menu

Accueil > Etudes > 2019 > Le Rapport Libault : « Grand âge et autonomie »

Le Rapport Libault : « Grand âge et autonomie »

Etudes 24 avril 2019

Le rapport de Dominique Libault, « Grand âge et autonomie », a été présenté le jeudi 28 mars 2019 à la presse. Il a pour ambition de donner des pistes de réforme aux pouvoirs publics afin d’améliorer le traitement de la dépendance en France. Avec ses 175 propositions, il entend aborder cette question sous tous ses aspects, des problèmes d’image des seniors dans la société à la question du financement de la dépendance en passant par l’adaptation des logements et la formation du personnel des EHPAD. Cet effort a l’inconvénient de sa qualité. En voulant être exhaustif, le rapport tend à diluer les propositions les plus marquantes. Les propositions sur le financement apparaissent en retrait par rapport au défi à relever dans les années 2030/2040. En privilégiant le recours à la CRDS, elle suppose un retour à bonne fortune des comptes de la protection sociale. Compte tenu des évolutions démographiques, des contraintes économiques, ce retour à bonne fortune n’est en rien garanti. Le rapport rejette l’idée d’une assurance dépendance obligatoire. Ce refus est justifié au nom de la solidarité et de la volonté de ne pas augmenter les prélèvements obligatoires.

L’état des lieux connu

Pour dresser l’état des lieux de la dépendance et son évolution prévisible, le rapport reprend les travaux réalisés par le Ministère des Solidarités et de la Santé. Ainsi, en 2015, 2 millions de personnes sont en situation de perte d’autonomie ; 1,459 million vivent à domicile et 584 000 sont en établissement. 1,265 million de personnes touchaient, en 2015, l’Allocation personnalisée d’autonomie (APA) et 74 000 la prestation de compensation du handicap ou l’allocation compensatrice pour tierce personne. Selon les critères retenus, entre 9 et 14 % des plus de 60 ans sont en perte d’autonomie. Le taux de prévalence est fonction de l’âge. Ainsi, 17 % des hommes et 20 % des femmes de plus de 85 ans sont dépendantes (GIR 1 à 4).

D’ici 2030, le nombre de personnes âgées dépendantes augmenterait selon les scénarii de 200 000 à 410 000. Le nombre de bénéficiaires potentiels de l’APA pourrait passer de 1 265 0000 à 1 582 000 en 2030 et à 2 235 000 en 2050.

Les dépenses liées à la perte d’autonomie représentaient en 2015, selon le rapport, 1,4 % du PIB, soit 30 milliards d’euros. 23,7 milliards d’euros sont pris en charge par les pouvoirs publics et 6,3 milliards d’euros par les ménages. Ces dépenses ne prennent pas en compte le travail informel des aidants bénévoles dont la valorisation est estimée de 7 à 18 milliards d’euros. La France compterait 3,9 millions d’aidants.

Les dépenses liées à la dépendance comprennent les soins pour 12,2 milliards d’euros pris en charge à 99 % par l’assurance-maladie, les dépenses d’accompagnement (aides humaines et techniques, aménagement du logement) représentant 10,7 milliards d’euros et les dépenses d’hébergement à hauteur de 7,1 milliards d’euros. Il faut également ajouter 4,4 milliards d’euros de dépenses dites de gîte et de couvert dans les établissements.

Les ménages financent essentiellement des dépenses de dépendance (accompagnement) pour 2,1 milliards d’euros et les dépenses d’hébergement pour 3,8 milliards d’euros. Les collectivités locales (essentiellement les départements) contribuent aux dépenses de dépendance (4,4 milliards d’euros) et à celles d’hébergement (1,2 milliard d’euros).

La France compte 590 000 lits d’EHPAD en 2017, contre 500 000 en 2007. Les effectifs se sont accrus ces dernières années. Entre 2007 et 2015, le nombre d’emplois en équivalent temps plein est passé de 57 à 63 pour 100 personnes résidentes.

Si les Français expriment leur volonté de rester le plus longtemps à domicile, le nombre de personnes dépendantes en établissement y est pourtant parmi les plus élevés d’Europe. Il est deux fois supérieur à celui constaté en Suède ou au Danemark.

Les restes à charge sont de 1 800 euros par mois en moyenne pour les résidents des EHPAD. Ce coût important est à mettre en parallèle avec le montant moyen des pensions (1 300 euros). Il est à signaler que le niveau de vie des retraités français figure parmi les plus élevés de l’OCDE. Par ailleurs, trois résidents sur quatre n’éprouvent pas de problème pour financer leur place en EHPAD. Le rapport souligne néanmoins que les personnes dont les revenus se situent entre 1 000 et 1 600 euros par mois sont pénalisées car elles bénéficient de peu d’aides. À 90 %, le maintien à domicile serait solvabilisé.

