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Le Conseil d’Orientation des Retraites (COR) a publié, au mois de juin, son rapport annuel avec à la clef l’annonce d’une résorption plus tardive du déficit des régimes de retraite. Le retour à l’équilibre ne devrait pas intervenir avant 2042 voire plus certainement pas avant 2056 ou 2070… Les conclusions des rapports du COR obéissent à des cycles. Elles peuvent être soit optimistes quand aucune réforme ne s’annonce ou pessimistes quand les pouvoirs publics entendent modifier les règles de l’assurance vieillesse. Ces dernières années, avec la reprise économique et après l’adoption de mesures fortes (relèvement de l’âge de départ, augmentation des cotisations, dispositions concernant la retraite complémentaire AGIRC/ARRCO), l’idée que les régimes de retraite étaient placés sur une bonne trajectoire s’était imposée. Hors Fonds de Solidarité Vieillesse, de légers excédents sont apparus en 2018. Le COR était accusé par un nombre négligeable d’experts de faire preuve d’un optimisme béat. Les prévisions de croissance étaient jugées irréalistes et faussant, de fait les résultats proposés. L’engagement du chantier du régime universel semble avoir changé la donne. Tout en conservant des hypothèses de croissance de la productivité optimistes s’étageant de 1 à 1,8 %, les comptes apparaissent moins florissants que prévu avec un retour du déficit à compter de 2020. Par ailleurs, mais cela n’était pas occulté dans les précédents rapports, le taux de remplacement ainsi que le pouvoir d’achat relatif des retraités seront amenés à se contracter, de manière substantielle dans les prochaines années.
Moins d’enfants
Le Conseil d’Orientation des Retraites constate que depuis le début de l’actuelle décennie le taux de fécondité en France est orienté à la baisse. Il est passé de 2,03 à 1,87 de 2010 à 2018. Il demeure néanmoins supérieur à son niveau de 1994 (1,68). Le nombre de naissances baisse en liaison également avec la diminution du nombre de femmes en âge de procréer. Le phénomène de rattrapage, lié au recul de l’âge d’arrivée des enfants, touche à son terme. Par ailleurs, ce sont des générations peu nombreuses des années 90 qui arrivent à l’âge d’avoir des enfants. Le nombre de naissances a été de 758 000 en 2018 contre 833 000 en 2010. Le COR retient les prévisions de l’INSEE avec une fécondité restant comprise entre 1,8 et 2,1. Du fait de l’alignement du taux de fécondité de la population immigrée sur celui de la population de souche, la baisse du taux de fécondité peut se poursuivre d’autant plus que les conditions économiques ne s’améliorent que lentement.
Moins d’immigrés
L’immigration tend à ralentir en France. En 2007 et 2018, le flux migratoire annuel (différence des entrées et des sorties du territoire) n’est que de 58 000 contre 100 000 entre 2001 et 2006. Cette réduction a des incidences sur l’évolution de la population active et donc sur les cotisations sociales. Le COR retient pour les prochaines années, un flux positif de 70 000.
Des gains d’espérance de vie moins rapides que précédemment
En matière de retraite, ce qui compte, c’est en grande partie l’espérance de vie des personnes de plus de 60 ans. Avant 2014, elle augmentait de 1,5 à 2 ans par décennie. Depuis 2014, elle progresse de 0,4 an par décennie pour les femmes et de 0,8 an pour les hommes. En 2018, l’espérance de vie pour les hommes à 60 ans est de 23,2 ans, pour les femmes de 27,6 ans. Compte tenu des projections retenues, l’espérance de vie pour les hommes à 60 ans serait de 26,7 ans en 2040 et de 31 ans en 2070. Pour les femmes, les valeurs respectives sont 30,1 et 33,6 ans. Calculée par génération, l’espérance de vie des hommes et des femmes nés en 1960 serait de 28 ans à 60 ans.
