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La France compte 17 millions de pensionnés, dont un million vivent au-delà des frontières. Pour un grand nombre d’entre eux, il s’agit d’anciens travailleurs immigrés retournés dans leur pays d’origine pour y passer leur retraite. Mais de plus en plus de retraités français choisissent aujourd’hui de s’expatrier, à la recherche de meilleures conditions de vie ou par goût du dépaysement. L’exil peut aussi répondre à des objectifs fiscaux. Ces retraités privilégient les pays proches de la France, en règle générale situés sur le pourtour méditerranéen.
Selon les données de la Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV), près de 120 000 pensionnés du régime général nés en France vivent désormais hors du territoire. En y ajoutant les régimes complémentaires et spéciaux, ce chiffre dépasse le demi-million. Depuis l’an 2000, le nombre de retraités installés hors de France a progressé de plus de 20 %. Chaque année, quelques milliers franchissent le pas.
Les candidats à l’exil à la retraite le font souvent pour des raisons fiscales. La fiscalité française des retraités n’a pas été, ces dernières années, alourdie de manière spectaculaire. Mais la perception l’emporte sur la réalité. De fait, ce sont surtout des entrepreneurs, des professions libérales et des retraités disposant de revenus et d’un patrimoine importants qui optent pour l’expatriation.
En matière de revenu, les retraités supportent un impôt progressif dont le taux marginal peut atteindre 45 %, auquel s’ajoutent la CSG et la CRDS (9,1 % sur les pensions, hors exonérations). À cela vient s’ajouter la fiscalité successorale. En ligne directe, après un abattement de 100 000 euros, le taux atteint 45 % pour les transmissions supérieures à 1,8 million d’euros. Dans un rapport de septembre 2024, la Cour des comptes rappelait que le poids des droits de succession et de donation représente, en France, 0,74 % du PIB, l’un des ratios les plus élevés de l’OCDE. En comparaison, ce taux est de 0,3 % en Allemagne, 0,15 % en Espagne et 0,05 % en Italie. Le Portugal ne taxe quasiment pas les transmissions en ligne directe.
De nombreux Français estiment que les droits de succession sont trop élevés. En mai 2024, un baromètre Odoxa indiquait que 77 % des Français considéraient ces droits comme « injustifiés ». Ce résultat est paradoxal, car plus de 80 % des héritages parent-enfant échappent en réalité à l’impôt grâce aux abattements. En France, l’héritage est vécu comme un droit naturel, et son imposition comme une spoliation.
Afin d’y échapper, certains Français sont tentés de s’installer à l’étranger et notamment en Italie. Milan figure parmi les villes de plus en plus appréciées des Français. Dynamique, bien reliée aux réseaux de transports internationaux et proche des stations de ski, la ville dispose d’un lycée français de très bon niveau, le lycée Stendhal, et d’une université de renommée internationale, la Bocconi. Rome, Venise, Florence, les Pouilles, la Sicile ou encore la Sardaigne attirent également de plus en plus de Français.
L’Italie se substitue à la Suisse. Cet engouement repose en partie sur le régime italien du forfait, mis en place en 2017, surnommé « système des footballeurs » depuis que Cristiano Ronaldo en a bénéficié. Les personnes physiques transférant leur résidence fiscale en Italie peuvent bénéficier d’une imposition forfaitaire libératoire sur leurs revenus de source étrangère, dont le montant, initialement fixé à 100 000 euros, a été porté en août 2024 à 200 000 euros par le gouvernement de Giorgia Meloni. Ce dispositif s’adresse aux étrangers sous réserve de ne pas y avoir vécu durant neuf des dix dernières années.
Un autre dispositif intéresse particulièrement les seniors. Mis en place en 2019, il s’adresse aux retraités étrangers décidant d’établir leur résidence fiscale dans une ville de moins de 20 000 habitants située dans certaines régions du sud de l’Italie (Abruzzes, Molise, Campanie, Pouilles, Basilicate, Calabre, Sardaigne ou Sicile), voire de moins de 3 000 habitants dans le Latium, l’Ombrie ou les Marches. Ce régime prévoit une taxe forfaitaire (flat tax) de 7 %, applicable pour une durée maximale de dix ans aux pensions de retraite perçues à l’étranger (hors retraites de la fonction publique), mais aussi aux autres revenus (dividendes, revenus immobiliers, etc.).
