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En décidant de réformer les régimes de retraites, le Gouvernement touche au premier poste de dépenses sociales du pays, plus de 320 milliards d’euros. Pour les Français, le système social est un des éléments clefs du pacte social.
La réforme systémique voulue par le Président de la République repose sur un principe simple « un euro cotisé donne les mêmes droits pour tous ». Ce slogan plébiscité durant la campagne présidentielle de 2017 ne sera pas, malgré tout, aisé à traduire en actes car un système de retraite est par nature complexe et intègre de nombreux éléments de solidarité. Le passage de notre système actuel comportant 42 régimes de base et une centaine de régimes complémentaires vers un régime universel à points est une véritable révolution nécessitant la résolution de nombreuses équations. Les questions de l’âge de départ, de la réversion, des droits familiaux devront être tranchées. Il faudra également déterminer les modalités de la convergence des régimes actuels vers le nouveau régime. À ce titre, des règles de transfert des cotisants des anciens régimes vers le nouveau devront être fixées. Cette réforme aura des conséquences pour les personnels qui sont en charge de la gestion des régimes existants.
Une réforme d’une telle ampleur occasionnera des gagnants mais aussi des perdants ; les premiers resteront assez silencieux quand les seconds exprimeront leur mécontentement.
Un soutien ambigu à la réforme
Les Français demandent plus d’équité en matière de retraite mais ils craignent que cette réforme serve avant tout à reculer l’âge de départ ou à diminuer les pensions.
Toute l’ambiguïté provient du fait que si le souhait d’une égalité de traitement est fort, il n’interdit pas le maintien de spécificités. Ainsi, selon la dernière enquête du Cercle de l’Épargne, 48 % des Français se prononcent en faveur d’un régime universel intégrant certaines spécificités (pénibilité, missions de nuit ou dangereuses, etc.). 34 % des Français sont pour l’application d’un régime universel total visant à traiter tous les assurés de manière identique. En revanche, seuls 18 % des sondés sont pour le statu quo.
Les retraités, les fonctionnaires et les salariés des entreprises publiques, craignant de figurer parmi les perdants de la réforme en cas d’unification totale, sont les plus enclins au statu quo en matière de retraite.
Seuls 34 % des Français considèrent que le futur système de retraite respectera l’engagement présidentiel, « un euro cotisé donnera les mêmes droits pour tous ». En revanche, ils sont 37 % à penser que les pouvoirs publics veulent profiter de cette réforme pour reculer l’âge effectif de départ à la retraite. Ce jugement est partagé par 52 % des fonctionnaires. Par ailleurs, 29 % des Français estiment que l’objectif de la réforme est de réduire les pensions.
Le calendrier, le périmètre de la réforme, les spécificités
Le Haut-Commissaire à la réforme des retraites souhaite que le projet de loi soit adopté en 2020 avec une entrée en vigueur progressive à compter de 2025, après l’élection présidentielle de 2022. Cette réforme pourrait concerner les générations nées après 1963 ou 1964. Pour les générations antérieures, les règles de liquidation ne seraient pas changées. Par ailleurs, pour les retraités, il n’y aurait pas de modification.
Une période transitoire sera sans nul doute instituée pour passer d’un système à un autre. Les pays européens qui ont, ces dernières années, mené des réformes systémiques ont prévu des dispositifs de transition. En 1998, la Suède, pour la mise en place des « comptes notionnels », a prévu une période transitoire qui a duré 17 années. L’Italie avait, en 1995, décidé de réaliser sa grande réforme des retraités sur 40 ans. Sur la pression de Bruxelles, ce délai a été légèrement réduit. En Allemagne, le passage d’un régime par annuités à un régime par points en 1992 a en revanche été instantané, les droits anciens ayant été convertis d’emblée.
La réforme française devra prévoir un mécanisme particulier pour ceux qui ont cotisé dans l’ancien système et qui liquideront leurs droits à retraite dans le nouveau.
