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Questions à Philippe Crevel, Directeur du Cercle de l’Épargne
Depuis le début de l’année 2022, tout concourt ou presque au succès de l’épargne réglementée, trois relèvements du taux du Livret A (passé de 0,5 à 3 %), un contexte anxiogène avec le retour de la guerre en Europe, un retour qui a provoqué une vague d’inflation sans précédent depuis quarante ans. Le Livret A et le Livret de Développement Durable et Solidaire ont ainsi battu record sur record, en termes de collecte et d’encours. Ils ont profité de l’inertie des fonds euros. Le rendement de ces derniers évolue avec retard par rapport aux mouvements des taux d’intérêt. Cela est dû à la duration des obligations qui les composent. Il convient de souligner que le rendement des fonds euros, qui a connu un point bas en 2021 à 1,28 %, offrait un rendement supérieur à celui du Livret A à l’époque (0,5 %). Par nature, la remontée du rendement des fonds euros est plus lente que celle de l’épargne réglementée, mais elle s’est engagée avec vigueur en 2022. La rémunération moyenne des fonds euros a été, en effet, de 2 %. Celle-ci dépend de considérations économiques et financières et non politiques, contrairement au Livret A.
Les taux d’intérêt devraient continuer légèrement à augmenter durant l’automne en lien avec les relèvements des taux directeurs de la BCE. Une stabilisation est attendue en fin d’année. En 2024, les taux devraient rester sur un plateau avant de redescendre, sans retrouver leur niveau d’avant 2022. Cette augmentation est plutôt positive pour la rémunération des fonds euros. Par ailleurs, les produits comme les dépôts à terme retrouvent une nouvelle attractivité tant pour les ménages que pour les entreprises.
Le ministre de l’Économie a décidé de geler, au mois de juillet, le taux du Livret A et du LDDS à 3 %. Il n’a ainsi pas retenu la formule prévue par le décret du 27 janvier 2021 au nom de circonstances exceptionnelles. L’application de la formule aurait abouti à un taux de 4,1 %. Un tel taux aurait renchéri la ressource qui sert de base à de nombreux prêts (bailleurs sociaux, PME, collectivités locales). Il aurait créé un déséquilibre marqué au niveau de la hiérarchie des taux en vertu de laquelle les produits d’épargne de long terme se doivent, au nom de la prise de risque, être mieux rémunérés que les produits de court terme. Enfin, le gouvernement a souhaité, à travers sa décision, marquer sa préférence dans la consommation qui, depuis le début de l’année, est en baisse. Pour autant, malgré le gel du taux du Livret A et du LDDS, ces deux produits ont, une nouvelle fois, battu, en juillet un record de collecte, témoignant de la forte propension des ménages, en France, à épargner. La collecte devrait néanmoins s’atténuer dans les prochains mois. Le deuxième semestre est traditionnellement plus « dépenses » et moins « épargne ». Les vacances, la rentrée scolaire, les fêtes de fin d’année sont des sources de dépenses. La baisse de l’inflation qui devrait se poursuivre pourrait également amener les ménages à reprendre le chemin de la consommation. Une amélioration du climat de confiance devrait profiter au produit d’épargne de long terme. L’assurance vie qui a connu une faible collecte nette au cours du premier semestre, 4,1 milliards d’euros, en raison de la décollecte sur les fonds euros, devrait obtenir de meilleurs résultats d’ici la fin de l’année. Les assureurs mettent en avant des promesses de rendements plus élevés de ces derniers. En moyenne, le rendement des fonds euros devrait se situer, en 2023, entre 2,5 et 2,8 %. L’écart avec le Livret A devrait ainsi se réduire. Par ailleurs, il ne faut pas oublier que l’assurance vie n’est pas assujettie à un plafond de versement, à la différence du Livret A ou du LDDS.
Le Livret A et le LDDS sont des produits d’épargne de court terme quand l’assurance vie est un produit de long terme dont la performance s’inscrit dans la durée. Avec la remontée des taux, les prochaines années devraient se traduire par une meilleure rémunération des fonds euros. Par ailleurs, cette remontée offre de nouvelles possibilités au niveau des unités de compte avec notamment l’intégration de titres monétaires, titres qui ont été délaissés depuis une trentaine d’années. Celles-ci sont également portées par l’évolution du cours des actions. Contrairement aux prévisions, les actions sont en hausse depuis le début de l’année. Les pertes de l’année 2022 qui sont intervenues après les records de 2021 ont été compensées au cours du premier semestre. Cette bonne tenue des actions s’explique par les bons résultats des entreprises. Autant de facteurs qui devraient inciter les épargnants à opter pour des placements de long terme et délaisser les livrets réglementés.
