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La préretraite, un dispositif en désuétude ?

Retraite 10 mai 2024

En 2022, moins de 60 000 personnes, soit 0,7 % des 55-64 ans bénéficient d’une préretraite dont seulement 0,1 % au titre d’un dispositif de préretraite publique. Les préretraites sont des dispositifs de cessation anticipée d’activité. Ils permettent à des salariés séniors ayant cessé ou réduit leur activité professionnelle de percevoir, sous certaines conditions, un revenu de remplacement jusqu’à la liquidation de leurs pensions.

Les dispositifs de préretraites ont majoritairement été institués dans les pays de l’OCDE à partir de la fin des années 1950. Ils avaient été envisagés comme une solution pour accompagner les restructurations de secteurs d’activité en crise. Ce fut notamment le cas en France où des dispositifs de préretraites ont été mis en place dès 1963 avec la création du Fonds national de l’emploi (FNE). L’allocation spéciale du FNE (AS-FNE), financée conjointement par l’État et l’UNEDIC garantissait le versement de 80 à 90 % de la rémunération des salariés licenciés, âgés de 60 à 65 ans (âge légal du départ à la retraite à l’époque).

Le recours à la préretraite a été important à compter des années 1970-1980, marquées par les chocs pétroliers qui ont mis fin aux « Trente glorieuses ». Les préretraites étaient alors devenues un « instrument de gestion de crise […] considérées comme une réponse à la situation problématique des travailleurs âgés, plus sensibles aux fluctuations économiques » (Propos extraits de « Des préretraites au vieillissement actif : l’évolution des politiques sociales pour les travailleurs âgés de plus de 50 ans en France et en Allemagne (1970-2007), L’Europe, un levier d’action pour sortir du sentier des préretraites ? », thèse dirigée par M. Pierre Muller, 2007). Le coût élevé des préretraites a contraint les pouvoirs publics à restreindre leur accès, voire à les supprimer. Elles se sont, en outre, révélées inefficaces pour lutter contre le chômage. Avec le vieillissement démographique, l’objectif des pouvoirs publics est désormais l’augmentation du taux d’emploi et en particulier celui des seniors.

Les préretraites, financées par l’État ou l’Unedic, ont longtemps été la première source de départs anticipés. Au cours des années 1980, plus de 5 % des 55-64 ans ont bénéficié d’un dispositif de préretraite public.

La réforme de 2003 sur les retraites marque un tournant avec l’abrogation progressive de plusieurs dispositifs : la prise en charge par l’État des cotisations de retraite complémentaire pour les préretraités, l’allocation de remplacement pour l’emploi, le congé de fin d’activité, la préretraite progressive et la dispense de recherche d’emploi.  

Les dispositifs publics de cessations anticipées d’activité au fil du temps

Source : DARES

En lien avec l’assèchement des dispositifs de préretraite publics, le nombre de bénéficiaires s’est réduit (moins de 10 000 en 2022 contre plus de 100 000 en 2003).

Part des bénéficiaires de préretraites publiques entre 1968 et 2022 rapportée à la population des 55-64 ans

Source : DARES

Le remplacement progressif des dispositifs de préretraite publics par des mécanismes de « retraite anticipée » conditionnée

Des dispositifs de cessation anticipée d’activité ont été introduits par les pouvoirs publics en substitution des dispositifs de préretraite publics. Les dispositifs publics encore en vigueur sont en lien avec le handicap ou la pénibilité.

La cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante (CAATA)

Le dispositif de préretraite en faveur des travailleurs de l’amiante a été introduit par la loi de financement de la Sécurité sociale pour 1999. Il permet aux salariés atteints de maladies professionnelles liées à l’amiante de partir en préretraite à partir de 50 ans. Les personnes éligibles au dispositif perçoivent l’Allocation des travailleurs de l’amiante (ATA) jusqu’à ce qu’ils aient accès à une retraite au taux plein du régime général. 

Ce dispositif également ouvert aux salariés exposés à l’amiante au cours de leur vie professionnelle, notamment ceux travaillant dans des établissements de fabrication de matériaux contenant de l’amiante, de flocage et de calorifugeage, ou de construction et de réparation navales, a été élargi aux dockers professionnels en 2000, aux personnels portuaires de manutention en 2002 et aux salariés agricoles atteints de maladies professionnelles liées à l’amiante en 2003.

