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En matière d’épargne, les comportements des ménages sont souvent analysés à travers le prisme des produits financiers traditionnels tels que les livrets d’épargne, les comptes à terme, les contrats d’assurance vie ou encore les placements boursiers. Sont également pris en compte dans l’épargne les investissements directs dans l’immobilier, qu’il s’agisse de résidence principale ou secondaire, ou d’investissements immobiliers locatifs. Toutefois, l’épargne ne se limite pas à ces placements. Une forme d’épargne en nature, consistant à accumuler des biens de consommation non périssables comme les boîtes de conserve, les vêtements ou les produits surgelés, constitue une stratégie particulièrement répandue.
Qu’est-ce que l’épargne en nature ? L’épargne en nature renvoie à l’accumulation de biens tangibles destinés à être consommés à moyen ou long terme. Ces biens incluent des produits alimentaires non périssables (boîtes de conserve, produits lyophilisés, surgelés), des biens vestimentaires souvent achetés en solde ou en anticipation des besoins futurs, ainsi que des produits d’hygiène ou de nettoyage achetés en grande quantité lors de promotions.
Avec le passage de la vie nomade à la sédentarisation, il y a environ 10 000 ans, les premières communautés humaines ont commencé à produire et à stocker des excédents agricoles. L’épargne prenait alors la forme de réserves alimentaires : stockage de céréales, de légumineuses et de tubercules dans des silos ou des jarres pour prévenir les pénuries. Une partie des récoltes était conservée pour les saisons futures.
Les premières formes d’épargne agricole sont apparues dans les régions où l’agriculture a émergé, principalement dans le Croissant fertile, une région située au Moyen-Orient englobant le sud-est de la Turquie, la Syrie, l’Irak, l’Iran occidental, le Liban, Israël et l’Égypte. Elles sont étroitement liées à la révolution néolithique. Cette période marque la transition des sociétés humaines de chasseurs-cueilleurs nomades à des communautés sédentaires pratiquant l’agriculture et l’élevage.
L’élevage constitue également une forme d’épargne. À la différence de la chasse, qui impose une consommation rapide, l’élevage permet de gérer dans le temps l’apport en protéines. Les moutons, les chèvres et les bovins servaient donc de réserves alimentaires (lait, viande) mais aussi de biens d’échange ou de ressources pour les cérémonies religieuses. Les animaux, , pouvant être vendus ou échangés en cas de besoin, constituaient également une assurance.
De telles pratiques ont été constatées également en Chine avec le stockage du riz, qui commence vers 7 000 avant notre ère, en Amérique centrale avec les Mayas et les Aztèques qui stockaient du maïs, et en Afrique subsaharienne avec les sociétés pratiquant l’agriculture de l’igname et du mil, en utilisant des greniers en terre cuite.
Cette pratique de l’épargne en nature s’est perpétuée à travers les siècles. Les guerres et les épidémies ont incité les ménages à constituer des réserves. Malgré le développement de la société de consommation et la modernisation de la distribution, ce comportement perdure.
L’épargne en nature est une épargne de précaution. Les ménages qui la pratiquent souhaitent éviter tout manque ou toute pénurie. Ils cherchent à se prémunir des hausses de prix futures ou imprévues. Cette forme d’épargne offre une valeur d’usage immédiate et palpable, contrairement à des actifs financiers abstraits. Elle était largement pratiquée en période de guerre : sucre, conserves, sel, confitures et carburant étaient stockés par précaution.
Lors du déclenchement de la guerre en Ukraine en 2022, 20 % des ménages français ont déclaré avoir augmenté leurs achats de produits non périssables. La crise sanitaire de 2020 a renforcé ce comportement, avec une augmentation notable des stocks alimentaires dans les foyers (+15 % entre 2019 et 2021, selon le Crédoc).
En dehors des périodes de guerre et d’épidémies, les ménages ayant cette pratique profitent des promotions et des soldes. Ils achètent à contre-courant afin de bénéficier de prix plus faibles. Ils peuvent consacrer une pièce au stockage et possèdent généralement un ou deux congélateurs. En France, près de 35 % des achats alimentaires en grande distribution sont réalisés lors d’offres promotionnelles (Kantar, 2023).
Selon une étude de l’INSEE (2023), près de 25 % des ménages du premier quintile de revenus pratiquent régulièrement ce type d’épargne, soit environ 2,5 millions de foyers en France. Près de 70 % des ménages français estiment que constituer des stocks est une manière responsable de gérer leur budget (Crédoc, 2022). Cette pratique est plus développée en milieu rural, où les espaces de stockage sont plus importants et les racines agricoles plus proches qu’en milieu urbain.
Les comportements liés à l’épargne en nature varient d’un pays à un autre. En France, la priorité est donnée à l’achat de biens alimentaires non périssables. Les foyers consacrent 4 % de leur budget à des achats de précaution. Aux États-Unis, la culture du stockage est importante, notamment via le « bulk buying » (achats en gros) dans des enseignes comme Costco ou Sam’s Club. En 2022, 42 % des foyers américains ont déclaré pratiquer le stockage alimentaire en prévision de crises futures (Pew Research).
Au Japon, l’épargne en nature inclut des dispositifs de survie (kits d’urgence) en raison des risques sismiques : 78 % des ménages possèdent des stocks d’urgence (Ministère de la Résilience, 2023). Cette pratique est courante également en Israël en raison de la fréquence élevée des conflits militaires. En Europe du Nord, la pratique de l’épargne en nature est moins répandue. En Suède, seuls 12 % des foyers déclarent constituer des stocks alimentaires.
Cette épargne n’est pas sans inconvénient. En dehors des périodes d’inflation, elle rapporte peu ou rien. Pire, une étude de l’ADEME (2021) souligne que 20 % des produits stockés par les ménages français ne sont jamais consommés et finissent jetés. Contrairement à l’épargne financière, ces biens sont difficilement mobilisables, car ils ne peuvent pas être convertis immédiatement en liquidités.
L’épargne en nature illustre la diversité des stratégies mises en place par les ménages pour sécuriser leur avenir. Si elle est particulièrement prégnante chez les foyers modestes, cette pratique transcende les frontières et les cultures. Elle a traversé les siècles, malgré la société de consommation et l’avènement de l’État-providence.
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