Environ 66 000 retraités français vivent aujourd’hui en Italie. Les droits de succession y sont faibles, avec un taux maximal de 4 % en ligne directe et une exonération totale jusqu’à 1 million d’euros de patrimoine (à condition de ne pas être au forfait fiscal). Depuis le durcissement de la convention fiscale franco-suisse, l’Italie apparaît comme le meilleur moyen d’éviter une fiscalité trop lourde en matière de successions et de donations.
Quand Lisbonne a mis fin en 2023 à son régime fiscal en faveur des nouveaux résidents bénéficiant de revenus étrangers, Athènes a pris le relais. Dès 2020, le gouvernement hellénique avait instauré une flat tax de 7 % sur les pensions des retraités étrangers, applicable durant quinze ans. Pour en bénéficier, les retraités doivent résider au moins 183 jours par an en Grèce et ne pas y avoir été résident fiscal au cours de cinq des six dernières années. Près de 4 000 retraités européens ont adopté ce régime, dont une part significative de Français. Avec un coût de la vie 25 % inférieur à la moyenne de la zone euro (Eurostat), un climat méditerranéen et une offre immobilière encore abordable, la Grèce apparaît comme le successeur naturel du Portugal.
Le Maroc demeure une destination très prisée des retraités français. Historiquement, les liens humains et linguistiques entre la France et le royaume chérifien sont denses. Plus de 60 000 retraités français y résident déjà. Un abattement de 70 % sur les pensions jusqu’à 15 800 euros, puis de 40 % sur le surplus, est appliqué. De surcroît, une réduction de 80 % de l’impôt dû est accordée aux retraités qui transfèrent leur pension en dirhams non convertibles.
Le dispositif, valable sans limitation de durée, séduit particulièrement les fonctionnaires. La convention fiscale franco-marocaine prévoit en effet une exonération de leurs revenus en France, ce qui est rare. Le blocage en monnaie locale constitue une contrainte, mais le coût de la vie, la proximité géographique et la francophonie font du Maroc une destination stable et attractive.
Même privé de son régime des résidents non habituels, le Portugal conserve un atout majeur : l’exonération totale des droits de succession en ligne directe. Cette spécificité continue de séduire des milliers de Français. Le nombre de retraités installés au Portugal est évalué à plus de 30 000. Le climat, la proximité géographique, le coût de l’immobilier (encore trois à quatre fois inférieur à celui de la Côte d’Azur) et le nombre important de liaisons aériennes renforcent son attractivité.
La Suisse a longtemps représenté un refuge fiscal et linguistique. Mais la dénonciation par la France, en 2014, de la convention sur les successions a changé la donne. Désormais, seuls les cantons continuent d’appliquer leurs règles, avec exonération totale en ligne directe dans certains cas. Mais, pour bénéficier de ces avantages, il faut que les héritiers résident également hors de France. À cela s’ajoute un coût de la vie 38 % supérieur à la moyenne européenne (Eurostat), ce qui limite son attrait auprès des patrimoines les plus élevés.
Changer de résidence fiscale suppose de rompre avec nombre d’habitudes : vendre ses biens en France, transférer ses comptes, renoncer au système de santé national. L’administration fiscale, en recourant à des algorithmes et à des bases de données, traque les faux exilés en étudiant notamment la consommation d’eau et d’électricité des biens immobiliers qu’ils conservent en France.
Le principal frein au départ à l’étranger reste la perte de la couverture santé. Les conventions bilatérales permettent une prise en charge partielle, mais rarement équivalente au système français. La dimension affective pèse également : beaucoup de projets échouent pour des raisons familiales. Se constituer un nouveau réseau d’amis à l’étranger n’est pas toujours aisé. Une enquête de la DREES en 2023 révélait que près de 30 % des retraités installés à l’étranger revenaient régulièrement en France pour maintenir leurs liens.
L’exil des retraités ne sera jamais un raz-de-marée. La majorité des Français, attachés à leurs racines et à leurs proches, finiront leurs jours dans l’Hexagone. Mais le mouvement existe, il s’amplifie, et il pèse symboliquement. Car il dit quelque chose d’une France qui, tout en prônant la solidarité, peine à retenir ses aînés.
La géographie de l’exil fiscal des retraités trace une carte parallèle de l’Europe. Une Europe où le soleil n’est pas seulement une lumière, mais aussi une promesse d’évasion fiscale.
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