010, quand ce ratio était inférieur à trois en 1950. Il reste inférieur au niveau des années 1920 où il atteignait sept. Aux États-Unis, ce ratio est plus stable, autour de 4,5 en ayant connu une forte chute de la crise de 1929 jusqu’à la fin de la Seconde guerre mondiale. La valeur du patrimoine des ménages aux États-Unis équivaut à quatre années de revenus et a eu tendance à diminuer durant la dernière décennie. Cette différence s’explique par la croissance plus dynamique des revenus aux États-Unis qu’en Europe et par une politique monétaire moins accommodante entre 2015 et 2019.

Le patrimoine vu de France et d’Europe

En France, le patrimoine des ménages représente six fois le montant du revenu national, un montant inédit depuis 1945. Il est porté par l’appréciation des biens immobiliers. Il a retrouvé son niveau d’avant la crise de 1929. L’évolution est identique en Allemagne et au Royaume-Uni mais elle est moins marquée.

La France se différencie par l’importance du patrimoine immobilier. En Allemagne, la proportion de propriétaires y est moindre, 44 % contre 57 % et le prix des logements y est en moyenne inférieur. Ainsi, l’Allemagne est riche en revenus et en épargne mais faible en patrimoine moyen ou médian.

Les habitudes diffèrent au sein des États membres de la zone euro. Les Allemands privilégient les livrets et les obligations, les Italiens les obligations et les fonds communs de placement, les Français la pierre et l’assurance vie qui est aussi largement diffusée en Allemagne. Il convient de souligner que nos voisins d’outre-Rhin privilégient également les liquidités et en particulier le numéraire.

La France se situe dans une position moyenne au niveau des placements en Europe avec néanmoins une particularité, la faiblesse des fonds de pension qui est compensée par l’importance de l’assurance vie.

Les épargnants d’Europe continentale partagent une valeur en commun, une aversion assez élevée à l’encontre des actions. Chez nos partenaires, ce phénomène est corrigé par l’existence de fonds de pension.

La part des produits risqués dans le patrimoine financier détenue par les ménages est de 15 % en France, le ratio le plus faible d’Europe et de 25 % en Italie, le ratio le plus élevé d’Europe. Les dépôts à vue et le numéraire représentent plus de 30 % du patrimoine financier en France et atteint même 45 % en Espagne. Les produits d’assurance vie pèsent 37 % en Allemagne et 30 % en France.

En 2015, les Européens les plus riches, en matière de patrimoine financier, sont, selon l’Observatoire Européen de l’Epargne, les Britanniques (125 000 euros en moyenne par personne) suivis par les Belges (107 000 euros), les Français (71 000 euros), les Italiens (66 000 euros) et les Allemands (64 000 euros).

La progression des inégalités patrimoniales

Les inégalités de patrimoine n’ont jamais été aussi fortes qu’à la veille de la Première Guerre mondiale. Les 10 % les plus riches possédaient alors 80 % du patrimoine aux États-Unis et 90 % en Europe. Une baisse des inégalités s’est engagée au niveau de la détention du patrimoine à partir de 1914 ; elle s’est achevée avec la Seconde Guerre mondiale aux États-Unis et dans les années 1970 en Europe. En 1970, les 10 % les plus riches possédaient aux États-Unis 70 % du patrimoine contre 65 % au niveau européen. La montée des inégalités est avant tout concentrée sur les 1 % voire les 0,1 % les plus riches. Les 1 % les plus riches aux États-Unis détenaient 40 % du patrimoine américain en 2014 contre 30 % en 1970. En Europe, les 1 % les mieux dotés possèdent 22 % du patrimoine en 2014 contre 20 % entre 1970 et 1980.

L’augmentation des inégalités de patrimoine est la conséquence d’un cycle favorable à la valorisation des actifs qui a démarré au début des années 1980 et qui se poursuit à travers la politique monétaire accommodante en vigueur depuis la crise des subprimes. Cette augmentation trouve également son origine dans l’évolution de la structuration démographique des populations occidentales.