La réforme est censée concerner 42 régimes de base et les régimes complémentaires qui y sont associés. Les régimes spéciaux et le système de la fonction publique devront converger et se fondre dans le futur régime universel.
Le Gouvernement a déjà prévu le maintien de règles de cotisations spécifiques pour les indépendants. La question des départs anticipés à la retraite a été en partie réglée. Ils seront admis au regard de la pénibilité subie durant la période d’activité. Ils ne seront plus liés à un statut mais à un emploi.
Un régime à points
Le nouveau régime unique devrait prendre la forme, a priori, d’un
système par points qui offre de nombreux avantages en matière de pilotage.
Aujourd’hui, les deux principaux régimes par points sont l’ARRCO et l’AGIRC.
Les cotisations versées par les actifs servent à acquérir des points à un prix
déterminé. Au moment de la liquidation, les points accumulés sont convertis en
rente en prenant en compte la valeur de rachat du point.
Le taux de cotisations
Jean-Paul Delevoye a indiqué que le taux de cotisation dans le nouveau régime sera proche de 28 % pour les assurés et les employeurs qu’ils soient publics ou privés. En 2017, les taux de cotisation salarial et employeur sont de 27,5 % (sous plafond de la Sécurité sociale) pour un salarié non cadre et de 84,57 % pour un fonctionnaire civil de l’État (taux virtuel car les sommes sont prélevées sur le budget de l’État). Ce taux est de 10 % pour un professionnel libéral. Il dépasse 120 % pour les militaires.
Ce taux unique prévu pour le futur régime accompagnera de fait la suppression des mécanismes de compensation démographique qui existent à l’heure actuelle.
En matière de cotisation, il a été admis que les actifs ayant des revenus mensuels supérieurs à 10 000 euros bruts continueraient à cotiser au-delà de ce montant sans se constituer de nouveaux droits. Cela aboutit à introduire un mécanisme de redistribution fiscale dans le système par points. Cette mesure pénalisera les cadres supérieurs.
La gouvernance
Jean-Paul Delevoye a indiqué que le futur régime donnerait lieu à la création d’un établissement public à gestion paritaire. Cet établissement pourrait être adossé à la Caisse des dépôts et consignations.
La question sensible de l’âge de départ à la retraite
Initialement, le Président de la République souhaitait la suppression des durées de cotisations et permettre à tout à chacun de prendre librement sa retraite. Compte tenu de l’inclinaison naturelle des Français, le risque d’un grand nombre de départs précoces est à craindre. Il en résulterait un déséquilibre financier avec en outre un problème de niveau de vie pour les retraités qui auraient accumulé peu de points.
Pour contrarier ce risque, plusieurs propositions ont été émises mais aucune n’a reçu l’assentiment des partenaires sociaux. L’opinion publique reste pour le moment opposée à un report de l’âge de départ à la retraite.
79 % des Français considèrent qu’il faut maintenir la retraite à 62 ans
voire revenir à 60 ans. 41 % des Français pensent qu’il est possible de revenir
à la retraite à 60 ans. Ce sentiment est partagé par 59 % des employés et 57 %
des ouvriers. 59 % des actifs âgés de 35 à 49 ans pensent de même. Seuls 21 %
des sondés estiment qu’il est nécessaire de faire progressivement évoluer l’âge
légal de départ à la retraite vers 65 ans. Ce report n’est accepté que par les
actifs qui traditionnellement partent déjà au-delà de 62 ans à la retraite (les
cadres, les indépendants, les professions libérales).
La problématique du passage d’un système à l’autre
Le Gouvernement devra fixer les règles de transition d’un système à un autre. Si pour les actuels retraités, le basculement ne devrait pas avoir d’incidences, tel ne serait pas le cas pour les actifs.
