Accueil >
En ce mois de juillet, un euro vaut un dollar, un phénomène sans précédent depuis 20 ans. Depuis le début de l’année, l’euro a perdu 12 % de sa valeur. Il faut remonter à septembre 2002 pour retrouver un taux de change encore plus faible.
La dépréciation de l’euro, en ce début d’été, est imputable aux écarts de taux d’intérêt de part et d’autre de l’Atlantique. La banque centrale américaine a engagé, depuis le mois de mars, un relèvement de ses taux quand la BCE ne devrait le faire que ce mois-ci. Les taux directeurs américains évoluent actuellement dans la fourchette 1,5/1,75 % quand ceux de la BCE se situent entre -0,5 et 0 %. D’ici la fin de l’année, cette fourchette pourrait être de 2,75/3 %. L’écart avec les taux européens pourrait être de 2,5 points. Les politiques monétaires différentes se traduisent par des écarts de taux sur les obligations d’Etat. Ainsi pour celles à dix ans, le taux américain est proche de 3 % quand il est de 1,3 pour son équivalent allemand. Les investisseurs privilégient ainsi les obligations américaines au détriment de celles de la zone euro ce qui contribue à la dépréciation de la monnaie commune. Les anticipations de croissance sont plus mauvaises pour l’Europe qui est plus exposée que les Etats-Unis à la guerre en Ukraine et à ses répercussions sur le plan énergétique. La perspective d’un fort ralentissement économique en zone euro incite les investisseurs à opter pour les titres américains. Les Etats-Unis sont, par ailleurs, considérés comme un pays refuge pour les détenteurs de capitaux en période de crise.
La dépréciation de l’euro face au dollar n’a pas commencé avec la guerre en Ukraine mais avec la crise financière de 2008. Juste avant sa survenue, un euro s’échangeait contre 1,5 dollar. Les stigmates de cette crise ont été plus longs à se résorber qu’aux Etats-Unis. La crise des dettes souveraines en 2011 avec le problème de la Grèce a également affaibli l’euro. La mise en place à compter de 2015 d’une politique monétaire ultra-accommodante a conforté le mouvement de baisse de l’euro. La Banque centrale européenne a décidé l’application de taux directeurs nuls voire négatifs pour le taux de dépôts. La dépréciation de l’euro trouve également sa source dans le dilemme auquel est confrontée la BCE. Si pour lutter l’inflation, elle augmente rapidement et fortement ses taux directeurs, elle risque tout à la fois de provoquer une récession et une crise des dettes souveraines. Le risque d’écarts de taux entre les Etats membres limite ses marges de manœuvre ce qui la met dans une position différente de celle de la FED.
Le poids de l’euro comme monnaie de réserve tend à se réduire. En 2008, la monnaie commune représentait près de 28 % des réserve, En 2022, le poids de l’euro dans les actifs des banques centrales a reculé de 28 % à 24 % selon le sondage du Forum officiel des institutions monétaires et financières. Le dollar représente toujours autour de 60 % des réserves de change. L’euro est devenue la deuxième monnaie mondiale grâce avant tout aux échanges internes des Etats membres de l’Union européenne et des Etats qui sont associés au marché commun comme la Turquie. L’Europe est la deuxième zone d’investissement, principalement des achats de dette, pour les institutions monétaires étrangères, mais dans les prochains mois, seulement 15 % des banques centrales comptent accroître leurs investissements obligataires en Europe.
La faiblesse de l’euro devrait se poursuivre tant que l’écart de taux restera substantiel entre les Etats-Unis et l’Union européenne et tant que les anticipations de croissance resteront négatives pour cette dernière. Pour renouer avec une appréciation, les craintes de pénurie d’énergie pour l’hiver devront être levées.
Vingt ans après, l’euro et l’inflation, une fake news ?
