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Les baby-boomers des Trente Glorieuses arriveront dans les prochaines années à l’âge où la dépendance pourrait potentiellement les atteindre. Ces générations ont bénéficié d’importants gains d’espérance de vie. Elle atteint désormais plus de 80 ans, hommes et femmes confondus. Cette révolution, accompagnée de la montée en puissance de la couverture retraite, a profondément changé le regard de la société sur la vieillesse. Pour autant, l’acuité du problème de la dépendance se pose et se posera avec l’augmentation du nombre de personnes concernées. La dépendance est difficile à appréhender, car elle concerne la fin de vie, car elle souligne notre impuissance face à la mort. L’éclatement des familles, l’individualisme croissant rendent encore plus difficile le soutien aux personnes dépendantes. Le choix légitime de rester le plus longtemps à son domicile a comme limites le coût, la disponibilité d’aidants et l’adaptation du logement. Les familles sont contraintes, surtout dans les derniers mois, à se résoudre à un transfert dans un EHPAD. Ces derniers sont confrontés à des personnes dépendantes de plus en plus âgées avec de multiples pathologies. Les hôpitaux qui pratiquent avant tout le court séjour ne peuvent pas s’occuper de personnes dépendantes exigeant un personnel d’accompagnement important. A contrario, les EHPAD ne disposent pas de toute la logistique technique pour traiter au mieux leurs pensionnaires. Le déficit de main-d’œuvre qualifiée constitue, par ailleurs, un problème récurrent. L’EHPAD se trouve au milieu du gué, entre la maison de retraite et l’établissement de santé. S’il est admis que les pensionnaires devraient être traités le plus dignement possible, force est de constater que faute de personnel bien formé, ce n’est pas toujours le cas.
Estimée à 2,5 millions de personnes en 2015, la population de personnes âgées dépendantes pourrait atteindre 4 millions en 2050. En dépit de la volonté des pouvoirs publics de promouvoir un « virage domiciliaire », les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) occupent une place centrale dans l’offre de prise en charge, puisqu’ils accueillent aujourd’hui environ 600 000 résidents, soit 15 % de la population de plus de 80 ans. Le volume global de la dépense publique consacrée aux soins et à la dépendance en EHPAD a progressé de 30 % entre 2011 et 2019 (près de trois fois plus vite que le PIB), pour atteindre, selon la Cour des Comptes, 11,24 milliards d’euros en 2019. À ce montant s’ajoutent les dépenses de soins dispensés aux résidents, financées par l’assurance maladie, estimées pour 2018 à 1,34 milliard d’euros pour les soins de ville et à 1,02 milliard d’euros pour les hospitalisations et urgences.
La crise du Covid a, dans le domaine des EHPAD comme dans bien d’autres, été un révélateur de certains dysfonctionnements. Les dirigeants de ces établissements ont dû faire face à de multiples problèmes d’ordre sanitaire et éthique. Ils devaient protéger leurs pensionnaires tout en essayant de maintenir des conditions de vie dignes dans un contexte d’injonctions publiques pouvant être contradictoires ou du moins fluctuantes. Ils ont pu être accusés de prendre des mesures liberticides en empêchant les familles de voir leurs proches et/ou de mettre en danger ces derniers en ne fermant pas leur établissement à triple tour. Le livre Les fossoyeurs a percuté ce secteur au moment où l’épidémie commençait à reculer. Cet ouvrage fait suite à plusieurs autres dont EHPAD – Une honte française d’Anne-Sophie Pelletier, ou encore Le scandale des EHPAD de Hella Kherief.
L’accueil des personnes âgées a, en France, connu plusieurs grandes étapes, ces cinquante dernières années. La loi du 30 juin 1975 a permis de sortir l’hébergement pour personnes âgées du seul secteur hospitalier et de créer un secteur médico-social distinct. La réforme de 1999 a permis de transformer le modèle de la maison de retraite des années 80-90 en un EHPAD standardisé de qualité. Cette loi a été complétée par celle du 20 juillet 2001 sur perte d’autonomie, notion qui s’est progressivement substituée à la notion de dépendance. Cette loi a créé l’allocation personnalisée d’autonomie (APA). Depuis, la France attend une nouvelle loi sur le grand âge.
