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Immobilier, une crise plurielle et mondiale

Epargne 9 mai 2024

Depuis plusieurs mois, les professionnels de l’immobilier soulignent l’entrée en crise de leur secteur d’activité en raison de la hausse des taux d’intérêt. Ces derniers ont beau être inférieurs à leur niveau du début des années 2000, leur augmentation a été durement ressentie par les acheteurs. La progression du prix de l’immobilier ces vingt dernières années renforce l’acuité du prix accru de l’argent. L’ajustement en cours s’effectue après plusieurs années exceptionnelles sur le plan des prix et du nombre de transactions.

La hausse des taux n’a pas eu l’effet attendu en ce qui concerne les prix (la baisse étant limitée). Elle provoque en revanche un recul des transactions. Sur ce sujet, les professionnels ne comparent pas leur situation actuelle par rapport à celle résultant de la moyenne de ces dix dernières années mais par rapport à celle des meilleures années. L’immobilier est, par ailleurs, confronté au défi de la transition écologique qui se traduit par une augmentation des coûts sur fond de raréfaction du foncier disponible.

Des ménages sensibles aux taux nominaux

Les ménages sont sensibles aux taux d’intérêt nominaux à long terme plus qu’aux taux d’intérêt réels (taux d’intérêt déflatés de l’inflation). La capacité d’endettement des emprunteurs est mesurée par rapport à leur revenu courant. Entre 2022 et 2023, la hausse des taux des crédits immobiliers a été brutale. Ces derniers sont passés en zone euro de moins de 2 % à plus de 4 % en un an et de 3 à 7 % aux États-Unis. Ces taux ont évolué en parallèle avec ceux des obligations d’État qui ont progressé avec la fin des politiques monétaires non conventionnelles. En règle générale, les prix de l’immobilier réagissent rapidement et fortement aux évolutions des taux d’intérêt. Or, ce phénomène n’est pas réellement constaté depuis le milieu de l’année 2022.

Aux États-Unis, les prix de l’immobilier ont certes baissé en 2022, mais ils ont repris leur hausse dès 2023. Ils se situent, désormais début 2024, au-dessus de leur niveau de 2019. En zone euro, la baisse reste faible, autour de 5 % sur un an. De ce fait, entre 2010 et 2024, les prix de l’immobilier ont plus que doublé aux États-Unis et ont augmenté de 50 % en zone euro. En revanche, la construction de logements et les transactions immobilières connaissent une forte baisse. Les mises en chantier ont diminué de 22 % aux États-Unis de 2021 à 2023 et de 20 % en zone euro. Chez cette dernière, la baisse atteint même 40 % entre 2018 et 2023.

Depuis la crise des subprimes, que ce soit aux États-Unis ou en zone euro, le secteur de la construction n’a jamais retrouvé son niveau de 2007. Les mises en chantier sont passées de 2,2 millions en 2007 à 1,5 million aux États-Unis. Pour la zone euro, la baisse atteint plus de 50 %. L’accès aux crédits a été durci réduisant le nombre de primo-accédants. Ces derniers sont également pénalisés par la hausse des prix immobiliers et la hausse des taux depuis 2022.

Les ventes de maisons anciennes sont en recul aux États-Unis de 30 % entre 2021 et 2023. Sur la même période, la baisse est de 18 % en zone euro pour les ventes de logements neufs. Pour les logements anciens, la contraction est de 15 % en Europe. Les ménages recourent moins aux crédits immobiliers, ce qui explique en grande partie la diminution des transactions. Aux États-Unis, la croissance de crédit immobilier aux ménages est passée de 10 à 2,5 % de 2021 à 2023 et en zone euro de 5 à 0 %.

Malgré la hausse des taux d’intérêt et la diminution du nombre de transactions, l’absence de baisse des prix est liée au comportement des propriétaires. Ces derniers refusent de revoir les prix de vente à la baisse. Pour les logements neufs, la rigidité des prix à la baisse s’explique par les coûts élevés de construction qui limitent les marges de manœuvre des promoteurs. Cette rigidité est également imputable à une raréfaction de l’offre en raison des contraintes urbanistiques et de la concentration de la population sur certaines zones d’habitation. Aux États-Unis, la Floride connaît une forte augmentation de sa population. En France, celle-ci tend à migrer vers le littoral et les grandes agglomérations.

