Accueil > Actualités > Les éditos du Président > 2025 >
« La démographie, c’est le destin. » La maxime d’Alfred Sauvy résonne comme une sentence implacable au moment où l’Europe, la Chine et le Japon s’enfoncent dans la spirale du vieillissement. La population n’est pas une variable périphérique, elle est le moteur invisible de l’économie. Les Trente Glorieuses l’ont démontré : quand la jeunesse est forte, le prix des actifs financiers et immobiliers est orienté à la hausse. De 1946 à 1973, la France a vu naître chaque année plus de 850 000 enfants, propulsant la consommation, l’investissement et la croissance. Le PIB progressait alors de plus de 5 % par an. Aujourd’hui, la fécondité française s’effondre à 1,6 enfant par femme et le rapport cotisants/retraités s’est écroulé de 4 en 1960 à 1,7 en 2023. Sauvy l’avait prévenu : « Quand les jeunes manquent, c’est l’avenir qui s’étiole ». Le vieillissement ne se résume pas à des statistiques de l’INSEE ou de l’OCDE. Il change la nature même de l’économie. Une société dominée par les seniors privilégie la rente et la précaution, elle consomme moins, innove moins, prend moins de risques.
Deux forces conjuguées travaillent en profondeur : l’allongement de la vie et la chute des naissances. Dans la zone euro, le ratio de dépendance – rapport des plus de 65 ans aux actifs de 15 à 64 ans – est passé de 20 % en 1995 à 35 % aujourd’hui, et atteindra 55 % d’ici vingt ans. La Chine, hier championne du dividende démographique, s’enfonce désormais dans la même impasse. Le Japon, déjà au cœur du cyclone, en connaît les effets depuis trois décennies : croissance molle, stagnation des indices boursiers, effondrement des prix de l’immobilier hors métropoles. À l’inverse, l’Inde, encore jeune, bénéficie d’un socle démographique solide (fécondité supérieure à 2) qui soutient sa croissance et ses marchés.
Aux États-Unis, où l’immigration et une natalité moins déprimée entretiennent la dynamique, le S&P 500 a été multiplié par 7 depuis 1995. L’indice Sensex indien a bondi de 2 500 %. Pendant ce temps, l’Euro Stoxx 50 peine à tripler et le Nikkei japonais végète depuis 1990 malgré quelques sursauts. L’immobilier obéit à la même logique : envolée des prix américains et indiens, déprime persistante au Japon, crise ouverte en Chine, essoufflement en Europe.
Un retraité ne consomme pas comme un jeune actif. Il vend ses actifs immobiliers et financiers pour financer sa retraite. En face, une génération réduite d’acheteurs ne peut absorber cette offre croissante. L’excès structurel d’offre d’actifs devient une certitude. Certes, les mégapoles – Paris, Londres, Berlin – résistent grâce à la rareté foncière, aux règles d’urbanisme et aux achats étrangers. Mais ces digues ne tiendront pas éternellement. L’effet gravitationnel du vieillissement finira par peser. Cette mécanique est implacable : moins de jeunes pour acheter, plus de vieux pour vendre. Le « toujours plus » des marchés immobiliers et financiers est une illusion dans les économies vieillissantes. Le Japon a ouvert la voie, l’Europe et la Chine s’y engagent. Les investisseurs qui s’accrochent à la maxime « la pierre monte toujours » risquent d’avoir quelques surprises.
La conséquence est claire : les investisseurs européens ou japonais ne peuvent plus se contenter de transposer le passé. La démographie impose une réallocation géographique. Les zones jeunes – Inde, Asie du Sud-Est, Afrique demain, mais aussi États-Unis et Canada – concentreront la vitalité, l’innovation et donc la valorisation des actifs. La question migratoire, quant à elle, devient centrale. Pour compenser les effets du vieillissement, les Européens devront jouer la carte de la productivité. C’est une condition sine qua non pour éviter l’effondrement de la valeur des actifs.
Le vieillissement est une donnée structurelle, lourde, presque irréversible. Pourtant, rares sont les responsables politiques qui l’affrontent lucidement. La natalité européenne est en berne depuis cinquante ans et les politiques familiales n’ont pas réussi à enrayer la chute. Les promesses de pensions généreuses et de santé gratuite sont intenables à long terme dans une pyramide démographique inversée. Le vieillissement agit comme une force de gravité sur l’économie et les marchés. Il dévalorise les actifs, bride la croissance et installe une société de rente. Les États-Unis et l’Inde peuvent encore compter sur une jeunesse nombreuse quand l’Europe, le Japon et la Chine marchent sur une corde raide. Les investisseurs avisés doivent prendre en compte cette donne démographique.
Jean-Pierre Thomas
Président du Cercle de l’Épargne
contact@cercledelepargne.com