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L’OCDE, comme la Commission internationale sur grands défis économiques présidée par Jean Tirole et Olivier Blanchard, soulignent la nécessité d’accroître la fiscalité sur la transmission du patrimoine afin d’éviter sa concentration et pour accroître par ailleurs les recettes publiques. La question de la concentration et la mobilité du patrimoine est devenue plus prégnante en raison de la forte augmentation de la valeur de certains actifs, actions et immobilier en particulier. Les écarts de richesse se sont accrus, nourrissant des sentiments d’exaspération, de jalousie ou de frustration. La faible mobilité du capital en lien avec le vieillissement de la population est jugée nuisible sur le plan économique. L’augmentation des déficits et, par ricochet, des dettes, contraignant les gouvernements à rechercher de nouvelles recettes, des experts soulignent que le patrimoine offre en la matière un bon potentiel.
La hausse des capitalisations boursières s’est accélérée ces dernières années dans un contexte de taux historiquement bas et de crise sanitaire profitant à quelques secteurs, notamment ceux des techniques de l’information et de la communication. Pour une large majorité des citoyens, cette hausse est assimilée à de la spéculation, à de l’enrichissement sans cause. Les propriétaires des multinationales du digital ou du luxe sont montrés du doigt du fait du niveau de leur patrimoine. La distinction entre revenus et valeur des actifs est rarement faite, ce qui conduit à un sentiment d’injustice. Depuis 2012, l’indice Nasdaq a été multiplié par 7, le S&P par 5 et l’Eurostoxx IT par trois. La capitalisation des valeurs de l’indice S&P est passée de moins de 10 000 à plus de 35 000 milliards de dollars de 2010 à 2021.
Une exaspération populaire se développe également sur la question de l’immobilier. L’augmentation des dépenses de logement réduit les marges de manœuvre financières de nombreux ménages. Les villes se polarisent de plus en plus. Des propositions de taxation accrue des plus-values se multiplient, en particulier aux États-Unis.
La hausse de la valeur des actifs a plusieurs origines. Pour les capitalisations boursières, elle est en partie la conséquence de l’innovation, du progrès technique et de l’essor certains biens ou services. L’augmentation de la valeur des entreprises du digital ou de la biotechnologie est logique au regard de leur développement. Le secteur du luxe bénéficie d’une progression rapide de la demande en provenance, notamment, des pays émergents. La hausse des capitalisations boursières est également imputable à un effet de rente dont bénéficient les grandes entreprises de l’Internet. Leurs bénéfices imposants s’expliquent par le caractère monopolistique du secteur du digital. Les gains de productivité sont conservés et non répercutés sur les autres secteurs par des baisses de prix. À ces rentes, vient s’ajouter celle liée à la politique monétaire expansionniste. Cette dernière provoque une valorisation anormale des actions. Les taux bas incitent les investisseurs à aller chercher du rendement sur ce type de valeurs comme sur l’immobilier. L’augmentation des liquidités facilite cette hausse. En outre, la forte progression de l’enveloppe obligataire conduit à une appréciation des actions et de l’immobilier. Les volumes, en valeur relative, des différentes classes d’actifs restent, sur moyenne période, constants. La compensation de l’augmentation de la poche obligataire, passe, compte tenu des faibles émissions d’actions, par leur prix.
L’augmentation de la fiscalité sur l’épargne, un renversement de tendance ?
Face à la montée des inégalités de richesses, des propositions d’augmentation de la fiscalité se font jour. Les règles d’imposition diffèrent fortement d’un pays à un autre. Les systèmes peuvent être forfaitaires ou progressifs. Ils peuvent comporter des abattements, des exonérations ou des dispositifs de réduction d’impôt. L’OCDE a estimé, dans une note au cours du printemps 2021, que les États membres disposaient de marges pour alourdir la fiscalité sur la transmission du patrimoine afin de réduire les déficits publics générés par la crise sanitaire et la transition énergétique.
