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3 questions à Philippe Crevel, Directeur du Cercle de l’Épargne – Février 2021

Epargne 5 février 2021

Avec la crise sanitaire, les Français épargnent des sommes importantes. Quels sont leurs objectifs et pensez-vous qu’en 2021 cette tendance se poursuivra ?

En 2020, les Français ont épargné, car ils n’ont pas été en capacité de consommer autant qu’ils le souhaitaient. Il ne faut pas oublier que l’épargne est une renonciation à la consommation qui peut être volontaire ou contrainte. En avril dernier, la consommation a reculé de 36 % puis de 19 % en novembre, lors du second confinement, conduisant à une progression sans précédent du taux d’épargne qui est passé de 15 % du revenu disponible brut à la fin de l’année 2019 à 26,7 % au deuxième trimestre 2020. Après le déconfinement de mai, la consommation de biens a retrouvé son rythme d’avant crise entraînant par voie de ricochet une baisse du taux d’épargne qui est revenu au cours au troisième trimestre à 16,7 %. Avec le deuxième confinement, il a dû repasser au-dessus de 20 % avant de s’abaisser à nouveau au mois de décembre, mois durant lequel les dépenses ont été importantes. Le Livret A a enregistré, au cours du dernier mois de l’année, une décollecte de 840 millions d’euros. L’instauration du couvre-feu, la fermeture des bars et des restaurants ainsi que des lieux clos de loisirs (culturels et sportifs) entraînent une baisse des dépenses des ménages qui, par ailleurs, limitent leurs déplacements en avion ou en train. Dans ce contexte, le taux d’épargne reste et restera dans les prochains mois élevé, entre 17 et 20 %. Seule une normalisation sur le plan sanitaire amènera à une réduction durable de ce taux qui pourrait alors retrouver un niveau plus en phase avec sa moyenne de longue période. Il est à noter qu’avant même la crise, le taux d’épargne des ménages avait tendance à augmenter en raison de la multiplication des crises (« gilets jaunes », manifestations concernant le projet de réforme des retraites) et du vieillissement de la population. La hausse du taux d’épargne est une des traductions du climat de défiance et de crainte en l’avenir qui transcende la société française. Après chaque crise, les ménages conservent un volant d’épargne supérieur à celui constaté avant crise.

Les jeunes générations éprouvent des difficultés à se constituer un patrimoine. La crise liée à la Covid-19 amplifie-t-elle cette tendance qui a cours depuis une dizaine d’années ?

La crise sanitaire ne modifie pas, pour le moment, le mode de constitution des patrimoines. Tout concourt au statu quo en raison de la politique monétaire pratiquée et des aides publiques distribuées. Une évolution pourrait néanmoins se faire jour en sortie de crise.

Un an d’épidémie n’a pas provoqué une dépréciation des actifs financiers et immobiliers. Il est encore trop tôt pour estimer les conséquences à moyen et long terme. Les faibles taux d’intérêt favorisent par ricochet l’augmentation des prix de l’immobilier et des actions. Si dans les prochains mois, la reprise n’était pas au rendez-vous, il pourrait évidemment y avoir des corrections importantes qui remettraient en cause le processus de valorisation qui s’est engagé il y a une trentaine d’années.

La France est un des pays les plus égalitaires tant au niveau des revenus qu’en ce qui concerne le patrimoine. Les inégalités ont fortement décru depuis le début du XXe siècle en raison de l’introduction de l’impôt sur le revenu et du relèvement des droits de succession. Avec l’allongement de la durée de la vie et le processus d’appréciation de la valeur des actifs immobiliers et financiers, la réduction des inégalités s’est interrompue dans les années 80. À la différence de nombreux pays occidentaux et des États-Unis en premier lieu, l’augmentation des inégalités patrimoniales demeure limitée en France.

