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Que faire de l’épargne Covid, de son éventuelle taxation à sa réorientation ?

Epargne 8 mars 2021

3 questions à Philippe Crevel, Directeur du Cercle de l’Épargne

L’épargne est en France un sujet de passion. Les inégalités patrimoniales tout comme l’épargne « Covid » sont de plus en plus montrées du doigt. Comment expliquez-vous qu’en France, l’épargne soit toujours une source de polémiques ?

Les Français figurent, avec les Allemands, parmi les meilleurs épargnants des pays dits avancés. Cette appétence en faveur de l’épargne est ancienne. Elle a résisté aux outrages des temps, aux révolutions, aux banqueroutes et à l’inflation. Par crainte de l’avenir, par habitude, pour doter leurs enfants, les Français mettent de l’argent de côté. La large diffusion du Livret A – plus de huit Français sur dix en disposent un – est le symbole de cette propension à épargner qui transcende les générations et les catégories sociales. Durant des décennies, cette épargne a plutôt été perçue comme une aubaine. L’épargne permet le financement de l’économie, que ce soit à travers les crédits dont elle est la base ou à travers les placements en fonds propres. L’épargne est dénigrée, car elle est assimilée à l’enrichissement sans travail même si elle est enfantée par ce dernier. Elle serait l’apanage des riches qui en ne consommant pas ne favoriseraient pas l’emploi. Dans notre pays, l’épargne renvoie aux rentiers du XIXsiècle qui ont pourtant disparu depuis bien longtemps. Plus de deux Français sur trois épargnent. En 2020, la collecte nette du Livret d’Épargne Populaire comme du Livret Jeune est redevenue positive, mettant un terme à dix ans de décollecte. Les jeunes épargnent de manière subie notamment en raison de la fermeture des bars et des différents lieux de loisirs. Nombre d’entre eux, surtout durant le premier confinement, ont rejoint le domicile familial, réduisant d’autant leurs dépenses. Les ménages les plus modestes épargnent évidemment par crainte du chômage ou d’une baisse de revenus. La vision d’un monde scindé en deux, les épargnants d’un côté, minoritaires et riches, faisant face à la grande majorité de la population dans le besoin est manichéenne et est avant tout un cliché très éloigné de la réalité.

La réorientation de l’épargne est dans notre pays est une histoire sans fin. Pensez-vous que les pouvoirs publics doivent et peuvent influer sur le comportement des épargnants ?

Les entreprises se financent à 66 % en France par le crédit, les rendant dépendantes des taux et de la conjoncture. Ces dernières années, elles ont profité de la baisse des taux d’intérêt pour s’endetter à faibles coûts. Cet effet d’aubaine n’est pas, à terme, sans conséquence. En cas de contraction de l’activité comme actuellement avec la crise sanitaire, les remboursements pèsent sur les résultats. Avec les mesures prises par le Gouvernement, cette contrainte est pour le moment faible ou plutôt reportée dans le temps. Les entreprises ont largement souscrit aux prêts garantis par l’État afin d’améliorer leur trésorerie. Elles devront les rembourser un jour ou l’autre ce qui constituera, le jour venu, une charge. Un financement par le marché est jugé plus efficient en particulier pour réaliser des investissements et des dépenses de recherche. Le succès des entreprises aux États-Unis est souvent associé à la vigueur du capital-risque et à la profondeur du marché « actions ».