Un nombre croissant de retraités
Du fait de la composition de la population active, le nombre de personnes pouvant liquider leurs droits à pension continue à augmenter à grande vitesse. Il passera de 300 000 pour les générations nées avant la Seconde Guerre mondiale à 900 000 pour les générations nées entre 1964 et 1970. À partir de la génération de 1972, une décrue s’opérera, -120 000 en quatre ans, mais une remontée pour les générations des années 80 qui sont composées des enfants des baby-boomers et qui bénéficient d’un recul de la mortalité avant 60 ans.
Le rapport démographique des 20-59 ans par rapport aux plus de 60 ans est passé de 2,5 à 1,94 de 2006 à 2018. En 2070, il sera de 1,25. En prenant comme référence les 20-64 ans et les plus de 65 ans, le ratio passe de 3,5 en 2011 à 2,9 en 2018 et à 1,7 en 2070.
Le COR retient pour le long terme quatre scénarios de gains de productivité (+ 1 %, +1,3 %, +1,5 %, +1,8 %) associés à un taux de chômage de 7 %. Deux variantes de taux de chômage sont également retenues : celui de 4,5 % qui correspond au taux adopté lors du premier rapport du COR et un taux plus pessimiste de 10 % à l’horizon 2070.
Pour le court terme, le COR a admis que le taux de croissance entre 2019 et 2022 pourrait être inférieur aux prévisions retenues en 2018, ce qui aura une incidence sur les comptes.
Pour la productivité, le COR admet que les gains actuels sont en deçà de ses projections passées mais qu’ils ont été marqués par les crises de 2008 et de 2012. Les auteurs du rapport estiment que le scénario central s’appuyant sur des gains de 1,3 % est crédible. Le COR admet que le taux de chômage de 7 % constitue un point bas non atteint depuis plus de 10 ans.
Pour expliquer une partie de la dérive financière des régimes de retraite, le COR met en avant le fait que la rémunération des fonctionnaires est constituée de plus en plus par des primes qui ne sont très faiblement soumises à cotisations. En effet, pour l’ensemble des fonctionnaires d’État, le poids des primes dans la rémunération totale est passé de 18 à 20 % de 2009 à 2016. Pour les cadres A +, ce taux atteint plus de 42 %. Pour les personnels des fonctions publiques territoriale et hospitalière, ce taux est de 21,4 %. La poursuite de ce processus réduit le montant des cotisations et donc pèse négativement sur l’équilibre des régimes de retraite. Un des enjeux de la réforme du régime universel est d’intégrer notamment les primes des fonctionnaires dans l’assiette des cotisations.
En 2018, la population active française comptait 29,8 millions de personnes. Elle s’est accrue de 172 000 par an de 1975 à 2018, soit +0,7 %. Entre 2018 et 2040, elle devrait augmenter de 60 700 par an puis de 22 500 par an entre 2041 et 2055. La population active française s’élèverait à 32,1 millions en 2070. Le taux d’activité était de 55,8 % en 2018.
La France, du fait des réformes mises en œuvre ces dernières années, connaît une forte progression du taux d’activité des seniors. Pour les 55/59 ans, il a progressé de 30 points entre 1978 et 2018 en atteignant 73,6 %. D’ici 2070, il devrait s’élever à 77 %. Entre 60 et 64 ans, ce taux est de 33 %. Le COR estime qu’il pourrait passer à 62 % pour les femmes et à 71 % pour les hommes d’ici 2070. Entre 65 et 69 ans, le taux d’activité en 2070 pourrait retrouver son niveau de 1975, 13 % pour les femmes et 20 % pour les hommes.
De son côté, le taux d’emploi des seniors est également en forte progression. Il est, pour les 55-59 ans, de 72,1 % en 2018 contre 48,9 % en 2000. Pour les 60-64 ans, il a augmenté de 20 points en 18 ans pour s’établir à 32 %. Le taux d’emploi des 65-69 ans est, en revanche, assez stable à 6 %.
À l’âge de 60 ans, près de 28 % des personnes ne sont ni en emploi, ni à la retraite. 7 % sont au chômage et 21 % sont inactives en ayant arrêté de chercher un emploi. Plus de 11 % des personnes âgées de 60 ans sont inactives depuis 10 ans.