Le patrimoine net des ménages s’établissait, fin 2019, à 12 561 milliards d’euros, soit 8,8 fois le revenu disponible net des ménages, conte 4,5 fois leur revenu disponible brut en 1990. Pour mémoire, à la sortie de la Seconde Guerre mondiale, le patrimoine correspondait à quelques mois de revenus. Le patrimoine net des moins de 30 ans ne dépasse pas 70 000 euros quand il atteint plus de 300 000 euros pour les plus de 50 ans.

De la première révolution industrielle jusqu’en 1914, le patrimoine a, en France comme dans la grande majorité des États occidentaux, connu une phase de forte concentration. Les 10 % les mieux dotés des ménages français possédaient alors plus de 80 % du patrimoine total. La Première Guerre mondiale marque le début d’une période de forte baisse des inégalités. Au milieu des années 1980, les 10 % les mieux dotés ne concentrent plus que 50 % du patrimoine. La part du patrimoine détenu par la classe moyenne augmente fortement, passant de 14 % à 41 %. La crise de 1929 avec la faillite des rentiers, puis les destructions de la Seconde Guerre mondiale, l’inflation ainsi qu’une hausse des prélèvements ont érodé fortement la valeur du patrimoine. Durant les Trente Glorieuses, les classes moyennes, bénéficiant de la hausse des rémunérations salariales et de facilités d’accès aux crédits, se constituent un patrimoine en particulier à travers l’acquisition de la résidence principale, aidées en cela par la hausse des prix. À partir des années 1990, l’inflation se résorbe, les crises freinent la hausse des salaires, l’immobilier connaît une hausse importante tout comme les valeurs actions.

Le patrimoine est, aujourd’hui, détenu par la partie la plus âgée de la population. Plus de la moitié des biens immobiliers et financiers sont détenus par les plus de 55 ans. Ce phénomène est logique. Il est le produit du processus d’accumulation lié au cycle de la vie. Il ne peut que s’accroître en raison de l’augmentation de l’âge moyen de la population. Cette situation est d’autant plus marquée que les générations de l’après-guerre étaient importantes. Elles ont bénéficié des Trente Glorieuses. Depuis une dizaine d’années, les jeunes de moins de trente ans sont en retard sur leurs aînés pour la constitution de leur patrimoine. La succession des crises, la précarité, la stagnation des salaires expliquent ce retard. Par ailleurs, en raison du prix élevé des logements, la marche de la primo-accession est élevée malgré les très faibles taux d’intérêt. Les faibles taux d’intérêt conduisent bien au contraire à une appréciation de la valeur de certains actifs financiers et immobiliers, un phénomène amené à perdurer afin d’assurer la solvabilité des États mise à mal avec la crise sanitaire.

Dans ce contexte de crise centennale, l’épargne des ménages est-elle menacée ?

Depuis le début de la crise sanitaire, les établissements financiers, banques, assurances, font front. Les dispositifs de contrôle mis en place après la crise de 2008 et le renforcement des fonds propres jouent leur rôle. Les banques comme les entreprises d’assurances françaises figurent parmi les plus solides d’Europe. En l’état actuel, aucune menace sérieuse ne pèse sur les établissements financiers et sur l’épargne des ménages. Les pouvoirs publics et les autorités en charge de la régulation surveillent avec attention les établissements financiers.

Concernant une éventuelle taxation de l’épargne « Covid », elle n’est pas d’actualité aujourd’hui. Une augmentation des prélèvements serait contreproductive. Elle inciterait les ménages à opter pour les liquidités voire le numéraire (billets et pièces). Elle pourrait même avoir l’effet inverse à celui recherché. En période de crise, un relèvement des impôts conduit souvent les ménages à épargner davantage afin de compenser le manque à gagner. Par ailleurs, implicitement, ils estiment qu’une hausse d’impôt est le signe d’un problème, ce qui amène à un renforcement de l’épargne de précaution. L’important actuellement est de restaurer la confiance et de favoriser la transformation de l’épargne courte en épargne longue et en consommation. Les entreprises françaises auront un réel besoin de renforcement de leurs fonds propres après la crise afin de pouvoir réduire le fardeau de la dette, investir et créer des emplois.

A lire dans le Mensuel du Cercle de l’Épargne N°82 de février 2021

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