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L’édito de Jean-Pierre Thomas « pour ne pas terminer seul au monde »

Les éditos du Président 13 juin 2024

Dans son essai « Théorie générale de la population » paru en 1954, l’économiste français Alfred Sauvy démontra l’interdépendance de la démographie et de la croissance. Récusant les théories malthusiennes, il se prononçait en faveur d’un taux de fécondité relativement élevé. Soixante-dix ans plus tard, la France, comme bien d’autres pays, est confrontée à un net recul de la natalité mettant à mal sa croissance et le financement de ses dépenses publiques.

La dénatalité ne date pas du XXIe siècle. La France en a connu les affres dès le XIXe siècle. Elle est un des premiers pays à être, en effet, entré dans le processus de transition démographique et à tenter d’en réduire les effets. Le taux de natalité est passé de 31,2 ‰ entre 1816 et 1830 à 26,3 ‰ sous le Second Empire pour atteindre 19,6 ‰ en 1911.

L’amélioration des conditions sanitaires rendant moins nécessaire un grand nombre d’enfants par famille explique cette chute. Elle est également la conséquence de changements économiques et sociologiques. En France, dès le XVIIIe siècle, de plus en plus de paysans deviennent propriétaires de leur terre. Afin d’éviter une dispersion du patrimoine chèrement acquis à leur décès, ces derniers tendent à réduire leur progéniture.

Les guerres révolutionnaires et napoléoniennes, en provoquant entre 600 000 et 1,3 million de décès en France, ont également contribué d’une manière non négligeable au déclin démographique au XIXe siècle, obligeant le pays à recourir rapidement à l’immigration. Le droit du sol est institué en 1851 afin de faciliter l’intégration dans l’armée des enfants nés en France de parents étrangers. Le nombre d’étrangers passe de moins de 400 000 à plus d’un million de 1850 à 1914.

La Première Guerre mondiale, avec ses 1,4 million de morts (plus du quart des 18/27 ans disparaissent alors), amène à une nouvelle vague d’immigration. Le nombre d’étrangers est alors porté à plus de 3 millions au début des années 1930. Après la Seconde Guerre mondiale, afin d’accélérer la reconstruction et accompagner l’essor économique sans précédent, le recours à l’immigration s’amplifie.

En 2022, la population étrangère vivant en France s’établit à 5,3 millions. En prenant en compte ceux qui ont demandé la nationalité française, le pays compte 7 millions d’immigrés soit 10 % de la population totale, contre 3,7 % en 1920. Les différentes vagues d’immigration se sont accompagnées de tensions parfois extrêmes avec, par exemple, le massacre des Italiens d’Aigues-Mortes, en 1893 faisant suite à un pogrom toujours contre les Italiens à Marseille en 1881.

L’immigration a permis, ces dernières années, à la France d’avoir, comme les États-Unis, un taux de fécondité supérieur à la moyenne de celui des pays occidentaux. Mais, depuis quelques années, ce dernier a repris son mouvement de baisse et tend à se rapprocher de la moyenne européenne. Le renouvellement générationnel n’est plus assuré. Dans un grand nombre de pays, le taux de fécondité se situe entre 1,3 et 1,5. Il est même de 0,8 en Corée du Sud.

De nombreux facteurs peu concluants sont mis en avant pour expliquer la reprise du processus de recul de la fécondité : les crises économiques, le taux d’activité des femmes, l’individualisme, les difficultés d’accès au logement, le réchauffement climatique, etc. Les familles se rétrécissent.

Autrefois, un enfant avait au moins un ou deux frères et sœurs et de nombreux cousins ou cousines. Dorénavant, la parentèle se réduit au strict minimum. Dans le passé, les seniors étaient pris en charge par la famille au sens large du terme. Cela devient une mission de plus en plus impossible. Aujourd’hui, en milieu urbain, les personnes âgées vivent souvent seules avec peu ou pas de descendants. La charge de leur gestion est ainsi transférée sur les pouvoirs publics qui doivent pallier la disparition des liens familiaux. La nation s’en trouve doublement pénalisée car faute d’enfants, l’assiette fiscale tend à s’atrophier. « Seuls au monde », tel pourrait être le slogan des retraités dans les prochaines années.

Faut-il dans ces conditions pour reprendre le slogan présidentiel et « réarmer démographiquement la France » ? Un boom de naissances aurait, sans nul doute, un effet positif sur la demande et, dans une vingtaine d’années, sur l’emploi, mais le problème, c’est que la natalité ne se décrète pas. Celle-ci n’a pas augmenté en Chine, malgré l’abandon de la règle de l’enfant unique. Les politiques natalistes dans plusieurs pays d’Europe, dont l’Allemagne, ont eu des effets limités.

Les considérations financières, même si elles sont importantes, ne sont pas les seules à peser sur le désir d’enfants. Celui-ci dépend de la confiance de la population dans l’avenir. Le baby-boom des années 1945–1973 traduisait la volonté des Européens de rebâtir une société tournant le dos à la sombre période des années 1930 et de la Seconde Guerre mondiale. Il y avait une volonté d’expiation et surtout un réel espoir de changement porté par une foi dans le progrès. Le rebond de la natalité, dans les prochaines années, suppose avant tout une plus large confiance dans l’avenir !


Jean-Pierre Thomas

Président du Cercle de l’Épargne

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