La liste des établissements dont l’activité entre dans le champ de cette préretraite est fixée par arrêté. Un peu moins de 1 700 établissements sont inscrits. Les allocations de cessation anticipée d’activité sont prises en charge par le Fonds de cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante (FCAATA). Ce fonds est essentiellement alimenté par les entreprises à travers leur cotisation « accident du travail et maladie professionnelle ».

La retraite anticipée pour carrière longue (RACL)

Introduit par la réforme 2003 des retraites, le dispositif retraite anticipée pour carrière longue a été progressivement étendu. En 2022, ce dispositif représente la majeure partie des cessations anticipées, soit 2,4 % de la population des 55-64 ans, soit environ 200 000 nouvelles entrées par an. Ce dispositif destiné aux salariés du secteur privé est également ouvert aux agents des trois fonctions publiques. En 2021, il était à l’origine d’environ un quart des départs à la retraite dans les fonctions publiques territoriale et hospitalière selon la Drees, soit un peu moins de 20 000 personnes. Dans la fonction publique de l’État, près de 5 000 personnes ont bénéficié d’une retraite anticipée pour carrière longue (soit environ 9 % des départs en 2022).

La réforme 2023 des retraites modifie le régime des carrières longues, afin d’élargir les personnes éligibles au dispositif. Depuis le 1er septembre 2023, quatre dispositifs remplacent les deux qui existaient jusqu’alors. Les personnes qui auront validé cinq trimestres l’année de leurs 16, 18, 20 ou 21 ans (et une carrière complète cotisée, soit 172 trimestres à terme) pourront partir respectivement à 58, 60, 62 ou 63 ans. Un décret d’application prévoit, par ailleurs, une clause de sauvegarde au profit des personnes qui atteignent donc 60 ans avant le 31 août 2023 (inclus).

Retraites anticipées pour handicap

Comme le dispositif carrière longue, l’accès à une retraite anticipée pour handicap a été institué par la loi sur les retraites du 21 août 2003. Ce dispositif de retraite anticipée permet aux assurés handicapés ayant exercé une activité dans le régime général ou les régimes alignés d’accéder à la retraite de manière anticipée.

Retraites anticipées pour pénibilité

La retraite anticipée pour incapacité permanente

La loi portant réforme des retraites de 2010 donne la possibilité aux personnes justifiant d’un taux d’incapacité permanente au titre d’une maladie professionnelle ou d’un accident du travail de faire valoir leur droit à la retraite à taux plein dès 60 ans (l’âge légal de départ à la retraite étant alors porté à 62 ans) quelle que soit la durée d’assurance vieillesse effectivement accomplie.

La réforme des retraites de 2023 modifie les conditions d’accès au dispositif, afin de prendre en compte le recul de l’âge légal de départ de 62 ans à 64 ans. L’âge de départ anticipé pour incapacité permanente d’origine professionnelle passe de 60 à 62 ans pour les travailleurs avec un taux d’incapacité compris entre 10 % et 19 %. Il reste, en revanche, à 60 ans pour ceux justifiant d’un taux d’au moins 20 %.

La retraite anticipée au titre du compte professionnel de prévention

Le compte personnel de prévention de pénibilité, rebaptisé compte professionnel de prévention en septembre 2017, a été instauré par la réforme Touraine des retraites du 20 janvier 2014. Il permet aux salariés exposés à certains facteurs de pénibilité répertoriés, d’accumuler des points, au-delà de certains seuils. Ces points donnent accès à une retraite anticipée de deux ans (soit 62 ans depuis la réforme 2023 des retraites). Ils permettent, par ailleurs, aux assurés de financer une action de formation, un bilan de compétences ou une validation des acquis de l’expérience dans le cadre d’un projet de reconversion professionnelle. Le C2P est ouvert aux salariés du régime général, les salariés du régime agricole et aux agriculteurs, c’est-à-dire les non-salariés du régime agricole.

Une surreprésentation des hommes parmi les préretraités

Les hommes demeurent, sur la période 2014-2022, majoritaires parmi les bénéficiaires de préretraite. Néanmoins en lien avec la suppression progressive des dispositifs de préretraite publics, autrefois très présents dans le milieu de l’industrie, l’écart entre hommes et femmes tend à se réduire. D’après les données publiées par la DARES, 0,8 % hommes âgés de 55 à 64 ans sont en préretraite, contre 0,6 % des femmes. En 2014, les ratios respectifs sont 1,2 % et 0,4 %.

Part de préretraités chez les 55-64 ans selon le sexe, entre 2014 et 2022

Note : refonte de l’enquête Emploi en 2021, rupture de série.
Champ : personnes âgées de 55 à 64 ans, France hors Mayotte.
Source : DARES – Enquêtes Emploi 2014-2022, calculs Dares.

