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Les États-Unis face à la crise de leur système de santé

Prévoyance 8 avril 2025

Les États-Unis sont souvent associés aux technologies de l’information, à la Silicon Valley, ou encore à l’industrie de la défense. Pourtant, le secteur le plus important de leur économie, au sens du poids dans le PIB, est celui de la santé. Il représente près de 18 % de la richesse produite annuellement, soit deux fois plus que la moyenne des pays de l’OCDE. Ce poids économique colossal s’explique par une architecture de soins très particulière, profondément marchande, qui mobilise des ressources financières énormes, mais dont les résultats sanitaires sont parmi les plus médiocres du monde développé.

Dépenses massives, performances médiocres

Alors que les États-Unis consacrent en moyenne plus de 12 000 dollars par an et par habitant à la santé, soit près du double du Canada et de la France, l’espérance de vie américaine recule depuis plusieurs années. Les taux de mortalité prématurée (avant 70 ans) dus aux maladies cardiovasculaires, au diabète ou aux pathologies rénales sont nettement plus élevés qu’en Europe ou au Canada. Le pays affiche une mortalité infantile supérieure à celle de Cuba et un taux d’obésité record parmi les pays riches.

Un système inflationniste, fragmenté et peu régulé

L’inflation des coûts est en partie due à la nature même du financement du système américain, très largement assurantiel et fragmenté. Contrairement au Canada ou à la France, il n’existe pas d’assurance maladie universelle. La population est couverte par une mosaïque de programmes publics (Medicare pour les plus de 65 ans, Medicaid pour les plus pauvres, Veterans Health Administration pour les anciens militaires), d’assurances privées (individuelles ou via les employeurs) et de situations de non-couverture. Avant la réforme « Obamacare », environ 45 millions d’Américains n’avaient aucune assurance santé. Aujourd’hui encore, plus de 25 millions en sont dépourvus.

En France, la couverture maladie est universelle depuis 2000, renforcée par la protection complémentaire solidaire (ex-CMU-C). Au Canada, l’assurance santé publique (Medicare canadien) garantit également un accès universel aux soins hospitaliers et médicaux, bien que la couverture des médicaments et des soins dentaires dépende des provinces et des assurances privées complémentaires. Dans les deux cas, les prestations de base sont financées par l’impôt ou les cotisations sociales et non par des primes individuelles, ce qui réduit fortement les inégalités d’accès.

Tarification à l’acte vs enveloppes globales

Le système américain repose sur une tarification à l’acte généralisée, qui incite les hôpitaux et les médecins à multiplier les prestations. Aux États-Unis, un patient hospitalisé peut se voir facturer séparément la chambre, les examens, les médicaments, les soins infirmiers, l’anesthésie, l’intervention et même l’usage de certains équipements. Cette logique de paiement à la prestation alimente des comportements inflationnistes.

En France, bien que la tarification à l’activité (T2A) ait été introduite dans les hôpitaux publics et privés dans les années 2000, elle est depuis 2016 progressivement corrigée par des forfaits, des paiements au parcours ou des primes à la qualité. La Sécurité sociale reste l’unique payeur majeur, ce qui permet un pilotage macroéconomique via l’ONDAM.

Au Canada, les hôpitaux fonctionnent sur la base d’enveloppes budgétaires globales allouées annuellement par les provinces. Ce financement prospectif limite la tentation de surconsommer les actes médicaux, même si cela génère des files d’attente pour certaines interventions électives (opérations de la cataracte, prothèses, etc.).

Concentration hospitalière : une tendance globale

Aux États-Unis, la concentration du marché hospitalier s’est accélérée avec plus de 1 600 fusions d’établissements entre 2000 et 2020. Les grandes chaînes (HCA Healthcare, CommonSpirit, etc.) gèrent aujourd’hui la majorité des lits, avec un pouvoir de marché croissant face aux assureurs. Cette concentration permet peu d’économies d’échelle et entraîne au contraire une hausse des prix facturés.

La France suit également une logique de concentration, en particulier dans le secteur privé. Quatre groupes (Elsan, Ramsay Santé, Vivalto, Almaviva) contrôlent plus de 40 % des cliniques privées. Mais cette évolution s’inscrit dans un cadre régulé : l’Agence régionale de santé (ARS) autorise les capacités, le ministère fixe les tarifs et la régulation est renforcée par des missions de service public.

Au Canada, la structure hospitalière est publique dans chaque province, empêchant toute logique de concentration par le marché. Toutefois, la rationalisation des soins (fermetures de petits hôpitaux, recentrage des services) peut provoquer un éloignement de l’offre de soins, notamment dans les zones rurales.

La financiarisation, un phénomène américain

La financiarisation du système hospitalier est un trait distinctif du modèle américain. Les fonds de capital-investissement ont massivement investi dans les chaînes hospitalières, les centres de soins ambulatoires ou les cabinets de radiologie. La logique du retour sur investissement à court terme entre souvent en contradiction avec la qualité des soins. En France, même les cliniques à but lucratif sont soumises à une régulation étroite de leurs tarifs, tandis qu’au Canada, leur présence est marginale voire inexistante dans les services hospitaliers.

La montée de la logique lucrative dans les soins ambulatoires — rachats de cabinets, pressions sur les médecins pour des actes plus rentables — inquiète également en France, notamment dans certains territoires où les investisseurs rachètent des maisons de santé. Au Canada, la tentation d’autoriser des cliniques privées pour réduire les délais d’attente reste politiquement sensible.