Le 2 janvier 2002, l’euro fiduciaire, les billets et les pièces, remplaçaient les monnaies nationales des onze Etats ayant été acceptés à participer à l’union monétaire. Ce passage constituait la dernière étape de cette construction monétaire, sachant que depuis le 1er janvier 1999, l’euro était devenu la monnaie officielle des Etats membres. Ce grand changement d’unité monétaire, le premier depuis le 1er janvier 1960 marqué par l’introduction du nouveau franc a fait l’objet de critiques dans le prolongement des débats qui étaient intervenus lors de la campagne référendaire sur le Traité de Maastricht autorisant le passage à l’euro. Ce dernier donna lieu à une polémique en 2002 et les années qui suivirent sur la perte de pouvoir d’achat des ménages provoquée par l’augmentation des prix. L’INSEE a, à maintes reprises, réalisé des études sur le sujet prouvant l’inverse ; rien n’y fit. Entre le ressenti et la réalité froide des statistiques, l’écart était alors important. Le jugement des consommateurs était d’autant plus surprenant que la France avait au cours des années 1970 et 1980 connu un inflation importante. Pour se qualifier à l’euro, les gouvernements avaient du mettre en œuvre des politiques de désinflation compétitive qui étaient mal vécues.
Selon une étude de l’INSEE de 2016 (étude de Marie Leclair, division des prix à la consommation, Vladimir Passeron), les prix à la consommation n’ont augmenté que de 1,4 % en moyenne par an soit nettement moins qu’au cours des quinze années précédentes (+ 2,1 % entre 1986 et 2001. L’inflation française après l’introduction de l’euro était inférieure de celle constatée en moyenne au sein de la zone (+ 1,7 % en moyenne par an).
Si les ménages ont constaté certaines hausses de prix, celles-ci n’ont pas été occasionné par le changement de monnaie mais par des facteurs conjoncturels comme les variations climatiques (produits alimentaires), l’environnement géopolitique (produits pétroliers) et par des facteurs d’ordre politique (augmentation du prix du tabacs au nom de la santé publique). L’inflation sous-jacente qui exclut les produits connaissant de fortes fluctuations est restée très faible dans les années qui ont suivi l’introduction fiduciaire de l’euro.
Le ressenti de hausse des prix s’est nourri, en partie, par l’attention que les Français ont porté à ces derniers. Dans les premiers mois, les consommateurs ont effectué des conversions rendant toute hausse sensible. Les boulangers, les restaurateurs, les cafetiers ont été accusés de majorer leurs tarifs au moment même où ils subissaient une augmentation du coûts de leurs matières premières et qu’ils devaient gérer la mise en œuvre des 35 heures. Les consommateurs ont conservé en mémoire les derniers prix en francs oubliant que ces derniers évoluaient auparavant en permanence. Ils ont négligé que l’inflation préexistait et qu’elle n’a pas disparu avec l’introduction de l’euro.
L’INSEE estime que le basculement des grilles tarifaires du franc vers l’euro a provoqué une augmentation des prix de 0,1 à 0,2 % sur l’année 2002.
La mise en place de l’euro fiduciaire intervient à la fin d’un cycle de croissance qui a débuté en 1997 et qui s’est achevé avec l’éclatement de la bulle Internet. Le taux de croissance est passé de près de 3 % à 1 % rendant les négociations salariales plus difficiles. L’Allemagne au même moment a décidé de mettre en œuvre une politique d’amélioration de sa compétitivité après une décennie de financement de la réunification. Cette politique de rigueur reposait sur une maîtrise salariale stricte et par une réduction des déficits, politique qui s’imposa au reste de l’Europe. La Banque Centrale Européenne avait comme objectif d’assurer la crédibilité de la nouvelle monnaie à l’échelle internationale ce qui l’a conduit à mettre en œuvre une politique monétaire peu accommodante et donc peu inflationniste.
L’euro n’est pas une création, en soi, éternelle. Ce que l’homme a fait, l’homme peut le défaire. C’est une évidence mais mieux vaut connaître, avant de se lancer dans l’aventure, le coût de la déconstruction.
