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L’enfer n’est jamais certain

Epargne 7 septembre 2021

3 questions à Philippe Crevel, Directeur du Cercle de l’Epargne

Pour le moment, la chronique d’un désastre économique annoncé à grands coups de trompette ne s’est pas produite. Comment expliquez-vous les bons résultats économiques en particulier en ce qui concerne les défaillances d’entreprise et l’emploi ?

Depuis le mois de mars 2020, les pouvoirs publics sont intervenus sans limite ou presque pour compenser les effets économiques de la crise sanitaire. Le déficit public s’est accru en quelques mois de 6 points de PIB et la dette publique est passée de 98 à 118 % du PIB. Cette hausse représente 400 milliards d’euros. Le pouvoir d’achat des ménages n’a pas été ou a été peu touché par les confinements. Si les entreprises ont massivement recouru aux Prêts Garantis par l’État (PGE), leur endettement net a faiblement augmenté. De nombreuses entreprises ont bénéficié du chômage partiel et du fonds de solidarité. Par ailleurs, les pouvoirs publics ont rapidement déployé des plans particuliers pour soutenir des secteurs en grande difficulté comme l’aviation par exemple. Les effets économiques de la crise ont été pris en charge par les administrations publiques à plus de 80 %. La croissance de plus de 18 % du PIB au troisième trimestre 2020 avait prouvé la forte capacité de rebond de l’économie française. Les vagues successives de l’épidémie ont évidemment provoqué un tassement de la croissance mais elles ont eu de moins en moins de conséquences, preuve que les entreprises, les ménages s’adaptent au contexte sanitaire dégradé. Depuis la fin du troisième confinement, la progression de la demande est sensible. Les ménages ont rapidement repris le chemin des magasins, des bars et des restaurants. Le climat de confiance et celui des affaires ont progressé fortement. Après de longs mois de contraintes sanitaires, les Français ont souhaité se faire plaisir. Les achats d’amélioration des logements demeurent particulièrement dynamiques. Les confinements ont incité les Français à revoir leurs conditions de vie et à s’équiper en matériel informatique pour pouvoir télétravailler. L’arrivée de la quatrième vague devrait tempérer le rebond mais sans l’annihiler. Les entreprises face à ce vif rebond sont confrontées à des problèmes d’approvisionnement en biens finaux ou intermédiaires et en matières premières. Avec les plans de relance que tous les États avancés ont engagés, la demande surpasse l’offre d’autant plus que l’épidémie a désorganisé de nombreux circuits de distribution. Plus étonnante est l’apparition de goulots d’étranglement au niveau de la main-d’œuvre. Malgré un sous-emploi persistant, un nombre croissant d’entreprises éprouvent des difficultés à recruter. Les secteurs du bâtiment, de la restauration, de l’hébergement et de l’informatique sont particulièrement touchés. Avec l’arrêt de leur travail durant de longs mois, de nombreux salariés des bars et des restaurants ont changé d’activité, certains ont été embauchés par le secteur du bâtiment, d’autres se sont lancés dans la livraison à domicile. Par ailleurs, des personnes en âge de travailler ne sont pas encore revenues sur le marché du travail attendant le mois de septembre pour le faire. Ce contexte explique la baisse rapide du chômage qui est passé de 9,1 à 8 % du troisième trimestre 2020 au premier trimestre 2021. Il serait depuis de 7,6 %. Le nombre de demandeurs d’emploi a quasiment retrouvé, à la fin du mois de juin, son niveau d’avant crise. Après avoir culminé à plus de 4,6 millions au cours de l’année 2020, ce nombre est revenu, à la fin du mois de juillet, à 3,6 millions pour l’ensemble de la France. Le nombre de défaillances d’entreprises demeure contre toute attente à un point bas historique. Au mois de juillet, en rythme annuel, le nombre de faillites, en France, s’élevait à 27 896. Avant la crise sanitaire, le nombre de faillites était de 50 000 par an.

Quelles sont les perspectives économiques pour les prochains mois et pour 2022 ?

De nombreuses incertitudes pèsent sur l’évolution de la croissance. Les sacs et ressacs de l’épidémie continueront d’influencer la conjoncture. La confiance des ménages dépendra encore, pour de nombreux mois, du covid et de ses variants. La croissance sera influencée par la part des revenus qu’ils consacreront à l’épargne. La gestion de la fin du quoi qu’il en coûte ne sera pas non plus sans conséquence sur l’activité. Par ailleurs, la transition énergétique qui est aujourd’hui engagée aura également un impact sur la croissance, impact qui reste pour le moment difficile à apprécier.

À court terme, le second semestre 2021 devrait être marqué par une nette accélération de la croissance en relation avec le niveau élevé de la consommation et la reprise de l’investissement. Pour l’ensemble de l’année, la prévision de 6 % de croissance paraît, pour la France, atteignable. Le plan de relance européen commencera à avoir des effets dans les prochains mois. Plusieurs chantiers de restauration de bâtiments publics ont été lancés grâce au financement européen. Il faut espérer que les crédits ne soient pas exclusivement affectés au secteur du bâtiment qui est déjà en surchauffe. La recherche, l’innovation, la formation, constituent des points clefs pour la pérennité de la croissance dans les prochains mois. Si, malgré la persistance de l’épidémie, un consensus se dégage en faveur de la reprise en 2021 et en 2022, la question porte sur sa durabilité. Si elle s’étiole rapidement, faute de carburant, les pays occidentaux risquent rapidement de renouer avec la stagnation qu’ils connaissaient avant la crise. Or, pour financer la transition énergétique, le vieillissement ainsi que la formation des jeunes et des actifs, un taux de croissance supérieur à 2 % est nécessaire. Il est indispensable de dégager des gains de productivité. Cet objectif suppose une moindre aversion aux risques et une augmentation sensible des investissements.