L’immobilier au cœur du patrimoine des ménages au sein des pays de l’OCDE

Dans les différents pays européens, les biens immobiliers constituent les principaux éléments du patrimoine des ménages. En 2021, la part des actifs immobiliers représentait, en effet, 80 % du patrimoine brut des ménages dans la zone euro. Ce poids s’est renforcé, ces dernières années, avec la forte augmentation du prix des logements. Entre 2010 et 2021, dans les quatre grandes économies de la zone euro (Allemagne, France, Italie et Espagne), ces prix ont néanmoins connu des évolutions assez différentes.

En Allemagne, les prix ont augmenté de façon ininterrompue depuis le milieu des années 2000. Dans les autres pays, après une hausse au début des années 2000, ils ont tout d’abord baissé à la suite de la crise financière de 2008-2009, de manière marquée en Espagne et en Italie mais très légèrement en France. Ils ont en revanche enregistré une croissance de 2017 à 2022 dans tous les pays.

La hausse des prix, durant cette période a atteint 35 % en Allemagne, et 19 % en France et en Espagne. Elle n’a été que de 4 % en Italie. Sur cette même période, les coûts de financement ont fortement diminué pour les ménages de la zone euro (seulement à partir de 2020 en Espagne), atteignant leur niveau le plus bas en 2021. Avec la résurgence de l’inflation, les taux de crédit ont augmenté dans tous les pays, tout en restant moins élevés en France.

Des proportions de propriétaires différentes selon les pays

Le pourcentage de ménages propriétaires de leur résidence principale varie au sein des quatre grands pays de la zone euro. En 2021, il est de 77 % en Italie, de 73 % en Espagne et de 58 % en France. Il n’est que de 44 % en Allemagne. En Espagne, le taux de ménages propriétaires a diminué de façon continue depuis 2010, où il s’établissait à 83 %. Cette baisse a concerné les ménages de moins de 45 ans : entre 2010 et 2021, la proportion de ménages propriétaires de leur logement âgés de 35 à 44 ans, est passée de 21 % à 16,5 %. L’augmentation du prix des logements explique cette diminution du nombre de propriétaires.

En Allemagne et en France, le taux de propriétaires est resté relativement stable. En revanche, en France, le pourcentage de ménages propriétaires d’autres logements que leur résidence principale (par exemple des résidences secondaires, de l’immobilier de rapport, etc.) a augmenté, passant de 22 % à 24 % entre 2017 et 2021.

Cette augmentation de la proportion de propriétaires d’autres logements concerne l’ensemble des niveaux de revenus, sauf les 5 % de ménages aux revenus les plus élevés. Pour ces derniers, la proportion de propriétaires de ce type d’actifs immobiliers est déjà très élevée, autour de 64 % et n’a pas varié sensiblement jusqu’en 2021. Dans le même temps, l’Italie a connu une légère hausse du taux de propriétaires. Cette augmentation est portée par les ménages de plus de 55 ans, mais a concerné tous les niveaux de revenus. La détention d’autres logements a également augmenté en Italie entre 2010 et 2021, de 21 % à 26 %.

Évolution de l’endettement des ménages

Depuis 2010, l’endettement immobilier a augmenté en Allemagne et en France. Il est stable en Italie et a diminué en Espagne. Cette évolution différenciée s’explique par les conséquences de la crise des subprimes de 2008-2009 plus marquées en Espagne et en Italie que dans les deux autres pays. Entre 2010 et 2021, l’encours global de la dette immobilière des ménages a augmenté de 53 % en Allemagne et de 68 % en France.

En Espagne, le pourcentage de ménages endettés (tous types de dette) est, entre 2010 et 2021, en hausse continue. Il est ainsi passé de 49 % à 57 % sur la période considérée même si la proportion de propriétaires a diminué. Cette hausse s’explique en effet par la forte augmentation de la part des ménages ayant des crédits à la consommation qui est passée de 27 % en 2010 à 40 % en 2021, le taux de ménages endettés pour un motif immobilier restant stable, autour de 35 %.

En France, le pourcentage de ménages endettés (tous types de dettes) est relativement stable depuis 2010, autour de 46 %, dont environ 25 % pour de l’immobilier. Il a baissé en Allemagne de 47 % à 41 %. C’est en Italie que la proportion de ménages endettés (tous types de dettes) est la plus faible. Elle est passée de 21 % à 24 % entre 2017 et 2021, pour revenir à son niveau de 2010.