Depuis une quarantaine d’années, les gouvernements ont souhaité réorienter l’épargne des ménages. Des Sicav Monory en 1978 à la loi PACTE de 2019 en passant par le Plan d’Épargne en Actions, les contrats d’assurance vie DSK et NSK et les fonds « eurocroissance », la liste des initiatives en la matière est longue et plus ou moins couronnée de succès. Parmi les succès, il convient de revenir sur l’initiative qu’avait prise René Monory Ministre de l’Économie au sein du gouvernement de Raymond Barre entre 1978 et 1981, en créant une nouvelle catégorie de SICAV ouvrant droit à une déduction fiscale. En deux ans, plus de huit cent mille personnes avaient acquis des parts de ces Sicav. Il faut également citer le Plan d’Épargne en Actions créé en 1992 qui a compté plus de 7 millions de titulaires avant de connaître un déclin jusqu’en 2019. Depuis deux ans, ce produit a renoué avec la croissance. Les contrats DSK ou NSK ainsi que les contrats génération vie qui sont des contrats d’assurance vie dont une partie des cotisations est affectée sur des supports actions déterminés n’ont, en revanche, pas rencontré le succès escompté. Il en est de même, du moins pour le moment, pour les fonds « eurocroissance ». La loi PACTE avec la création du Plan d’Épargne Retraite et qui comporte également plusieurs dispositions en faveur de l’épargne salariale est la dernière initiative en faveur de l’épargne longue. Malgré un contexte compliqué, le nouveau produit d’épargne retraite qui se substitue à la kyrielle de produits créés au fil de l’eau semble trouver son public. Ce produit correspond aux besoins et aux attentes des ménages qui souhaitent préparer leur future retraite. La France pâtit de l’absence de fonds de pension qui jouent chez nos partenaires un rôle important dans le financement des entreprises. Le Plan d’Épargne Retraite peut corriger cette faiblesse si son essor se poursuit. La crise sanitaire si elle est marquée par une forte progression de l’épargne de précaution a néanmoins révélé un changement de comportement de certains épargnants. Ainsi, au cœur de la crise, en pleine première vague, plus de 150 000 nouveaux actionnaires ont profité de la baisse des cours pour acquérir des actions. Sur l’ensemble de l’année, l’Autorité des Marchés Financiers a décompté plus de 400 000 nouveaux actionnaires. Les jeunes générations semblent plus enclines à prendre des risques en matière d’épargne. N’ayant connu que la baisse des taux, elles sont conscientes que le rendement ne peut pas se trouver au sein des produits d’épargne réglementée.

Avec la crise sanitaire, le taux d’épargne a atteint des sommets en France, qu’en sera-t-il, à votre avis, en 2021 ?

Le taux d’épargne des ménages a, selon la Banque de France, dépassé 18 % l’année dernière en raison de la forte baisse des dépenses de consommation. Cette épargne subie s’est muée, au fil de l’année, en épargne de précaution. Si après les deux confinements, les dépenses de consommation en biens ont très vite rebondi, celles liées aux services sont restées en retrait en raison des restrictions imposées par les pouvoirs publics. Les ménages, dans un contexte qui est, depuis un an, anxiogène, n’ont pas touché à leur épargne « Covid ». Une petite décollecte sur le Livret A a été simplement constatée en décembre. Comme l’enquête du Cercle de l’Épargne / Amphitéa / AG2R LA MONDIALE l’a révélé au mois de novembre dernier, les ménages souhaitent conserver un fort volant d’épargne de précaution tant que la situation sanitaire et économique ne s’est pas normalisée. La cagnotte « Covid » ne se dégonflera pas avant le second semestre et la montée en puissance de la vaccination. Compte tenu du maintien des mesures restrictives, couvre-feu, confinements locaux, les dépenses des ménages resteront contraintes dans les prochains mois. Il en résultera un fort taux d’épargne. La collecte du Livret A du mois de janvier, plus de 6 milliards d’euros, en est une des illustrations. Après de longs mois de privation, il n’est pas impossible qu’une petite euphorie gagne la population quand les mesures sanitaires seront levées. Il y aura alors la volonté de se faire plaisir en piochant un peu dans la cagnotte. Pour cela, il faut évidemment au préalable que l’épidémie soit endiguée et que la situation de l’économie ne se dégrade pas trop fortement.

A lire dans le Mensuel du Cercle de l’Épargne n°83 de mars 2021

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