Dans le secteur privé, l’âge effectif de départ à la retraite a constamment baissé de 1963 à 2008, passant de 64 à 61 ans avant de remonter à 62,5 ans en 2017. Du fait des dispositifs de carrière longue, 11 % des femmes et 23 % des hommes peuvent partir à la retraite à 60 ans. Les générations 1945/1955 sont celles qui ont pu partir le plus tôt à la retraite. Ainsi, 22 % des membres de la génération 1949 sont partis avant 60 ans. Ce taux est de près de 33 % pour les hommes. Du fait du durcissement de la législation, ce taux est tombé à moins de 9 % pour la génération 1957.
En 2016, le système de retraite, hors capitalisation, a versé pour 303,7 milliards d’euros de pensions dont 269 en droit direct (y compris majorations pour trois enfants et plus). 34,4 milliards d’euros ont été versés au titre des pensions de réversion. Les dispositifs de solidarité dont le minimum vieillesse ont représenté 54,9 milliards d’euros soit 20,4 % de l’ensemble des pensions.
80 % des ressources des régimes de retraite proviennent des cotisations sociales, soit 262 milliards d’euros. 11 % sont issues des impôts et taxes. Les autres ressources sont les subventions, les transferts des autres régimes de sécurité sociale et le recours à l’emprunt.
Les régimes de retraite par répartition disposent de 137 milliards d’euros de réserves qui font l’objet d’un débat concernant leur éventuelle dévolution avec la mise en œuvre du futur régime universel de retraite. À ces réserves, il faut ajouter celles du Fonds de réserve des retraites (36,4 milliards d’euros) et celle des régimes par capitalisation obligatoires (RAFP : 22,4 milliards d’euros ; CAVP : 5,8 milliards d’euros).
Réserves des régimes par répartition |
En milliards d’euros |
En mois de prestations |
CNAVPL | 1,7 | 14 |
CNBF | 0,6 | 49 |
Total régimes de base | 2,4 | |
BDF | 5,7 | 145 |
CNRACL | 2,2 | 1 |
CRPCEN | 0,5 | 7 |
Sous total régimes intégrés | 8,4 | |
AGIRC/ARRCO | 70,8 | 11 |
IRCANTEC | 8,5 | 35 |
MSA complémentaire | 0,1 | 1 |
RCI | 17,4 | 108 |
CNAVPL complémentaire | 24,3 | 66 |
CNBF complémentaire | 1,3 | 69 |
CRPNPAC | 3,8 | 76 |
Sous total régimes complémentaires | 126,1 | |
Total réserves | 136,9 | |
Réserves FRR | 36,4 | |
Capitalisation obligatoire | ||
Capitalisation RAFP | 22,4 | |
Capitalisation CAVP | 5,8 |
Source : Cor – Cercle de l’Épargne
Les régimes de retraite concourent par leurs déficits à l’endettement des administrations sociales. La part de la dette qui leur imputable est de 46 milliards d’euros, soit 2 % du PIB. De ce fait, la situation patrimoniale nette hors prise en compte des régimes par capitalisation est de 127 milliards d’euros soit 5,6 % du PIB.
En 2017, les taux de cotisation salarial et employeur sont de 27,5 % (sous plafond de la Sécurité sociale) pour un salarié non cadre et de 84,57 % pour un fonctionnaire civil de l’État. Ce taux est de 10 % pour un professionnel libéral. Afin de prendre en compte les situations démographiques des différents régimes, le COR calcule des taux de cotisation dits harmonisés. Le taux est alors de 24 % pour les salariés du privé, de 68 % pour les fonctionnaires d’État, de 110 % pour les militaires et de 12,8 % pour les professionnels libéraux.
Compte tenu de l’évolution du nombre de retraités et du contexte économique, le besoin de financement du système de retraite a été évalué pour 2018 à 0,1 % du PIB, soit 2,9 milliards d’euros. De 2002 à 2018, les ressources ont augmenté de 1,7 point de PIB et les dépenses de 2,1 % du PIB. L’excédent des régimes de retraites a disparu en 2007. Le déficit s’est creusé jusqu’en 2010 pour se réduire jusqu’en 2018.
