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Face au mur de la dépendance

Prévoyance 11 décembre 2023

Depuis près de vingt ans, le financement de la dépendance est un problème que les gouvernements tendent d’éluder en le reportant de législature en législature. Avec la montée en âge des premières générations de baby-boomers, la nécessité d’adapter les moyens humains et financiers s’impose. Le Gouvernement s’est engagé, le 17 novembre dernier, à déposer dans les meilleurs délais un projet de loi de programmation sur la question du grand âge. Il convient d’espérer que cette promesse ne subisse pas le même sort que celles qui lui ont précédé sur ce sujet, à savoir un report sine die.

Malgré la création de la cinquième branche de la Sécurité sociale dédiée à la perte d’autonomie en 2020, les statistiques sur le sujet demeurent parcellaires et ne font pas l’objet d’une actualisation récente rendant complexe l’évaluation des besoins à venir. Il serait sans nul doute nécessaire qu’à l’image des retraites, un rapport annuel soit réalisé par des experts indépendants.

En 2021, selon la DREES, le service statistique du Ministère de la Santé, près de 2 millions de personnes âgées de 60 ans ou plus déclaraient être limitées dans les activités de la vie quotidienne (11 % de la population concernée) et 1,3 million étaient bénéficiaires de l’Allocation personnalisée d’autonomie (APA), soit 7,5 % de la population concernée. En lien avec le vieillissement global de la population, le nombre de personnes dépendantes est amené à progresser et, avec lui, celui des bénéficiaires. La DREES prévoit une hausse de plus de 350 000 le nombre des bénéficiaires de l’APA d’ici à 2040, soit une augmentation de 29 % par rapport à 2020.

Les dépenses liées à la perte d’autonomie ne peuvent que progresser : adaptation des logements, construction de nouveaux EHPAD, emplois d’aides à la personne, médecins, aides-soignants, infirmiers, etc. L’APA qui ne couvre qu’une partie de ces postes de dépenses pourrait voir son montant doubler entre 2020 et 2040 pour atteindre 12,4 milliards d’euros.

Selon l’Institut des Politiques Publiques, en 2040, sur les 1,7 million de bénéficiaires de l’APA, 586 200 seront en EHPAD et 74 000 en résidences autonomie. Une part croissante des personnes dépendantes resteraient à domicile, ce qui exigera une organisation des soins de plus en plus complexe à gérer. Les EHPAD devraient accueillir les cas les plus graves de dépendance ce qui posera la question de leur médicalisation accrue.

D’ici à 2040, pour s’adapter aux besoins, l’offre à domicile devrait augmenter de 42 %, qui se répartissent en 40 800 emplois à temps plein supplémentaires d’aides à domicile au sein des Services d’aide et d’accompagnement à domicile (SAAD), 43 700 emplois à temps plein d’infirmières libérales, 49 900 places supplémentaires au sein des Services de soins infirmiers à domicile (SSIAD) et 3 800 places supplémentaires en Hospitalisation à domicile (HAD) par rapport à 2020. Les évolutions en termes de personnel actuellement constatées ne permettent pas d’atteindre ces objectifs.

La priorité donnée au maintien à domicile pourrait coûter 4,6 milliards d’euros de plus en 2040. Les dépenses d’APA pourraient passer de 5,9 (2,4 milliards en établissement et 3,5 milliards à domicile) à 7,7 milliards d’euros de 2020 à 2040. La partie à domicile serait en grande partie responsable de la hausse de l’APA passant à 4,9 milliards d’euros (4,6 milliards d’euros en ménage ordinaire et 0,3 milliard d’euros en résidence autonomie). Les EHPAD bénéficient de 12,2 milliards d’euros dans le cadre de l’objectif global des dépenses personnes âgées (OGD). Cet objectif devrait passer, en 2040, à 13,7 milliards d’euros, soit une augmentation de 12 % (en euros réels) par rapport à 2020.

La dépense d’APA par bénéficiaire en ménage ordinaire pourrait atteindre jusqu’à 6 500 euros, en fonction des scénarios, contre 4 500 euros en 2020. La hausse la plus élevée concernerait les personnes dépendantes à domicile. La dépense annuelle d’APA par point GIR à domicile augmenterait ainsi de 50 % entre 2020 et 2040. Une politique de revalorisation salariale pourrait, selon l’Institut des Politiques Publiques, augmenter la dépense d’APA par bénéficiaire de 40 % d’ici à 2040.