L’euro ne s’est pas construit en une journée. Il est un des enfants de la construction européenne, le fruit de longues années de travail. Du rapport Werner/Barre au traité de Maastricht, il s’est passé 22 ans et entre ce dernier et la circulation de la monnaie fiduciaire entre particuliers, il a fallu encore attendre 10 ans. Certes pour éviter les mouvements de panique, la sortie d’un pays de la zone euro s’effectuera, a priori, rapidement, de quelques jours à quelques semaines. D’un côté, une longue maturation, une longue préparation, de l’autre une rupture brutale. Mais, dans les faits, de nombreuses dispositions devront être prises pour éviter que cette sortie n’aboutisse à une glaciation économique.
Pour faciliter, je retiens le cas où le pays qui décide de retrouver sa soi-disant souveraineté monétaire est la France. À cette fin, la Banque de France devra fixer un nouveau cours pour la nouvelle monnaie, le « franc ». Elle pourrait par simplicité décider, de manière arbitraire, qu’un euro équivaut à un franc. Il faudrait à toute vitesse imprimer des billets et des pièces afin de réaliser un échange immédiat avec les euros. Les Indiens viennent de nous prouver que l’échange de billets n’est pas sans conséquence économique.
Durant la phase préparatoire de sortie de la zone euro et de mise en place de la nouvelle monnaie, les autorités françaises devront instituer un contrôle des changes avec des limitations drastiques des sorties de capitaux. Les comptes bancaires et les contrats d’assurance seront gelés pour éviter un « bank run » et un « assurance run ». Ces mesures perdureront durant une période plus ou moins longue après le changement de monnaie. Elles seront rendues nécessaires pour éviter que les Français ne placent au Luxembourg, à Londres, à Bruxelles ou à Singapour leurs actifs. Les pouvoirs publics devront freiner les sorties en numéraire et instituer, comme en Grèce en 2015, un montant maximum de retrait. En effet, les banques risqueraient de se trouver très rapidement en manque de liquidités.
Mais avant même d’arriver à cet échange de monnaie, la sortie de la zone euro d’un pays comme la France est d’ordre systémique. Du fait du poids économique et financier de la France, une telle sortie remet en cause l’ensemble des équilibres au sein de la zone euro et de l’Union européenne. Elle créera une onde de choc qui pourrait provoquer l’implosion de l’ensemble du secteur financier. En outre, elle placera rapidement la France en état de banqueroute et d’illiquidité.
La sortie de l’euro peut mettre en danger l’ensemble des acteurs financiers, banques et compagnies d’assurances. La France dispose de plusieurs entreprises systémiques dans le secteur financier, c’est-à-dire d’entreprises dont la taille est telle que leurs problèmes se propageraient à l’ensemble des autres acteurs de la place. BNP PARIBAS, Société générale, Crédit Agricole, BPCE, Axa, etc. seraient confrontés à des problèmes de solvabilité en raison de l’affaiblissement de leurs fonds propres et de leurs liquidités s’ils devaient faire face à la demande de tous leurs clients de reprendre leurs actifs. Cette crise sera d’autant plus violente que les taux d’intérêt ne pourront que s’envoler en cas de sortie. Au regard de ce qui s’est passé avec la Grèce, les taux qui n’ont été que de 0,43 % en 2016 pourraient alors bien dépasser les 13/15 %. Un tel choc obligataire nécessiterait le gel des contrats d’assurance-vie comme cela a été prévu par la loi Sapin II.
Pour éviter des faillites en chaîne des établissements financiers, une rencontre internationale serait indispensable pour trouver des solutions afin d’endiguer le risque français.
