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L’édito de Philippe Crevel, Directeur du Cercle de l’Epargne
Les Français sont coupables d’épargner. Par leur comportement, ils nuiraient à la consommation, à la croissance et aux recettes de l’État. Plusieurs voix se font entendre afin que le gouvernement se serve de l’épargne des ménages en la taxant ou en l’orientant. Les Français consacrent 18 % de leurs revenus à l’épargne. C’est trois points de plus qu’avant l’épidémie de covid. Ils figurent parmi les fourmis de l’Europe avec les Allemands. La succession de chocs depuis cinq ans ainsi que le vieillissement de la population expliquent l’augmentation du taux d’épargne. L’épargne est, par nature, une renonciation à la consommation. Elles est une décision libre et personnelle des Françaises et des Français. Ces derniers effectuent le choix d’arbitrer une partie des revenus pour faire face à des aléas, préparer leur retraite, financer l’acquisition d’un logement ou un projet professionnel, etc. Certes, la consommation en pâtit avec, à la clef, moins de recettes de TVA. Néanmoins, ce comportement est-il condamnable ? Sur le plan de la lutte contre le réchauffement climatique, cette frugalité est bienvenue. Les ménages consomment moins de biens industriels dont la production est source d’émissions de gaz à effet de serre. Ils évitent, par ailleurs, une aggravation du déficit commercial de la France. En effet, toute augmentation de la consommation génère celle des importations.
De manière singulière, aux yeux de certains, épargner équivaut à placer son argent sous son matelas ou dans un coffre. L’image de l’argent qui dort demeure une idée largement partagée. Or, l’épargne placée ou même sur un compte courant n’est pas improductive. Elle est à la base du système économique moderne. Elle est la clef de voûte du crédit et, plus globalement, du financement des acteurs économiques. Sans épargne, les banque ne peuvent pas prêter aux ménages ni aux entreprises. Sans épargne, l’État serait bien à la peine pour financer son déficit public. Sans épargne, la transition écologique resterait lettre morte. Le Livret A finance le logement social, le Livret de Développement Durable et Social les PME, l’assurance vie et le PER, les États et les entreprises. Ces dernières bénéficient également des ressources du Plan d’Épargne en Actions. Si la France n’a pas été plus durement dégradée par les agences de notations, elle le doit, en partie, à l’abondance de son épargne. Compte tenu des besoins de financement publics et privés, l’excès d’épargne est avant tout une vue de l’esprit. Sa baisse signifierait automatiquement des taux d’intérêt plus élevés. Pour d’autres, l’épargne permettrait d’effacer la dette publique, autre vue de l’esprit d’autant plus surréaliste qu’une part non négligeable de cette épargne sert déjà à la financer. L’effacement souhaité par certains rimerait avec banqueroute. Le recours à une telle pratique s’accompagnerait d’un refus des investisseurs de prêter le moindre fifrelin à l’État qui serait placé, de facto, sous tutelle du FMI ou de la BCE.
À défaut de s’en prendre directement à l’épargne, des voix se font entendre pour orienter fermement les épargnants afin qu’ils choisissent des placements soi-disant utiles. L’épargne devrait être ainsi orienté vers l’industrie, la défense, la transition énergétique, les services publics ; une véritable liste à la Prévert ! Cette orientation ,e répond qu’à un seul objectif, donner à l’État des moyens qu’il ne dispose plus sur le plan budgétaire afin de mener sa politique économique. Cette tentation de l’orientation de l’épargne n’est pas une idée neuve en France qui est championne en la matière avec de nombreux produits d’épargne réglementée comme le Livret A ou le LDDS, produits qui n’existent pas chez nos principaux partenaires. Avec la Caisse des dépôts et les banques, l’État joue, un rôle d’intermédiation en transformant de l’épargne courte en emplois longs. La propension des Français pour l’épargne de court terme et sans risque est souvent raillée mais, dans le même temps, les gouvernements multiplient ce type de produits en les dotant d’avantages fiscaux significatifs. Les épargnants ont bien plus de maturité que certains ne le croient. Ils sont clairvoyants, contrairement à certaines antiennes, Ils choisissent leurs placements en fonction de leurs objectifs. Ils privilégient la sécurité et la liquidité sans regarder avec attention le rendement. Dans les années 1980, ils ont plébiscité les SICAV monétaire qui répondaient alors au mieux à leurs attentes avant de se tourner vers les fonds euros de l’assurance vie. Plus récemment avec la hausse de son rendement, le Livret A a reçu toutes leurs faveurs. La bonne tenue des marchés « actions » a conduit à l’augmentation de la collecte des unités de compte et du nombre de Plans d’Épargne en Actions. Le succès du Plan d’Épargne Retraite, depuis 2019, y contribue par ailleurs. L’épargnant doit rester libre de choisir ses placements, ses supports. Dans le passé, les pouvoirs publics n’ont pas toujours été des investisseurs inspirés. De nombreux projets ou programmes publics en faveur de la sidérurgie, ou bien encore le plan calcul, ont donné lieu à des échecs retentissants. Les économies les plus florissantes sont celles où le financement des agents économiques n’est pas administré. L’Union européenne souffre de l’absence d’un véritable marché unifié des capitaux. La création de nouveaux produits franco-français irait à l’encontre de cette nécessaire unification.
L’idée d’une augmentation de la taxe forfaitaire unique de 30 à 33%, voire 35 % fait son chemin. Elle vise les dividendes que les actionnaires reçoivent mais aussi les intérêts perçus par les épargnants sur leurs produits de taux, hors produits exonérés. Cette éventuelle mesure ne concerne pas que les contribuables les plus riches. Elle concerne la quasi-totalité des épargnants, soit 7 Français sur 10. L’écart entre des produits sans risque comme le Livret A et les actions augmentera au détriment des secondes. Le relèvement du prélèvement forfaitaire est indéniablement un mauvais signal adressé aux épargnants comme aux investisseurs. Les dirigeants de PME seront les premiers pénalisés. Les pouvoirs publics auraient tout avantage à limiter le nombre de niches fiscales dont le coût est bien plus élevé que le gain espéré de la hausse de la « flat tax ».
Les Français doivent rester des épargnants libres de choisir leurs placements et pouvoir bénéficier d’un régime fiscal stable et performant. La flat tax, système d’imposition simple et efficace, ne doit pas être écornée dans le cadre d’une négociation budgétaire sur fond d’Assemblée nationale fragmentée.
Philippe Crevel
contact@cercledelepargne.com