L’Allemagne reste un pays de locataires à la différence de l’Espagne et de l’Italie où la propriété de la résidence principale prédomine, la France se situant dans une position intermédiaire. Avec la hausse des prix des logements, les jeunes actifs éprouvent des difficultés croissantes à acquérir un bien immobilier. Le rapport à la pierre change. Les jeunes ménages qui se concentrent essentiellement au sein des grandes agglomérations sont plus mobiles et ne veulent pas sacrifier leur liberté avec l’achat d’une résidence principale.

Des besoins en logements sous-estimés dans la grande majorité des pays

Les besoins en logements ont été sous-estimés. La multiplication des divorces et des familles monoparentales augmente le nombre de logements nécessaires. En France, le déficit de logements se situe entre 100 000 et 200 000 par an. Le développement des locations saisonnières en lien avec l’essor du tourisme diminue le nombre de logements disponibles dans le parc locatif privé au cœur des grandes agglomérations et dans les zones touristiques. Le manque de logements est général. Au Portugal comme en Allemagne, la population demande aux pouvoirs publics d’intervenir pour faire baisser les prix ou pour interdire les locations saisonnières. Aux États-Unis, plusieurs États dont celui de New York ont légiféré pour restreindre les activités des plateformes de locations saisonnières.

Le coût de la transition écologique pour le patrimoine immobilier

L’immobilier est exposé aux conséquences du réchauffement climatique. Le coût des catastrophes naturelles augmente en raison de leur plus grande prévalence et du montant plus élevé du patrimoine.

Selon l’agence MSCI, le coût global des travaux afin d’adapter les logements aux contraintes écologiques dépasserait 10 % de leur valeur. En France, la facture s’élèverait à plus de 1 000 milliards d’euros sur vingt-cinq ans. Au niveau de l’OCDE, ce montant serait de 25 000 milliards de dollars. Pour respecter les engagements pris dans le cadre des Accords de Paris en 2015, les gouvernements doivent consacrer, jusqu’en 2030, selon l’Agence Internationale de l’Énergie, plus de 570 milliards de dollars par an sur le seul poste de la rénovation des bâtiments, bâtiments qui sont à l’origine de 18 % des émissions des gaz à effet de serre. Or, en 2023, seulement 250 milliards de dollars de dépenses ont été consacrés à cet objet. Les effets du changement climatique sont, de ce fait, susceptibles d’influencer le marché de l’immobilier.

Les biens immobiliers mal classés sur le plan énergétique ou exposés à des risques environnementaux pourraient perdre entre 10 et 25 % de leur valeur dans les prochaines années. Une étude parue dans la revue « Nature » souligne que si les seules pertes attendues du fait de l’augmentation des inondations étaient prises en compte, la valeur des maisons américaines baisserait de 120 à 240 milliards de dollars. Selon une étude publiée en 2018 dans le Journal of Urban Economics, le prix des maisons construites dans les plaines inondables de l’État de New York a perdu près de 10 % de leur valeur après l’ouragan Sandy. En Californie, les maisons situées au sein des zones les plus exposées au risque incendie valent 5 % de moins que celle situées en dehors de ces zones.

Les pouvoirs publics sont amenés à arbitrer entre des objectifs contradictoires, protection de l’environnement et pouvoir d’achat des ménages. Des mesures prises pour accélérer la mise aux normes comme l’interdiction de location des passoires énergétiques sont difficilement admises par les populations. Le gouvernement français a été contraint d’assouplir le calendrier qu’il avait retenu. Les élus éprouvent les pires difficultés à limiter la construction dans les zones à risques. En Floride, malgré les menaces d’inondation, soulignées avec ironie par l’écrivain américain TC Boyle dans son dernier roman, « Un ciel si bleu », les constructions en zones inondables se poursuivent. Les nouveaux arrivants supposent que les contribuables prendront à leur charge les investissements nécessaires pour la mise en sécurité de leurs biens. Il est fort probable que cet espoir ne se réalise pas, avec comme conséquence, d’importantes pertes, notamment pour les assureurs.

Le secteur de l’immobilier connaît une crise profonde et plurielle. Les pays occidentaux sont confrontés à une pénurie de logements favorisant la hausse des prix. Ils doivent transformer un secteur à l’origine d’un cinquième des émissions des gaz à effet de serre. De la fabrication du ciment au chauffage, toute la chaîne du bâtiment est énergivore. Principal actif des ménages, la pierre est sacrée dans de nombreux pays. De ce fait, tout changement est éminemment à risques. Les pouvoirs publics et les professionnels du secteur sont obligés d’innover, à la fois pour rénover et pour bâtir.

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