Le passage de l’euro au franc pose le problème immédiat de la valeur des dettes. Ainsi, dans quelle monnaie faudra-t-il exprimer la dette publique qui dépasse 2 100 milliards d’euros et qui est détenue à 57 % par des non-résidents. S’il est décidé de l’exprimer en nouveaux francs (une dette nationale est traditionnellement exprimée dans la monnaie de son pays), les non-résidents risquent de perdre 30 à 50 % de leur épargne. En effet, il est impensable que le nouveau franc puisse maintenir la parité de l’euro qui deviendrait avant tout un deutsche mark. Un pays cumulant dette publique et déficit commercial structurel conduira inévitablement à une dépréciation de sa monnaie d’autant plus que le seul objectif de sa restauration est de se libérer des contraintes communautaires. Le Royaume-Uni qui n’est pas membre de la zone euro a, après le vote sur le Brexit, connu une dépréciation de sa monnaie de 20 %. Cette dépréciation n’est pas que la conséquence du vote et ne présage pas de ce qui se passera une fois que le Royaume-Uni sera réellement sorti. Dans le cas où la dette reste exprimée en devise forte, c’est-à-dire en euros, la France sera menacée rapidement de banqueroute. En effet, le montant des remboursements augmenterait de 30 à 50 %. La question du règlement de la dette passe obligatoirement par une négociation internationale.
Que ce soit avant ou après le retour du franc, les autorités françaises auront toute une série de problèmes à résoudre. Le premier sera de trouver les ressources nécessaires au financement de la sphère publique. La solution pourrait passer par la planche à billets, mais cela accélérera la dépréciation de la monnaie et conduira comme cela a été constaté en Russie en 2015 et 2016 à une forte inflation. L’autre problème, qui n’est pas des moindres, est lié à la nécessité d’acquérir des devises pour régler le solde commercial. La France est un pays structurellement déficitaire depuis une dizaine d’années, plus de 60 milliards d’euros par an. Elle est notamment dépendante de l’extérieur pour l’énergie et pour de nombreux biens industriels. Les fournisseurs n’accepteront pas d’être payés en francs. Ils voudront des devises étrangères, dollar, yen euro, etc. Pour en trouver, la France sera contrainte de lancer des grands emprunts avec des taux d’intérêt prohibitifs ou de vendre des actifs (immobilier, participations, etc.). Sinon, il faudra faire appel à l’aide internationale, le FMI par exemple et se soumettre à ses conditions. Il faudrait limiter au maximum les importations et accroître les exportations qui seront certes favorisées par la dépréciation de la monnaie. La réduction des importations passe par une réduction des revenus des ménages. Elle peut s’inscrire dans un retour du protectionnisme mais qui pourrait provoquer de la part de nos partenaires des mesures de rétorsion. Néanmoins, avant de retrouver un équilibre, il faudrait plusieurs années qui pourraient se révéler difficiles.
La sortie de la zone euro devrait donc amener une forte hausse des taux d’intérêt provoquant un net ralentissement de l’activité. Le secteur du bâtiment serait pénalisé. Les secteurs dépendant des importations seraient également fortement touchés. L’investissement sera en chute libre. De nombreux secteurs supporteraient tout à la fois une augmentation de leurs produits, une diminution du pouvoir d’achat des ménages et un problème d’accès aux devises.
La sortie de la zone euro est un pari que les Grecs n’ont pas voulu tenir. Il est plus que probable que le départ de la France provoquerait l’explosion de l’ensemble de la zone euro. Les pays d’Europe du Sud auraient du mal à résister à l’onde de choc. Les investisseurs par aversion du risque se délesteraient de tous les titres européens non sûrs. Dans cette affaire, l’Allemagne serait également perdante tant au titre des 3 000 milliards d’euros qu’elle détient sur le reste de l’Europe qu’en raison de l’explosion de son espace commercial. Sur plusieurs années, elle participerait à la dépréciation de la monnaie, aux taux d’intérêt élevés, à l’inflation, et pousserait pour une réglementation sur les changes voire sur le crédit. La sortie de l’euro, c’est juste un autre monde.
contact@cercledelepargne.com