L’immobilier connaît depuis une vingtaine d’années une forte augmentation de ses prix. Cette augmentation déconnectée de l’évolution des revenus rend l’accession à la propriété de plus en plus difficile, en particulier pour les jeunes actifs. Les faibles taux d’intérêt, conséquence de la politique monétaire non conventionnelle mise en place après la crise financière, ont diminué le coût du crédit mais accentué la hausse des prix des logements. Des ménages ont bénéficié de l’effet de levier pour se constituer, grâce à l’emprunt, un patrimoine immobilier. Le parc locatif privé est possédé par un nombre de plus en plus limité de bailleurs. Pour les primo-accédants, la marche à franchir pour acheter un bien immobilier est devenue, au fil des années, de plus en plus haute. Pour devenir propriétaire, ils devaient emprunter des sommes plus élevées sur des durées de plus en plus importantes. Les autorités monétaires, avant même la hausse des taux d’intérêt, avaient souligné les déséquilibres dont souffrait le marché immobilier. Elles avaient durci les conditions d’accès à l’emprunt en abaissant le plafond d’endettement (taux d’effort fixé à 35 %). Malgré ce durcissement, le nombre de transactions a fortement augmenté dès la fin des confinements pour atteindre, entre 2021 et 2022, plus de 1,1 million. La demande de prêts a, à cette occasion, battu des records. De nombreux ménages ont souhaité, après l’épidémie de covid, habiter des logements plus grands, près du littoral, ou plus à la campagne. Il en a résulté de fortes hausses de prix dans certaines villes. Un retour à la normale était assez logique. Il aurait eu lieu même sans augmentation des taux. Celle-ci a amplifié l’atterrissage du marché qui était en ébullition. Les taux d’intérêt pratiqués au milieu de l’année 2023 sont proches de ceux d’avant la crise financière de 2008. En revanche, en termes réels, ils demeurent plus faibles, l’inflation étant aujourd’hui de plus de 5 % quand elle était entre 2 et 3 % à l’époque. Le volume de crédits distribués a, en un an, fortement diminué, mais il retrouve son niveau des années 2000. La baisse des prix demeure pour le moment limitée et sans comparaison avec celle enregistrée aux États-Unis ou au Royaume-Uni. Dans ces pays, les prix ont pu baisser de plus de 10 % en un an. En France, la baisse est freinée par la forte demande de logements. Le nombre de constructions de logements neufs reste faible et inférieur aux besoins. Il se situe en dessous de 350 000 quand il faudrait qu’il dépasse 500 000 durant plusieurs années. La raréfaction du foncier, la réglementation de plus en plus lourde en matière d’urbanisme et les coûts élevés de construction constituent des freins à celle-ci. La demande demeure importante en lien avec l’augmentation de la population et sa concentration dans certaines parties du territoire (agglomérations, littoral). Par ailleurs, la multiplication des divorces et des familles monoparentales conduit à l’augmentation du nombre de logements nécessaires. Enfin l’essor des locations saisonnières avec en perspective, pour l’Île-de-France, des Jeux Olympiques, pousse également à la hausse les prix de l’immobilier, des épargnants investissant dans ce type d’activité. Une forte et longue chute des prix de l’immobilier n’est pas le scénario le plus probable. Aux États-Unis, ils sont même repartis à la hausse malgré des taux d’intérêt pour les crédits immobiliers supérieurs à 7 %. Compte tenu de l’évolution des revenus des ménages, il serait, néanmoins, sain qu’un ajustement s’opère. Une diminution des prix de 10 à 15 % serait assez salvatrice. Aujourd’hui, une amorce d’ajustement s’opère à Paris et au sein des villes qui avaient connu une forte hausse ces dernières années comme Bordeaux. En revanche, des villes comme Marseille, Cannes ou Ajaccio enregistrent toujours des hausses de prix.
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