Le rapport pointe enfin du doigt le problème de la formation des personnels en charge de la dépendance, que ce soit ceux salariés en EHPAD ou ceux intervenant à domicile.

Les préconisations du rapport

Les auteurs du rapport mettent l’accent sur la nécessité de changer l’image de la dépendance en France. Ainsi, l’action publique devrait se fixer quatre objectifs pour donner du sens au grand âge :

  • Renouveler les représentations sociales du grand âge en sensibilisant le public à la nécessité d’inclure la personne âgée dans la vie de la cité ;
  • Renforcer l’intégration de la politique du grand âge et des autres politiques publiques pour diffuser, en transversalité, la prise en compte du grand âge dans les évolutions du cadre de vie ;
  • Faciliter l’accès des personnes âgées à des solutions innovantes de mobilité, d’adaptation des logements et d’amélioration du quotidien ;
  • Affirmer en tout lieu la dignité de la personne âgée en promouvant la bientraitance et en assurant un traitement efficace et systémique des cas avérés de maltraitance.

Les rapporteurs souhaitent que la maltraitance des personnes âgées donne lieu à une surveillance accrue et que des mesures soient prises afin de l’endiguer. Ainsi, ils proposent l’organisation d’un réseau départemental d’alerte chargé du recueil des signalements de maltraitance sur les territoires.

Les rapporteurs jugent nécessaire de mieux prendre en charge les aidants qui sont souvent menacés d’épuisement, de découragement, et d’affaiblissement de leur propre santé.

Les rapporteurs ont insisté sur la nécessité d’améliorer quantitativement et qualitativement l’accompagnement des personnes âgées dépendantes. Cela suppose un effort de formation et de revalorisation des filières. Ils insistent sur l’indispensable simplification du système d’accompagnement et de soin. La coordination des différents intervenants devrait être améliorée. Les auteurs du rapport jugent nécessaire de sortir du simple face-à-face, maintien à domicile et EHPAD. Le développement de structures intermédiaires (accueil de jour, accueil familial, accueil temporaire) apparaît comme une solution pour permettre un meilleur accompagnement.

Le rapport mentionne la nécessité de simplifier les prestations avec comme objectif une réduction du coût de séjour en établissement pour les personnes les plus modestes.

Un effort en matière de prévention est jugé indispensable afin que la France puisse rattraper son retard en la matière.

Les rapporteurs demandent que les droits des personnes dépendantes soient reconnus et qu’elles puissent rester citoyennes à part entière.

Les propositions

La dépendance, un risque à part entière

Le rapport prend parti en faveur de la reconnaissance de la perte d’autonomie comme un risque de protection sociale à part entière. Ce risque serait intégré en tant que tel dans les lois de financement de la Sécurité sociale. Cette reconnaissance devrait s’accompagner de la mise en place d’outils statistiques et d’actions de recherche en faveur des personnes dépendantes. En revanche, il est affirmé qu’elle ne devrait pas donner lieu à une hausse des prélèvements obligatoires.

De nouvelles modalités d’accueil et rénovation des EHPAD

Les auteurs du rapport demandent la création d’un réseau des Maisons des aînés et des aidants sur l’ensemble du territoire. Ces maisons joueraient le rôle de guichet unique et de coordinateur.

Un plan national pour les métiers du grand âge devrait être lancé afin d’en améliorer l’attractivité et de faciliter la montée en compétences.

Une hausse des effectifs en établissement est réclamée. L’objectif est d’augmenter de 25 % le taux d’encadrement en EHPAD d’ici 2024. L’effort financier est évalué à 550 millions d’euros.

Afin d’éviter les ruptures dans la prise en charge des personnes dépendantes, il est proposé d’instituer un parcours de santé et d’autonomie pour les personnes âgées. Dans les établissements de santé, une filière spécifique devrait être créée afin d’accueillir convenablement les personnes dépendantes et notamment celles souffrant de polypathologie.

La création d’un fonds d’accompagnement et de restructuration de 150 millions d’euros est prévue afin de développer les accueils de jour et les accueils temporaires. Un autre fonds de 150 millions est mentionné pour financer les actions relatives à la qualité de vie au travail au sein des EHPAD. Un plan de rénovation de ces établissements devra être mené et pourrait porter sur 3 milliards d’euros sur 10 ans. Le rapport fait dans la sémantique en proposant de changer le nom des EHPAD qui deviendraient « des maisons du grand âge » ou « des maisons médicalisées des seniors ».

