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La Cour des comptes a confirmé dans une note du 21 octobre dernier que sans réforme supplémentaire, les déficits perdureraient au moins durant une dizaine d’années. En raison de la crise sanitaire, le déficit de l’ensemble du système de retraite a atteint, en 2020, 13 milliards d’euros (soit 0,6 % du PIB), en prenant en compte le versement ponctuel de 5 milliards d’euros par le Fonds de réserve pour les retraites à la branche vieillesse du régime général, dont 3,7 milliards d’euros pour la branche vieillesse du régime général (la Cnav, 2,5 milliards d’euros pour le fonds de solidarité vieillesse et 5,6 milliards d’euros pour les régimes complémentaires des salariés du secteur privé. Ce déficit, en partie conjoncturel, en raison de la contraction exceptionnelle des cotisations, comporte une part structurelle.
La France dispose, selon la Cour des comptes, de peu de marges de manœuvre pour la résorption de ce déficit structurel. Elle ne peut guère jouer sur les prélèvements obligatoires, ayant déjà le taux le plus élevé de l’Union européenne. Les réformes adoptées depuis 1993 commenceront à être de plus en plus durement ressenties par les futurs retraités. La désindexation qui concerne également les retraités actuels est une source non négligeable d’économies. Cependant, elle pourrait, à terme, provoquer une remontée du taux de pauvreté chez les retraités. Sous l’effet progressif des réformes passées, la pension moyenne des retraités devrait augmenter moins vite que le revenu d’activité moyen, entraînant une hausse de niveau de vie plus faible pour les retraités que pour l’ensemble de la population. À l’avenir, sans nouvelles réformes, le niveau de vie moyen des retraités redeviendra inférieur à celui de l’ensemble de la population (de 5 à 10 % en 2040).
Un système de retraite, c’est de la tuyauterie, des variables démographiques et des facteurs économiques. Avec l’arrivée à l’âge de la retraite des plus larges générations issues de baby-boom, la France, comme ses partenaires, n’échappe pas aux affres du vieillissement. Chaque année, 800 000 actifs liquident leurs droits à pension. Avec l’augmentation de l’espérance de vie à la retraite, le ratio actifs/inactifs se dégrade. Le rapport démographique des 20-59 ans sur les 60 ans et plus est ainsi passé de 3 en 1960 à 2,8 en 1990, puis à 1,9 en 2020. L’espérance de vie à 60 ans qui était de 15 ans en 1950 est passée, entre 2000 et 2020, de 25,6 à 27,3 ans pour les femmes et de 20,4 à 22,7 ans pour les hommes. L’étiolement des gains de productivité depuis les années 1990 réduit la croissance de la création de richesses et donc des cotisations qui alimentent les régimes de retraite. Or, dans le même temps, par effet noria, des retraités à petites pensions sont remplacés par des retraités dotés de meilleures pensions, résultat de carrières complètes et ascendantes. Le système de retraite est donc confronté à un effet ciseau avec, d’un côté, une rapide augmentation des dépenses et, de l’autre, des recettes en mal de croissance.
Pour faire face à ces évolutions démographiques et économiques, en vingt ans (1993-2014), le système de retraite français a connu cinq réformes d’ampleur touchant les retraites de base de nature « paramétriques ». Elles ont modifié les paramètres de fonctionnement du système (taux de cotisation, durée de cotisation, âges de départ, règles d’indexation, période de référence pour le calcul de la pension etc.) sans remettre en cause les structures et la nature du système.
Les régimes complémentaires obligatoires ont été également réformés en reprenant les principes des dispositions prises pour les régimes de base (report de l’âge de départ notamment). Les partenaires sociaux, gestionnaires des régimes complémentaires des salariés du secteur privé (Agirc et Arrco, fusionnés en 2019), ont ainsi signé une dizaine d’accords depuis 1993, qui ont abouti à une diminution du rendement du régime complémentaire afin de maintenir la solvabilité de l’Agirc-Arrco à long terme. Avec les accords de 2015, 2017 et 2019, pour la première fois, les partenaires sociaux ont choisi de décaler, de fait, d’un an l’âge permettant de bénéficier d’une retraite complémentaire à taux plein (des mesures atténuent toutefois ce dispositif pour les titulaires de petites pensions et pour les retraités invalides). Les partenaires sociaux ont également adopté des règles prudentielles aux termes desquelles les réserves financières du régime Agirc-Arrco ne doivent pas être inférieures à six mois de prestations à l’horizon de 15 ans et les pensions doivent évoluer au rythme des salaires, éventuellement diminué d’un « facteur de soutenabilité » pour tenir compte de la situation économique ainsi que de l’évolution démographique.