Gouvernance et pilotage : trois modèles très distincts

Aux États-Unis, la gouvernance est éclatée. L’État fédéral finance Medicare, fixe les grandes orientations, mais n’a pas le pouvoir d’imposer un cadre uniforme. Les États ont chacun leurs règles pour Medicaid. Les assureurs privés, quant à eux, disposent d’un pouvoir de négociation et de sélection très important. Il en résulte un système très peu coordonné, peu transparent et source de gaspillages.

En France, le pilotage est national. L’Assurance maladie joue un rôle central, avec un panier de soins remboursés défini par la Haute Autorité de Santé. Les ARS assurent le déploiement régional de la politique de santé. L’État fixe les budgets, autorise les installations et évalue la qualité. Les professionnels de santé, pour la plupart libéraux, sont cependant fortement régulés.

Au Canada, la santé est une compétence provinciale dans le cadre d’un accord fédéral (Loi canadienne sur la santé). Ottawa verse des transferts financiers aux provinces, qui sont tenues de garantir un accès universel, intégral, public et transférable des soins hospitaliers et médicaux. Chaque province organise son système (réseau hospitalier, rémunération des médecins, politiques de santé publique), ce qui génère des écarts notables entre territoires (par exemple, entre l’Ontario et la Colombie-Britannique).

Résultats : efficacité, accessibilité, équité

Les comparaisons internationales (OCDE, Commonwealth Fund) classent régulièrement les systèmes canadien et français parmi les plus performants sur les critères d’équité, de couverture et de satisfaction des patients. Le système américain, malgré ses centres d’excellence et son innovation médicale, échoue sur ces dimensions.

Le Canada affiche une espérance de vie supérieure à celle des États-Unis, un taux de mortalité évitable inférieur et un niveau de satisfaction relativement stable. Il souffre néanmoins de temps d’attente importants. La France combine de bons indicateurs de santé publique avec un accès rapide aux soins, mais fait face à une crise démographique médicale et à une pression financière croissante.

Réformer : technologie ou vision ?

Les États-Unis misent aujourd’hui sur l’intelligence artificielle, les thérapies géniques, la télémédecine et la personnalisation des soins pour transformer leur système. Ces outils peuvent améliorer l’efficacité et la qualité des soins, mais ne résolvent pas le problème de fond : l’absence d’une régulation cohérente, d’un pilotage unifié et d’une couverture solidaire.

En France comme au Canada, la question se pose différemment : comment préserver des systèmes fondés sur la solidarité et l’accès universel tout en contenant les coûts et en modernisant l’offre de soins ? La télémédecine, la prévention, le virage ambulatoire, la valorisation des parcours de soins sont des pistes en cours d’expérimentation.

À l’heure où les États-Unis consacrent près d’un cinquième de leur PIB à la santé, la crise de leur système hospitalier soulève une question centrale : comment un tel niveau de dépense peut-il coexister avec des résultats sanitaires si médiocres et une défiance croissante de la population ? Vus de Washington, les systèmes français et canadien apparaissent plus vertueux : universels, encadrés, efficaces, malgré des défis réels.

Comparaison des systèmes de santé : États-Unis, France, Canada

 États-UnisFranceCanada
Dépenses de santé
(% du PIB)
17 % en 2022, un record au sein de l’OCDESupérieures à 12,3 % du PIB en 2023, parmi les plus élevées en Europe11,7 % en 2022, légèrement au-dessus de la moyenne OCDE
Système de remboursement des soinsSystème fragmenté et majoritairement privé, combinant assurances privées (souvent liées à l’emploi) et programmes publics (Medicare, Medicaid). Les remboursements varient fortement selon les contrats. L’absence de couverture entraîne des restes à charge élevés.Système universel et mixte, financé par cotisations sociales et impôts La Sécurité sociale couvre une large part des soins, complétée par des assurances complémentaires. Le reste à charge est le plus faible de l’OCDE : moins de 9 % en moyenne pour les ménages.Système public universel financé par l’impôt, principalement au niveau provincial. La couverture s’applique aux soins médicaux et hospitaliers essentiels, mais les médicaments, soins dentaires et optiques sont partiellement couverts par des assurances privées. Les listes d’attente sont fréquentes.
Espérance de vieEn 2023, l’espérance de vie à la naissance était de 76,9 ans pour les hommes et 81,8 ans pour les femmes. Elle est en recul depuis plusieurs années.En 2024, l’espérance de vie était de 80 ans pour les hommes et 85,6 ans pour les femmes. Elle est stable depuis la pandémie.En 2023, l’espérance de vie était de 80,2 ans pour les hommes et 84,6 ans pour les femmes, avec des variations entre provinces.
Accès aux soinsInégal et conditionné à la couverture. 25 millions d’Américains sont non assurés. Accès limité pour les ménages à faibles revenus ou sans emploi.Accès universel, avec inégalités géographiques croissantes (déserts médicaux). Les soins sont accessibles indépendamment du statut ou du revenu.Accès égalitaire en théorie, mais confronté à des temps d’attente importants pour certaines spécialités et interventions non urgentes.
Part du privé dans les dépenses de santéEnviron 50 % des dépenses sont privées (assurances, dépenses directes des ménages).Environ 20 % des dépenses sont privées (complémentaires santé, reste à charge)Environ 30 % des dépenses sont privées, principalement pour les soins non couverts (médicaments, optique, dentaire).
Pilotage et gouvernanceDécentralisé et éclaté : gouvernance partagée entre le fédéral, les États, les assureurs et les prestataires. Peu de régulation centrale.Pilotage national centralisé via l’État, l’Assurance maladie et les ARS. Politique de santé coordonnée et régulée.Pilotage provincial dans un cadre fédéral. Chaque province organise son propre système de santé dans le respect des principes de la Loi canadienne sur la santé.

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