Les États-Unis sont le pays où les inégalités de patrimoine se sont fortement accrues lors de ces trente dernières années en raison de l’essor du secteur du digital et de la hausse du cours des actions et de l’immobilier. Face à cette situation, le nouveau Président des États-Unis a proposé une forte augmentation de la taxation des plus-values. Celle-ci met un terme à un cycle de baisse de plus de vingt ans. Les gains en capital et les dividendes des contribuables les plus aisés pourraient ainsi être imposés plus fortement si la proposition du président Joe Biden était adoptée. Le taux de taxation des gains sur les ventes d’actifs et les dividendes pourrait s’élever à 49 % selon la Tax Foundation, contre 29 % en moyenne actuellement. La taxation des plus-values comporte aux États-Unis plusieurs étages. Au niveau fédéral, un barème d’imposition progressive s’applique avec un taux marginal de 20 %, taux qui passerait à 39,6 % si la proposition du Président était adoptée. À cela s’ajoute une taxe de 3,8 % qui concerne les contribuables ayant un revenu de plus de 200 000 dollars (plus de 250 000 dollars pour les couples mariés). En outre, la grande majorité des États applique une taxe locale les gains en capital et les dividendes. Le taux marginal moyen de ces taxes locales est de 5,2 %. Les résidents de l’Alaska, de la Floride, du Nevada, du Dakota du Sud, du Tennessee, du Texas, de l’État de Washington et du Wyoming ne devraient pas payer d’impôt supplémentaire sur les gains en capital. À l’opposé, la Californie, New York et le New Jersey qui ont des taux d’imposition élevés verraient leur taux marginal, après adoption de la décision de Joe Biden, porté à plus de 54 % pour les résidents les plus aisés. L’imposition du capital est très progressive aux États-Unis. L’augmentation prévue par Joe Biden aura des effets assez limités, d’autant plus que les contribuables les plus aisés pourront y échapper en procédant à de l’optimisation fiscale. La mesure du Président ne pourrait concerner que 0,3 % des contribuables les plus riches. La proposition de Joe Biden s’inscrit dans un plan plus large visant à augmenter les impôts des ménages gagnant plus de 400 000 dollars par an, afin de contribuer au financement des mesures sociales. Le Président ne serait pas également défavorable à une augmentation des droits de succession.
La France applique depuis 2018 un taux d’imposition forfaitaire de 30 % sur les plus-values et les dividendes. Les Pays-Bas, Israël, l’Allemagne, le Japon et la Hongrie imposent également un impôt forfaitaire. Neuf pays de l’OCDE, à savoir la Belgique, la République tchèque, la Corée, le Luxembourg, la Nouvelle-Zélande, la Slovaquie, la Slovénie, la Suisse et la Turquie, ont un impôt de 0 % sur les plus-values, mais imposent les dividendes. Certains pays ont fait le choix de prélever une taxe si l’actif n’est pas détenu pendant un certain temps.
L’option de la taxation des plus-values pourrait pénaliser l’innovation et donc les gains de productivité. Les administrations fiscales devraient sérier entre bonnes et mauvaises plus-values, ce qui constitue un réel défi. Pour éviter des phénomènes d’enrichissement sans cause, les politiques de lutte contre les positions dominantes devraient être renforcées. Dans le domaine de l’immobilier, une action plus dynamique en faveur de l’offre devrait être menée. En France, le système de taxation des plus-values ne concerne pas les résidences principales, ce qui constitue une incitation à la hausse des prix. Celui sur les autres logements à tendance à peser sur la mobilité, les propriétaires attendent de bénéficier d’abattements suffisants pour revendre leurs biens. Une taxation progressive sur tous les biens, sans prise en compte de la durée de détention, pourrait être imaginée.
A lire dans le Mensuel du Cercle de l’ Épargne N°88 d’Août 2021
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