Des femmes en moyenne plus âgées

Sur la période 2014-2022, la Dares constate une concentration de préretraités entre 58et 61 ans. Le nombre de bénéficiaires d’un dispositif de préretraite atteint un pic à 59 ans pour les hommes (autour de 2,4 %) et de 61 ans pour les femmes (autour de 1,7 %) avant de diminuer au-delà, avec la montée en puissance des liquidations des pensions. Ainsi, en prenant en compte les femmes et les hommes, le pic est atteint à 60 ans avec 1,7 % de retraités parmi cette tranche d’âge.

Part de préretraites selon l’âge et le sexe, en moyenne sur 2014-2022

Ouvriers et des professions intermédiaires davantage représentés parmi les préretraités

Ouvriers et professions intermédiaires sont surreprésentés parmi l’ensemble des préretraités. Sans surprise, les travailleurs non-salariés qu’ils soient artisans, commerçants ou chefs d’entreprise ainsi que les agriculteurs ne comptent que peu de préretraités.

Préretraite et emploi, des situations contrastées

En 2022, 61 %  des préretraités sont, selon la DARES, inactifs, 38 % exercent un emploi en parallèle et 0,5 % sont au chômage au sens du Bureau international du Travail (BIT). Les données publiées par le ministère du travail mettent en évidence une forte progression de la part de préretraités en emploi entre 2014 et 2022. La proportion de préretraités en emploi, qui s’établissait à 11 % en 2014, a fléchi à 7 % en 2015 avant de progresser de manière continue au fil des ans.

Statut d’activité des préretraités entre 2014 et 2022

Note : refonte de l’enquête Emploi en 2021, rupture de série.
Champ : personnes âgées de 55 à 64 ans, France hors Mayotte.
Source : DARES – Enquêtes Emploi 2014-2022, calculs Dares

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Les cadres, professions intermédiaires et, dans une moindre mesure les employés, figurent parmi les préretraités en emploi. Seule une minorité d’ouvriers (7,9 %) cumule préretraite et emploi.

Catégories socioprofessionnelles chez les seniors en emploi et les préretraités en moyenne sur 2021-2022

Champ : personnes âgées de 55 à 64 ans, France hors Mayotte.
Source : Enquêtes Emploi 2021-2022, calculs Dares.

La DARES tempère néanmoins la progression du nombre de préretraités en emploi, en mettant en évidence dans ses travaux une proportion élevée de personnes absentes au travail parmi les préretraités en emploi. Un préretraité sur trois en emploi (au sens du BIT) n’aurait effectué aucune heure de travail rémunérée au cours de la semaine de référence analysée par la DARES. Par ailleurs, parmi les préretraités en emploi, près de la moitié ont déclaré exercer une activité à temps partiel (49 % exactement). Ainsi, en moyenne sur la période 2014-2022, les travaux menés par la DARES mettent en évidence que seuls 6 à 7 % des préretraités exerceraient une activité à temps plein.

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Selon les données recueillies par la DARES et l’étude de plusieurs accords d’entreprise consultés incluant des dispositifs favorisant un départ anticipé, le recours aux préretraites d’entreprises, au sens de ce qui existait au temps des « préretraites publiques » est devenu marginal. Peu d’entreprises ont fait le choix de mettre en place un dispositif généralisé attribué sur un critère d’âge et/ou d’ancienneté préalablement déterminé en raison du coût élevé de ces mesures.

Les travaux menés par Annie Jolivet, économiste du travail, docteure en Sciences économiques, consacrés aux départs anticipés à la retraite, mettent, par ailleurs, en évidence les difficultés pour quantifier précisément le nombre de bénéficiaires de dispositifs de préretraite d’entreprise. L’absence de suivi statistique serait en cause (Départs anticipés à l’initiative des employeurs : extension et diversification des préretraites d’entreprise, A. Jolivet, 2024). En revanche, l’étude des accords d’entreprise récemment adoptés apporte des éléments de réponse sur les solutions les plus répandues au sein des entreprises. Dans un souci de réduction des coûts, l’usage simultané d’une palette de mesures semble privilégié. Les dispositifs publics à l’initiative des salariés (retraite anticipée, retraite progressive, compte épargne temps) sont ainsi exploités en complément des mesures prises en charge par les entreprises elles-mêmes (temps partiel senior, rachat de trimestres avec financement partiel ou total par l’entreprise, ainsi qu’à l’abondement du compte épargne-temps par l’entreprise).

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