L’évolution de la politique monétaire et budgétaire est l’interrogation des prochains mois. Aux États-Unis, avec l’augmentation du taux d’inflation, des pressions s’exercent en faveur d’une sortie plus rapide que prévu de la politique monétaire extra-accommodante. Il pourrait en résulter une hausse des taux et une appréciation du dollar pouvant contrarier la croissance américaine voire de l’économie mondiale. Au niveau européen, la Banque Centrale Européenne ne devrait pas changer de politique d’ici le second semestre 2022, d’autant plus si le taux d’inflation de la zone euro demeure faible. Cette temporisation sera de mise car plusieurs États pourraient être mis en difficulté en cas d’augmentation des taux. Fin 2022, début 2023, les politiques budgétaires devraient être moins expansives. Le retour à des déficits plus décents aura mécaniquement un effet déflationniste. La France est en première ligne sur ce sujet avec un déficit public qui évolue, en 2020 et en 2021, autour de 9 % du PIB. Aux États-Unis, il devrait atteindre 15 % cette année. La normalisation sera un exercice de haute voltige qui pourrait générer des tensions au sein de la zone euro en cas d’absence de coordination. Les taux de change et les taux d’intérêt pourraient connaître des fluctuations au niveau international avec, par voie de conséquence, des tentations protectionnistes.

Quel est le destin de la cagnotte covid ? Les Français seront-ils cigales ou fourmis ?

Depuis le début de la crise sanitaire, les Français ont mis de côté 120 à 140 milliards d’euros en plus de ce qu’ils épargnent traditionnellement. Cette « surépargne » est l’expression d’une renonciation contrainte et forcée à la consommation lors des différents confinements. Par ailleurs, par crainte de l’avenir, les Français ont préféré être prudents en matière de dépenses. Ils ont opté avant tout pour la liquidité et la sécurité. Les dépôts à vue, l’épargne réglementée et les livrets bancaires ont enregistré une forte hausse de leur encours. Celui des dépôts à vue a augmenté de 88 milliards d’euros du mois de mars 2020 à juin 2021, pour atteindre 500 milliards d’euros. Trois mois après le troisième confinement, les ménages ont réduit leur effort d’épargne qui retrouve progressivement sa tendance de long terme. La collecte du Livret A a été nulle en juin et s’est élevée à 1,15 milliard d’euros en juillet. Le taux d’épargne, qui a dépassé les 25 % durant l’année 2020 pourrait revenir, en 2022, à 15 % sauf rebond de la crise sanitaire. En revanche, pour le moment, les ménages ne puisent pas dans la cagnotte. Il n’y a pas de phénomène de désépargne. Les Français échaudés par la succession des confinements n’entendent pas se découvrir. Face aux incertitudes, ils maintiennent un fort volant de liquidités. En moyenne, chaque ménage français disposait de plus de 17 000 euros sur son compte courant fin juin, soit l’équivalent de plus de cinq fois leurs revenus mensuels (3 060 euros). Il est admis que le montant moyen jugé normal sur un compte courant correspond à trois mois de revenus. Par ailleurs, la collecte du Livret A et du LDDS a atteint, depuis le mois de mars 2020, plus de 50 milliards d’euros. Comme pour les dépôts à vue, la décrue n’a pas encore commencé. Du fait de la saturation d’un nombre croissant de Livrets A, les ménages placent une partie de leurs liquidités sur les livrets bancaires qui ne rapportent pourtant qu’en moyenne 0,1 % (données Banque de France – juillet 2021). L’expérience nous apprend que l’épargne de précaution ne retrouve pas son niveau d’avant crise quand cette dernière est terminée, et qu’un crantage vers le haut s’opère. La succession rapide des crises, l’aversion croissante aux risques avec le vieillissement de la population et une moindre addiction aux dépenses de consommation sont fréquemment citées pour expliquer ce phénomène. Il faudra une période de normalisation relativement longue pour arriver à un réel redéploiement de l’épargne des ménages. Si la grande partie de l’épargne covid est liquide, une petite partie a profité aux actions. À la différence des précédentes grandes récessions, les Français ne se sont pas détournés de ce type de placement. Après la chute des mois de mars et avril 2020, le rebond rapide a incité des Français à rester en bourse, voire à y entrer. La baisse du rendement des produits de taux, dont celui des fonds euros, provoque l’augmentation de la collecte en unités de compte pour l’assurance vie et l’ouverture de nouveaux Plans d’Épargne en Actions. Avec l’arrivée d’épargnants plus jeunes, plus connectés, prêts à prendre plus de risques, la montée en puissance du placement « actions » devrait se poursuivre, sauf krach évidemment. La politique monétaire de la BCE qui devrait rester accommodante pour de nombreux mois constitue un soutien indirect aux cours des actions.

A lire dans la Lettre N°89 de septembre 2021

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