Si le patrimoine est possédé majoritairement par les plus de 55 ans, cela est dû à un double processus ; un processus de constitution et un processus de valorisation. Durant les Trente Glorieuses, les baby-boomers ont bénéficié d’un contexte économique porteur qui s’est caractérisé par une forte augmentation des revenus et par une inflation permettant de réduire le coût de l’endettement. L’indexation des salaires sur les prix permettait de minorer le coût du remboursement du capital des emprunts. La désinflation dite compétitive mise en œuvre dans les pays occidentaux à la fin des années 1970 a mis un terme à ce processus. Si des années 1950 à 1980, l’endettement pesait peu sur les revenus des ménages, ces derniers ne pouvaient guère compter sur leur épargne pour améliorer leur situation. La valeur du patrimoine peinait à suivre l’inflation. Le rapport de forces était alors défavorable aux actionnaires, les entreprises distribuaient de faibles dividendes. La mondialisation, la tertiarisation et la désindexation des salaires de l’inflation ont changé la donne. Les entreprises à la recherche de capitaux ont dû traiter plus favorablement leurs actionnaires. La modernisation des circuits de financement à partir du milieu des années 1980 a également favorisé la valorisation des actifs financiers. La tertiarisation des économies et l’urbanisation des pays ont également joué un rôle en particulier au niveau de l’immobilier.

La baisse des taux d’intérêt entamée dans les années 1980 en lien avec l’augmentation de l’endettement public a évidemment joué un rôle majeur dans la valorisation des actifs immobiliers et des actions.

Les inégalités de patrimoine sont également le produit de celles liées aux revenus. La mondialisation et le développement d’Internet, comme lors de l’essor du secteur pétrolier dans les années 1920, ont généré d’importantes fortunes.

La démographie est un facteur à prendre en compte pour expliquer la montée des inégalités patrimoniales. En France, le flux annuel des transmissions patrimoniales a doublé sur trente ans passant de 6 à 12 % du PIB. Le poids de l’héritage dans le patrimoine des ménages est plus élevé en 2020 que dans les années 1970 mais reste inférieur à celui de 1914. L’héritage intervient de plus en plus tardivement en raison de l’allongement de l’espérance de vie mais il est plus élevé du fait du processus d’accumulation du capital, de l’appréciation de la valeur des actifs, ces vingt dernières années et du fait de la réduction de la taille des familles.

Quand la logique patrimoniale prend le dessus sur celle des revenus

Les Français, enquête après enquête, soulignent leur crainte pour leur pouvoir d’achat à la retraite. Selon l’enquête 2020 du Cercle de l’Épargne, 72 % d’entre eux pensent qu’ils auront (ou ont actuellement s’agissant des retraités) une pension de retraite insuffisante « pour vivre correctement ». Tout en ayant un niveau de vie supérieur à celui de l’ensemble de la population, 63 % des retraités eux jugent que la pension qu’ils reçoivent n’est pas suffisante. On relève une différence très grande entre les retraités hommes. S’agissant des non retraités, l’inquiétude est grande chez les plus de 45 ans. Elle atteint 79 % parmi eux. Par ailleurs, 64 % des ménages aisés estiment que leurs pensions seront insuffisantes en 2020, contre 44 % en 2019. De ce fait, il n’est pas étonnant que les ménages épargnent en vue de leur retraite.

Face la montée de l’inquiétude concernant le niveau de vie de leurs pensions, 53 % déclarent épargner en vue de leur retraite. Ce taux est assez constant depuis de nombreuses années. En période de crise, il tend à légèrement diminuer en raison de la progression de l’épargne de précaution. Toujours, selon la même enquête du Cercle de l’Épargne, 45 % des retraités déclarent épargner pour leur retraite.

Dans les faits, l’épargne en vue de la retraite obéit à des considérations d’ordre patrimonial. En France, les retraités sont épargnants nets jusque vers 75 ans. Cet âge augmente progressivement avec l’arrivée à des âges élevés des baby-boomers mieux dotés en patrimoine que leurs aînés. La crainte de manquer, la volonté de transmettre un héritage expliquent cette situation.

Les retraités éprouvent des difficultés à monétiser leur patrimoine même quand ils ont besoin de liquidités. Les difficultés à se projeter, la complexité des procédures (cession d’un bien immobilier), la peur de se faire avoir constituent autant de freins à cette mobilisation du patrimoine.