Les pouvoirs publics ont, depuis 1993 et surtout 2003, entrepris un réel effort de convergence des régimes spéciaux, y compris celui de la fonction publique, vers le régime général, même si des spécificités persistent, en particulier en termes d’âge de départ à la retraite, de salaire de référence pour le calcul de la pension, de dispositifs de solidarité liés aux enfants et de réversion en cas de veuvage.
Selon l’INSEE, sans les réformes engagées depuis 1993, les dépenses de retraite rapportées au PIB auraient représenté 17,6 % en 2020 et plus de 19 % en 2030, quand elles sont désormais limitées à moins de 14 % nonobstant les effets de la crise sanitaire. La réduction du poids des retraites dans le PIB provient en premier lieu du passage de l’indexation des pensions et des revenus de référence sur l’inflation et non plus sur l’évolution des salaires. Dans une période où l’inflation a été durablement inférieure à la hausse des salaires, cette mesure, engagée à partir de 1987, a rendu possible une économie de l’ordre de 40 milliards d’euros sur les dépenses annuelles de retraite qui s’élevaient en 2020 à 238 milliards d’euros. Cette mesure aurait contribué à une baisse des dépenses en 2020 de 1,8 point de PIB, contre 2,3 points pour l’ensemble des autres mesures de réforme prises depuis 1993. En 2030, elle entraînerait même une économie au moins égale à celle résultant de toutes les autres mesures (environ 2,7 points de PIB). Le maintien de ce mécanisme d’indexation qui, en outre, n’a pas toujours été appliqué aura des effets pour les retraités des prochaines décennies avec un risque de remontée du taux de pauvreté chez les séniors. Des voix se font entendre pour remettre en place une indexation en fonction des salaires qui permettrait de désensibiliser les dépenses de retraite de la conjoncture économique.
La Cour des comptes évoque le fait que la réforme de 2014 est en cours de déploiement. L’allongement de la durée de cotisation à 43 ans devrait réduire les dépenses de 5,5 milliards d’euros en 2030 et de 10,2 milliards d’euros en 2040. Le report de l’âge de départ de 60 à 62 ans décidé en 2010 avait dégagé en 2020 18,9 milliards d’euros d’économie mais son effet s’étiole au fur et à mesure, en lien avec l’allongement de la durée de cotisation associé à un recul de l’âge d’entrée des jeunes sur le marché du travail. En 2040, selon la DARES, l’économie ne sera plus que de 12,2 milliards d’euros. Pour les régimes complémentaires, les économies liées aux accords Agirc-Arrco adoptés depuis 2011 représenteraient 5,2 milliards d’euros 2020 s’ajoutant à celles résultant des réformes des régimes de base.
En 2018, le niveau de vie moyen des retraités était supérieur de 2,9 % à celui de l’ensemble de la population. Cet écart atteint même 9,1 % en prenant en compte le fait que les retraités sont plus souvent propriétaires de leur logement. Parmi les onze pays développés suivis par le Conseil d’orientation des retraites (COR), c’est en France, où le niveau de vie moyen des plus de 65 ans rapporté à celui de l’ensemble de la population est le plus élevé. Certes, depuis 2014, le pouvoir d’achat, en raison des augmentations des prélèvements et de la moindre revalorisation des pensions, tend à diminuer, il n’en demeure pas moins que le taux de pauvreté des retraités est très inférieur à celui de l’ensemble de la population (8,7 % contre 14,8 % en 2018). Il est plus faible également que le taux de pauvreté des retraités des autres pays développés suivis par le COR, à l’exception des Pays-Bas.