Pour les actuels actifs concernés par la réforme, un dispositif de transfert devra être adopté permettant de convertir leurs droits à retraite et donc garantir un certain montant de pension compte tenu de la carrière professionnelle passée. Plusieurs options sont possibles. Les pouvoirs publics pourraient réaliser une photographie des droits accumulés au moment du transfert et faire une conversion en points. Il y aurait aussi la possibilité au moment de la liquidation de calculer deux pensions, une en vertu des règles passées et l’autre constituée à partir des points accumulés. Moins probable, il serait possible de faire une attribution de points au regard des rémunérations perçues avant l’entrée en vigueur de la réforme. Quelle que soit la méthode choisie, il y aura obligatoirement des gagnants et des perdants qu’il faudra le cas échéant indemniser.
Les questions de solidarité à résoudre
L’article 4 de la loi de 2003 prévoit que « la Nation se fixe pour objectif d’assurer en 2008 à un salarié ayant travaillé à temps complet et disposant de la durée d’assurance nécessaire pour bénéficier du taux plein un montant total de pension lors de la liquidation au moins égal à 85 % du salaire minimum de croissance net lorsqu’il a cotisé pendant cette durée sur la base du salaire minimum de croissance ». En 2018, ce taux est de 78 % pour les salariés au SMIC. Il est en moyenne de 61 % (chiffres OCDE – 2016). Dans un système par points, la pension ne sera plus proportionnelle aux revenus d’activité. De ce fait, pour garantir un taux de remplacement supérieur aux actifs à faibles revenus, des mécanismes de solidarité seront nécessaires. Ils devront être financés certainement par l’impôt.
La question de la réversion devra être également abordée. Aujourd’hui, les pensions de réversion essentiellement touchées par les veuves représentent 34 milliards d’euros. Les règles d’attribution diffèrent d’un régime à l’autre. Le choix des nouvelles règles ne sera pas sans incidence sur le niveau de vie des veufs et des veuves.
Le Gouvernement a prévu de changer les modalités d’octroi des majorations pour enfants. Elles seraient accordées dès le premier enfant. La question de leur financement sera à trancher. Il en est de même avec celles liées à la prise en compte des périodes de chômage, de congés maternité, etc. Il faudra également fixer les règles applicables pour les retraites des handicapés.
Le devenir des réserves des caisses de retraite
Les régimes de retraite par répartition disposent de 137 milliards
d’euros de réserves qui font l’objet d’un débat concernant leur éventuelle
dévolution avec la mise en œuvre du futur régime universel de retraite. À ces
réserves, il faut ajouter celles du Fonds de réserve des retraites
(36,4 milliards d’euros) et celles des régimes par capitalisation
obligatoires (RAFP : 22,4 milliards d’euros, CAVP :
5,8 milliards d’euros). La dévolution de ces réserves sera un des enjeux
de la réforme. Serviront-elles à indemniser les perdants ou pourront-elles être
conservées par les caisses quand bien même ces dernières auront perdu leur
mission de délivrer des pensions. Pourront-elles alors être affectés à de
futurs produits d’épargne retraite ?
En guise de conclusion, la question de l’équilibre et l’essor des suppléments de retraite
L’instauration d’un régime dit universel ne résout pas les problèmes de financement soulignés récemment par le Conseil d’Orientation des Retraites et le Comité de Suivi des Retraites. L’augmentation du nombre de retraités et la stagnation de la population active dans un contexte de faible croissance posent le problème de l’évolution du pouvoir d’achat des retraités. Certes, le système par points sera par nature plus facile à gérer que celui actuellement en vigueur en jouant sur le montant d’achat et de rachat, mais, ce système pourrait aboutir, pour certaines catégories de la population, à des pensions plus faibles comme cela a été constaté en Allemagne ou en Suède.
Pour les cadres et en particulier les cadres supérieurs, le maintien d’un niveau de vie correct à la retraite passera sans nul doute par l’adhésion à des suppléments d’épargne retraite qu’ils soient collectifs ou individuels. Cette réforme pourrait relancer l’idée d’accord de branche sur l’épargne retraite.
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