La faiblesse de la mobilité patrimoniale est un frein important à l’ascenceur social

Selon l’OCDE, la concentration du patrimoine sur une part restreinte de la population jouerait également un rôle dans la moindre mobilité sociale. Début 2018, la moitié des ménages vivant en France concentre 92 % de la masse de ce patrimoine. Les 5 % des ménages les mieux dotés en patrimoine financier en détiennent plus de la moitié alors que 1 % des ménages en possèdent 31 %. En 2017, le patrimoine maximum des 10 % de ménages les moins pourvus est 160 fois moins élevé que le patrimoine minimum des 10 % de ménages les mieux dotés. La succession des crises depuis 1973 affecte fort logiquement plus durement les ménages modestes. Comme ils disposent d’un faible patrimoine, leur situation en termes de revenus devient délicate en cas de retournement conjoncturel. Durant les Trente Glorieuses, l’absence de crise longue réduisait la dépendance au patrimoine. Depuis vingt ans, la valorisation des actifs immobiliers et financiers a accru les écarts entre les différentes catégories sociales. La part des dépenses de logement a augmenté pour les ménages les plus modestes et tout particulièrement pour ceux ne pouvant pas accéder aux logements sociaux. Cette part peut atteindre 30 % quand la norme, dans les années 1970, était de 20 %. La répartition du patrimoine est plus inégalitaire que celle des revenus. Le patrimoine est majoritairement détenu par les plus de 55 ans. Le poids de l’héritage qui intervient en règle générale après 55 ans a doublé en quarante ans. L’absence de patrimoine familial va souvent de pair avec la pauvreté monétaire. Selon l’OCDE, la moitié des jeunes ne bénéficie pas de l’effet amortisseur du patrimoine en cas de difficultés économiques.  

Quelles réformes pour faciliter la mobilité du capital ?

Pour faciliter la transmission du patrimoine et éviter sa concentration, la tentation d’un durcissement de la fiscalité sur les droits de succession est souvent avancée. Pour autant, la France figure déjà parmi les États où les impôts sur la détention et la transmission du patrimoine sont élevés. La circulation plus rapide du capital passe certainement par une amélioration du régime de donation avec une augmentation et un raccourcissement des délais pour procéder à une autre opération. En ligne directe, l’abattement est limité à 100 000 euros pour une période de 15 ans. Un retour à 10 ans serait bienvenu. Un système progressif en fonction de l’âge pourrait être mis en œuvre pour encourager les cessions précoces. Le démembrement de propriété devrait être également encouragé.

Afin de faciliter le transfert du patrimoine, la généralisation de la fiducie serait également une solution. Aujourd’hui, les enfants rencontrent de nombreux problèmes pour gérer le patrimoine des parents quand ceux-ci deviennent des dépendants. Le recours à la tutelle est lourd et complexe. La fiducie sur le modèle britannique ou néerlandais permet le transfert de la propriété des biens sous certaines conditions fixées dans le contrat établi devant le notaire. La fiducie a été introduite dans le droit français en 2007 après de moult tergiversations. En vertu de l’article 2011 du Code civil, la fiducie est « l’opération par laquelle un ou plusieurs constituants transfèrent des biens, des droits ou des sûretés, ou un ensemble de biens, de droits ou de sûretés, présents ou futurs, à un ou plusieurs fiduciaires qui, les tenant séparés de leur patrimoine propre, agissent dans un but déterminé au profit d’un ou plusieurs bénéficiaires ». Les Pactes Dutreil en vigueur pour les entreprises constituent un outil qui fonctionne bien et qui devrait être adapté pour les transmissions classiques à travers la fiducie. Pour mémoire, le pacte Dutreil Donation permet de bénéficier, pour le calcul des droits de mutation à titre gratuit, d’un abattement de 75 % sur la valeur des titres transmis, soit par donation soit par succession. Cet abattement s’effectue avant l’abattement général de 100 000 euros avec lequel il se cumule pour les donations aux enfants.

Un changement des règles fiscales des plus-values pourrait également faciliter la mobilité du capital. Aujourd’hui, les plus-values sont fiscalement exonérées à 100 % à partir de la 22e année de détention. Pour les prélèvements sociaux, l’exonération intervient après la 30e année de détention. Pour améliorer la circulation du capital, une refonte du barème des abattements serait souhaitable.

La mobilité du capital est un enjeu social et économique. La forte concentration du patrimoine et des revenus qui y sont attachés est très mal perçue par l’opinion publique. Par ailleurs, la mauvaise répartition n’est pas un gage d’efficacité économique. Les sociétés inégalitaires en termes de patrimoine se caractérisent, en règle générale, par de faibles taux de croissance. Par ailleurs, la rentabilité du capital tend à diminuer quand ce dernier est concentré sur un nombre réduit de personnes.

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