Parmi les solutions envisagées pour favoriser la prise en charge à domicile, les habitats intermédiaires, permettant l’accès à une large palette de services sans impliquer l’institutionnalisation, pourraient être développés. Un tel recours pourrait aboutir à une augmentation de l’APA qui pourrait alors atteindre 10,9 milliards d’euros. La dépense annuelle par bénéficiaire de l’APA habitant en résidence autonomie serait alors de 7 900 € en 2040. Cette augmentation s’explique par le fait qu’actuellement une partie des soins et des aides à domicile sont réalisées à titre bénévole par des aidants.

La France fait le pari du maintien à domicile le plus longtemps possible des personnes dépendantes. Ce choix qui reçoit l’assentiment d’une large majorité de la population n’est pas sans générer des coûts non négligeables. Ces derniers pourraient se révéler plus importants que prévu en cas de diminution du nombre des aidants. Les besoins en personnel seront dans les vingt prochaines années importants, +42 % pour l’aide à domicile et +14 % pour les EHPAD. Les pouvoirs publics seront également amenés à gérer l’isolement croissant des personnes âgées.

Le gouvernement doit faire face à la demande croissante des élus et des acteurs du secteur pour augmenter les budgets consacrés au financement des EHPAD, des services d’aide à domicile et autres politiques liées à l’autonomie. Dans le cadre de la discussion du projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2024, les sénateurs ont ainsi adopté un amendement augmentant de 250 millions d’euros les moyens alloués aux départements par la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) pour financer des allocations pour les personnes âgées ou handicapées. Cet amendement répond à la demande pressante des élus départementaux qui soulignent la montée des charges liées au vieillissement de la population.

Malgré ou à cause de la création de la cinquième branche de la Sécurité sociale, le système de financement des politiques de soutien aux personnes âgées est complexe. Il fait intervenir un grand nombre d’acteurs, État, départements, Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie, communes, Assurance maladie, etc.

En période d’inflation et de revalorisation salariale, de nombreux établissements hébergeant des personnes âgées dépendantes rencontrent des difficultés financières croissantes, qu’ils soient privés ou publics, obligeant le gouvernement à débloquer une aide d’urgence de 100 millions d’euros. Les responsables de ces établissements ont fait savoir que cette aide était insuffisante.

Les départements souhaitent de leur côté recevoir davantage de recettes de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie. Le gouvernement s’est engagé de les soutenir davantage, en finançant 50 % des nouvelles dépenses liées à l’autonomie, mais au préalable, une clarification des financements devra être conduite. En attendant, la CNSA devrait dégager 150 millions d’euros de plus pour l’autonomie, dès l’année prochaine, en faveur des départements.

Pour faire face à la montée des dépenses de dépendance, la CNSA bénéficiera en 2024 de ressources supplémentaires, 0,15 point de CSG soit 2,6 milliards d’euros D’ici 2026, les crédits de la branche autonomie devraient atteindre 45 milliards d’euros, contre 35 milliards d’euros en 2022, ce qui représente une augmentation de 30 %. Compte tenu des besoins, ce transfert de CSG ne suffira pas. L’adoption de nouvelles ressources sera donc indispensable. L’espoir d’affecter à la CNSA les recettes de la Caisse d’Amortissement de la Dette Sociale semble, par ailleurs, illusoire ; la dette ne devant pas être remboursée au mieux avant 2033.

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La dépendance est tout à la fois un défi et un sujet tabou. Elle renvoie à la fin de vie. Elle est une source de coûts importants et met sous tension, sur une période plus ou moins longue, les familles. Avec l’allongement de l’espérance de vie, les aidants qui sont souvent les enfants des personnes dépendantes sont de plus en plus âgés et de moins en moins aptes à s’occuper de ces dernières.

L’éclatement des familles, la progression du nombre de divorces, la multiplication des familles monoparentales rendent plus complexes que dans le passé la gestion des personnes dépendantes, obligeant le recours accru à des structures publiques ou privées. Le manque de revenus peut empêcher certaines personnes dépendantes d’accéder à des services de qualité, ce qui met en danger leur vie ou peut rendre cette dernière pénible. Les réponses apportées à ces problèmes demeurent parcellaires. Les pouvoirs publics ont semblé hésiter empêchant l’émergence d’une offre concurrentielle, offre qui pourrait être régulée pour permettre à toutes et à tous d’y accéder.

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