Pour atténuer les effets des réformes, en particulier pour les actifs les plus modestes, les pouvoirs publics ont pris des mesures de solidarité. Des mesures ont, ainsi, été prises en faveur des femmes et des petites retraites. Le dispositif « carrière longue » permet à des cotisants de partir avant 62 ans. Près d’un départ sur deux à la retraite, 400 000 par an, s’effectue selon des règles dérogatoires pour un coût de plus de 14 milliards d’euros.
Ces dispositifs cumulés avec les règles des régimes spéciaux aboutissent à ce que l’âge moyen de cessation d’activité soit plus faible en France que dans la plupart des autres pays. La Commission européenne estime cet âge moyen à 61,9 ans en 2017, contre 63,3 ans dans l’ensemble de l’Union européenne (dont 64,3 ans en Allemagne, 64,4 ans au Royaume-Uni et 65,3 ans en Suède). Il en résulte la poursuite de la dégradation du ratio actif/retraité. Il est passé de 2,1 au début des années 2000 à 1,7 aujourd’hui, et ne serait plus que de 1,5 en 2040.
La Cour des comptes souligne que de nouvelles mesures sont indispensables pour maîtriser l’évolution des dépenses de retraite. Elle met en avant l’âge de la liquidation des pensions ou la durée d’assurance. Elle souligne que les mesures que les gouvernements pourraient être amenés à prendre devront prendre en compte des considérations d’équité entre générations et au sein de chaque génération. La Cour des comptes s’interroge sur la répartition intergénérationnelle des charges. Quelles sont les limites à la diminution des pensions et à l’augmentation des charges sur les actifs ? La diminution de la durée de la retraite est-elle possible sachant que l’opinion publique y est fortement hostile ? Selon la dernière enquête du Cercle de l’Épargne/Amphitéa du mois de septembre 2021, 51 % des Français sont hostiles à toute mesure d’âge. 29 % sont disposés à accepter un recul progressif à 64 ans de l’âge de liquidation des droits à la retraite et seulement 20 % sont favorables à un allongement de la durée de cotisation. Pour autant, dans le même temps, 64 % des Français estiment que sans réforme, le système de retraite sera, d’ici quelques années, menacé de faillite.
La réduction du temps passé à la retraite génère des coûts induits également importants qu’il convient de prendre en considération. Avec le recul de l’âge minimum légal de la retraite, des personnes peuvent connaître des épisodes de chômage, en règle générale assez longs, et des périodes d’invalidité. Le recul de l’âge minimum légal de 60 à 62 ans aurait ainsi occasionné en 2017, au terme de sa montée en charge, de l’ordre de 3 milliards d’euros de dépenses sociales supplémentaires (dont environ 800 millions pour l’assurance chômage, 700 millions au titre de minima sociaux et de 1,2 à 1,5 milliard d’euros de dépenses d’invalidité), soit environ 20 % du gain réalisé cette année-là sur les dépenses de retraite. Ce montant mis en évidence par la Cour des comptes pourrait être plus élevé encore en intégrant l’ensemble des couvertures de prévoyance complémentaire.
La Cour des comptes s’interroge sur le maintien d’une équité intragénérationnelle en vertu de laquelle les efforts doivent être concentrés en faveur des petites pensions au risque de remettre, un peu plus en cause, le principe, « un euro cotisé donne les mêmes droits pour tous ». Elle estime que le report de l’âge de départ à la retraite suppose la mise en œuvre d’une politique forte de maintien et d’adaptation de l’emploi pour les seniors. Elle attire l’attention sur les mécanismes de départ anticipé et la prise en compte de la pénibilité qui apparaissent, à ses yeux, insuffisamment ciblés. Les magistrats de la Cour se prononcent pour une simplification des règles et leur harmonisation. Elle estime que la poursuite de la convergence progressive des paramètres des différents régimes, jusqu’à la fusion de l’ensemble des régimes dans un système unifié, est une voie souhaitable et envisageable. Quelle que soit la méthode choisie, la Cour souligne qu’une reprise de la réforme du système de retraite ou un ajustement des paramètres d’ouverture des droits ou de calcul de la pension nécessite « une expertise renforcée pour en faire partager les enjeux, une concertation approfondie pour en faire comprendre les objectifs et un calendrier de mise en œuvre suffisamment étalé pour en faciliter l’acceptation et permettre les adaptations nécessaires dans les entreprises ».
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