La refonte des prestations

L’APA serait remplacée par une nouvelle prestation autonomie pour les personnes dépendantes maintenues à domicile. Elle comporterait trois volets : aides humaines, aides techniques, répit et accueil temporaire.

En établissement, les sections tarifaires « soins » et dépendance » seraient fusionnées. Une nouvelle allocation serait instituée afin de diminuer le reste à charge à 300 euros des personnes hébergées en EHPAD dont les revenus seraient compris entre 1 000 et 1 600 euros. Un bouclier « autonomie » serait institué afin d’annuler le reste à charge pour les personnes en perte d’autonomie lourde au-delà de la quatrième année. Le rapport prévoit également une indemnisation du congé de proche aidant.

Une action de sensibilisation à la dépendance devrait être menée sur tout le territoire à destination de la population âgée entre 50 et 75 ans.

Le financement de la dépendance

Le rapport considère qu’à compter de 2024, les pouvoirs publics pourront compter sur la Contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS) du fait de l’extinction de cette dernière. Actuellement, la CRDS constitue un prélèvement de 0,5 % de la quasi-totalité des revenus des ménages. Les rapporteurs estiment qu’il sera possible de conserver l’assiette et de modifier le cas échéant le taux. Évidemment, cela suppose que la Sécurité sociale soit à l’équilibre ou en excédent. Or, compte tenu de l’évolution des besoins en matière de santé et de retraite, cela n’est pas garanti. Par ailleurs, les dépenses augmenteront de manière sensible entre 2030 et 2040, ce qui supposera de nouveaux financements ou une forte augmentation de la CRDS. Cette hausse pénalisera les revenus des actifs comme ceux des retraités.

Avant 2024, le rapport renvoie le financement à d’éventuelles économies, à un arbitrage au sein des dépenses sociales et à un décaissement du Fonds de Réserve des Retraites qui est déjà utilisé pour le remboursement de la dette sociale. Il est admis qu’une quote-part de la CSG pourrait être attribuée à la dépendance.

La mobilisation du patrimoine des ménages

De manière très nette, les auteurs rejettent l’idée d’une assurance obligatoire mais proposent le développement de produits d’assurance privée facultative.

Les rapporteurs souhaitent une plus grande mobilisation des patrimoines afin de faciliter le financement de la perte d’autonomie. Ils suggèrent le développement d’instruments spécifiques avec des sorties en rente viagère. Ils préconisent aussi des solutions modernisées et mutualisées de viager. S’ils rejettent l’idée d’une assurance obligatoire, ils sont néanmoins favorables à la mise au point de produits financiers avec sortie en rente, ce que les pouvoirs publics semblent contester pour les produits retraite (projet de loi PACTE).

La gouvernance et le pilotage

Trois scénarii ont été tracés par les rapporteurs. Ainsi, ils proposent soit :

  • L’instauration d’un pilotage unifié avec possibilité de délégation de compétences ;
  • L’Agence Régionale de Santé devient le pilote unique de l’offre médico-sociale, le département devenant l’interlocuteur de référence de proximité ;
  • Le conseil départemental devient l’interlocuteur de gestion unique et l’ARS assure des fonctions de contrôle.

Les compétences de la Caisse Nationale de Solidarité pour l’Autonomie (CNSA) seraient confortées dans le cadre de la gestion du nouveau risque dépendance. Elle devrait être le garant de l’équité sur le territoire. Elle devrait assurer des missions d’animation des Maisons des Aînés et promouvoir des outils de bonne gestion.

***

**

Le rapport de Dominique Libault doit servir de base au futur projet de loi sur la dépendance. La Ministre des Solidarités et de la Santé, Agnès Buzyn, a souhaité lier cette question à celle des retraites. Elle a ainsi indiqué que le financement de la perte d’autonomie pouvait passer par le report de l’âge de départ à la retraite. Si ce report est générateur de ressources supplémentaires pour les régimes sociaux, il dépasse par définition la simple question du financement de la dépendance. Les pouvoirs publics sont confrontés à l’augmentation naturelle de certaines dépenses sociales en lien avec le vieillissement de la population. Les coûts des retraites, de la santé et de la dépendance ne peuvent, à législation constante, que progresser dans les trente prochaines années. Il convient alors de se poser les questions de la répartition des dépenses entre les différentes générations, et entre actifs et inactifs. Il faut aussi s’interroger sur ce qui relève de la sphère publique et de la sphère privée. Face à des risques, le système de l’assurance reposant sur une large mutualisation n’est-il pas une solution à étudier ? De même, faut-il une protection sociale centralisée, étatisée ou déconcentrée laissant une place à l’initiative privée ?

Partagez cet article

Suivez le cercle

recevez notre newsletter

le cercle en réseau

contact@cercledelepargne.com