Jusqu’en 2022, le déficit serait cantonné à 0,4 % du PIB. Une dégradation interviendrait jusqu’en 2030 avec une amélioration après dans le cadre du scénario central avec une croissance de 1,5 %. Le retour à l’équilibre serait alors atteint en 2056. En cas de croissance de 1,8 %, l’annulation du déficit intervient plus tôt, en 2042. En revanche, si la croissance est de 1,3 %, le déficit pourrait atteindre 1 % ; sa disparition serait constatée en 2070. Si la croissance est de l’ordre de 1 %, il n’y a pas de retour programmé des excédents.
En moyenne, sur une période de 50 ans, seule une croissance de 1,8 % bien éloignée des standards actuels permettrait de dégager des excédents. Dans tous les autres, un déficit variant de 0,2 à 0,9 % du PIB serait constaté.
Comme les années précédentes, de manière prudente, le COR souligne que la mesure la plus efficace pour juguler le déficit est le report de l’âge moyen de départ à la retraite. L’âge devrait atteindre près de 64 ans et 6 mois. À défaut, il faudrait relever les prélèvements de 0,6 point de PIB ou diminuer le montant global des pensions de 0,7 point de PIB.
Les pensions ne constituent qu’un élément du niveau de vie des retraités. Il faut prendre en compte les prestations sociales, les revenus du patrimoine et ceux du ménage quand un des membres est encore actif. En 2016, le niveau de vie moyen par unité de consommation est de 2 070 euros par mois. Après avoir progressé continûment des années 70 jusqu’en 2010, il s’est depuis stabilisé. Il est malgré tout supérieur à celui de l’ensemble de la population (105,6 %). Pour les hommes, il est de 8,5 % supérieur et pour les femmes de 3,3 %. En prenant en compte le fait qu’ils sont propriétaires à 75 % de leur logement, le niveau de vie effectif est encore plus élevé. L’INSEE estime que celui-ci est supérieur de 10,5 % à celui de l’ensemble de la population.
Selon les estimations du Conseil d’Orientation des Retraites en fonction des scénarii retenus, le niveau de vie des retraités s’établirait entre 91 et 96 % de celui de l’ensemble de la population en 2040 et entre 78 et 87 % en 2070.
Pour mesurer l’efficacité d’un système de retraite, il faut prendre en compte la durée de service des pensions et la décomposition de la vie. Ainsi, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, la durée de la vie consacrée à la formation est assez stable, autour de 23 % de la durée totale de la vie, sachant que celle-ci s’est allongée de plusieurs années. La durée dévolue à l’activité professionnelle a fortement augmenté entre les générations nées dans les années 1940 et celles nées dans les années 1960 du fait de l’allongement de la durée de cotisation qui est passé de 37,5 à plus de 42 ans. La durée de la retraite qui a augmenté ces vingt dernières années du fait des départs à 60 ans et avant, s’est stabilisée autour de 29 %. Toutes choses égales par ailleurs, elle pourrait atteindre 32 % pour la génération 2000.
Le rapport du Conseil d’Orientation des Retraites semble justifier l’adoption de mesures conjoncturelles avant même l’engagement de la réforme systémique. Le report de celle-ci, de quelques mois, obéit à des contraintes d’agenda parlementaire mais aussi à la nécessité pour le Gouvernement de renouer des liens avec les partenaires sociaux. Cela permettra également d’éviter un télescopage avec le projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2020 qui pourrait comporter des mesures de rééquilibrage. Le Gouvernement devra vendre son projet d’âge pivot et le faire accepter par une opinion publique et des syndicats plutôt hostiles. Le projet de régime universel reste populaire du fait du message d’équité qu’il porte. En revanche, l’idée de travailler plus longtemps est loin de faire consensus. La discussion du projet de loi sur la réforme qui devrait intervenir au cours du premier semestre 2020, certainement après municipales, sera une opération délicate d’autant plus que nous entrerons de plain-pied dans la deuxième partie du quinquennat.
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