Les EHPAD ne se sont pas adaptés à l’évolution de leurs pensionnaires de plus en plus âgées et de plus en plus atteints de multipathologies. Selon la DREES, l’âge moyen des résidents en institution était de 85 ans et 9 mois en 2015 contre 85 ans en 2011. En quatre ans, la proportion des personnes âgées de 90 ans ou plus parmi les résidents en institution est passée de 29 % à 35. La durée de séjour était en moyenne de 2,5 ans en 2015. L’EHPAD est souvent le dernier lieu d’hébergement de la personne âgée et le dernier lieu de vie pour un quart des personnes décédées en France. La fin de vie fait donc partie du quotidien des EHPAD. Le niveau de dépendance des personnes accueillies s’accroît d’année en année. Entre 2011 et 2018 : leur GMP (groupe iso-ressources – GIR – moyen pondéré) passe en moyenne de 689 en 2011 à 723 en 2018. Plus de la moitié des résidents (54 %) y est désormais très dépendante (en GIR 1 ou 2). Plus de la moitié souffre de maladies neurodégénératives. Annexes des hôpitaux, les EHPAD ne sont pas équipés pour faire face à des patients nécessitant des soins en permanence. Dans la moitié des EHPAD, soit il n’y a pas de médecin coordonnateur, soit le nombre d’heures effectuées est insuffisant. La permanence d’un infirmier de nuit apparaît également trop peu développée. La prise en charge des résidents en EHPAD souffre du trop faible niveau d’intervention des ergothérapeutes, des psychomotriciens et des psychologues, pourtant essentiels pour les résidents atteints de troubles cognitifs. Les actions de prévention et l’amélioration de la qualité des conditions d’accueil se développent mais demeurent encore insuffisantes.
La France compte 7 500 EHPAD qui peuvent être publics, privés ou mutualistes. Ils ont été souvent construits de manière standardisée. Pour ralentir les dégâts des maladies mentales, il est indiqué que les pensionnaires devraient bénéficier d’un véritable logement avec des commodités indépendantes (réfrigérateurs par exemple). Au Danemark, les pensionnaires des EHPAD vivent dans des logements de 40 à 60 m² comprenant chambre, salle de bains, salon et kitchenette. Dans ce pays, les EHPAD sont placés au cœur des villes et certains de leurs services sont ouverts à l’ensemble de la population (restaurant, centres de santé). Ce type d’EHPAD est plus coûteux à la construction. Il est donc nécessaire de prévoir d’autres sources de revenus que les pensionnaires. Par ailleurs, il conviendrait de faciliter les hébergements de courte durée pour des personnes dépendantes qui vivent à domicile grâce à la présence d’aides familiaux. Durant les vacances ou en cas de problème de santé, les EHPAD devraient avoir des possibilités d’hébergement sur des périodes de quelques jours à quelques semaines. Les EHPAD pourraient également avoir la responsabilité de la livraison de plateaux-repas à domicile, d’être des plateformes de services pour les aidants et les professionnels de santé, ce qui suppose une architecture ouverte tant sur le plan juridique qu’au niveau physique. Ces EHPAD d’un nouveau genre pourraient disposer de cellules juridiques proposant des conseils aux familles pour la gestion des personnes dépendantes. De très nombreuses familles sont perdues quand un de leurs proches tombe en dépendance. De la mise sous tutelle à l’organisation des soins, tout est complexe, exige du temps et de la persévérance.
Aujourd’hui, il est assez facile de critiquer les EHPAD mais il faut se souvenir qu’il y a 20 ou 30 ans, la situation était bien plus dramatique. En 1998, selon une enquête publiée par le ministère des Affaires Sociales, seulement 66 % des résidents en maison de retraite occupaient alors une chambre individuelle. Ce taux était de 38 % dans les unités de soins de longue durée (USLD). Seulement 44 % des résidents en maison de retraite bénéficiaient de sanitaires dans leur chambre, 27 % dans les USLD. 54 % des résidents n’avaient pas de téléphone dans leur chambre et 40 % pas de télévision. Sur ces différents points, des progrès ont été réalisés sur l’ensemble du territoire. Les salariés des établissements avaient peu ou pas de diplômes. Il a été procédé depuis à une professionnalisation. L’idée que « c’était mieux avant » est donc un fantasme.
À compter de 1997, les EHPAD connaissent une véritable révolution imposée par l’établissement d’un cahier des charges national exigeant une montée en gamme. Dans les années 2000, ils sont devenus des modèles pour les partenaires européens facilitant l’internationalisation des groupes français. Le secteur se structure autour de quelques grands groupes. Cette industrialisation a peut-être contribué à une normalisation excessive. L’absence de concurrence a pu également freiner les innovations et les remises en cause. Il aurait certainement fallu que l’administration réévalue ce cahier des charges avec une meilleure prise en compte des intérêts des pensionnaires.
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