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Dans un passé pas si lointain, la réforme était parée de vertus cardinales. Valéry Giscard d’Estaing aimait ainsi à se présenter comme réformiste. Il a, à ce titre, durant son mandat réussi, non sans difficulté, plusieurs grandes réformes dont celle évidemment du droit à l’avortement. Réforme et progrès faisaient alors corps unique. Aujourd’hui, ce mot est connoté négativement, devenu synonyme de régression, de remise en cause des droits supposés acquis. Pour être honnête, les années 1960/1980 ont été une parenthèse.
La France a toujours été rétive au changement qu’il soit social, économique, politique ou sociétal. Pour reprendre l’expression d’Edgar Faure, « la France bouge par secousses ». Bien souvent, ce n’est qu’au bord du précipice qu’elle se décide à adapter ses structures. Les nombreuses révoltes et révolutions symbolisent également cette incapacité à évoluer sans rupture, en douceur. En quarante ans, le monde a changé. Les années de la reconstruction, des Trente Glorieuses, du baby-boom sont loin derrière nous.
La Chine est devenue la deuxième puissance économique mondiale. Elle pourrait prochainement se hisser au premier rang, rang qu’elle occupa durant de très nombreux siècles avant le début de la révolution industrielle en Europe. L’informatique, le digital, les communications ont modifié en profondeur l’organisation des sociétés. Le réchauffement climatique, peu abordé en 1983, occupe désormais tous les esprits. La décarbonation des activités n’était pas alors un sujet majeur.
L’Europe, le Japon mais aussi des pays émergents comme la Chine sont confrontés à un vieillissement de grande ampleur. Les rapports de forces géopolitiques ont profondément évolué. L’Europe s’est réunifiée, le PIB mondial est aujourd’hui assuré par les pays émergents quand en 1973, les pays de l’OCDE en assuraient plus de 70 %. « Il faut que tout change pour que rien ne change », cette maxime du film Le guépard semble illustrer la situation de la France comme le prouve la sédimentation des blocages et l’absence de consensus. La parole publique ne fait plus sens, car elle s’est banalisée. À force de promettre monts et merveilles, elle a perdu en crédibilité.
Quand les gouvernements affirment haut et fort que leur réforme des retraites est la « der des der », ils mettent les successeurs en difficulté car en la matière, rien ne peut être figé pour l’éternité. La retraite est à l’image du corps social : elle doit s’adapter en permanence. Financer les pensions de 5 millions de retraités en 1981 avec une population active en forte augmentation n’est pas la même chose qu’en verser à 23 millions de retraités, chiffre attendu pour le milieu du siècle.
Au-delà des déficits, la problématique des retraites tourne autour de deux grandes questions : la répartition des charges entre actifs et inactifs ; le montant des pensions versées. En France, les retraites absorbent 14 % du PIB, ce qui place le pays au deuxième rang mondial dans ce domaine. Les revenus des retraités sont issus à 85 % des régimes par répartition financés par les actifs.
Chez nos partenaires, ce ratio est en moyenne de 70 %. La France a fait, après la Seconde Guerre mondiale, le choix du tout répartition, ce qui était à l’époque la meilleure des solutions. L’erreur a été de ne pas faire monter en puissance la capitalisation, à compter des années 1980/1990, afin de mettre en place de réels suppléments de retraite. Aujourd’hui, la France, pour financer un État-providence qui absorbe plus de la moitié de la richesse nationale, se doit de maintenir un système productif le plus performant possible, ce qui suppose un taux d’emploi élevé. Or, la machine économique française s’atrophie par manque de travail et de compétences.
Pour financer les retraites, pour maintenir à niveau les prestations sociales, il est indispensable d’accroître le volume de travail et de gagner en productivité. La vie d’une nation ne peut pas se résumer à la lutte contre les déficits. Les gouvernements ont le devoir de tracer des routes, des perspectives qui enrôlent un grand nombre de Français. « Les larmes, le sang et la sueur » cela ne vaut qu’un temps. Sans promettre l’eldorado, en cette période de vœux, des objectifs clairs et positifs seraient des atouts pour faire accepter, par ailleurs, des réformes. Les Français ont été fiers de leur Concorde, de leur paquebot Le France, de leurs centrales nucléaires ou de leurs TGV. Pour réformer, il est indispensable d’être ambitieux !
Jean-Pierre Thomas
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