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L’édito d’avril 2021 – Mensuel n°84 du Cercle de l’Epargne
Le « Nudge » a envahi notre vie. Ce concept américain issu des sciences comportementales rassemble l’ensemble des techniques douces permettant d’influencer le comportement des agents économiques. En recourant à des messages jouant sur l’émotion ou l’empathie ou à travers des mécanismes d’incitation, les gouvernements et les entreprises tendent de plus en plus à infléchir les décisions des consommateurs ou des citoyens. David Cameron et Barack Obama ont été les premiers dirigeants à revendiquer l’usage du « Nudge » pour améliorer les résultats de leur politique. Ils ont ainsi créé des unités « Nudge », respectivement en 2010 et en 2013, afin d’étudier les moyens de pousser les citoyens à prendre les « bonnes décisions » que ce soit pour lutter contre l’obésité, favoriser le recyclage, diminuer sa consommation d’énergie, etc. La culpabilisation, le regard de l’autre, les bonus/malus font partie de la boîte à outils de ces techniques d’orientation des comportements. Les messages sur les bons et les mauvais aliments, ceux sur les véhicules polluants, les incitations fiscales diverses et variées sont devenus la règle au sein des démocraties. La frontière avec la manipulation voire la coercition est fine. Avec la crise sanitaire, les pouvoirs publics, face à une opinion rétive aux mesures brutales, privilégient la persuasion. L’épargne n’échappe pas à cette mise en scène. Les ménages ne sont-ils pas accusés de mettre trop d’argent de côté ? Les épargnants sont même catalogués comme des profiteurs de la crise. Ils sont appelés, par civisme, à réinjecter l’argent accumulé depuis le mois de mars de l’année dernière, faute de quoi, ils pourraient subir le fer de la taxation. La communication pratiquée est, dans les faits, basique. « Dépêchez-vous de consommer si vous ne voulez pas que l’État augmente ses prélèvements ». Ce recours à la menace à peine voilée alimente les rumeurs. Des Internautes peu scrupuleux voire malveillants, sont ainsi tentés de mettre en avant la volonté masquée des pouvoirs publics d’effectuer un racket sur l’épargne. Quand la machine à fausses informations est lancée, nul ne peut l’arrêter. Le maniement des comportements est un jeu à double tranchant. À force de vouloir prendre les citoyens pour des êtres faibles, ces derniers peuvent avoir envie de se venger ou du moins de s’opposer aux souhaits des gouvernements. Or, face à une éventuelle taxation de l’épargne, les ménages ont tendance non pas de consommer mais à mettre encore plus d’argent de côté. Ce renforcement de l’effort d’épargne se justifie par le souhait de maintenir le niveau de son patrimoine. Par ailleurs, quand l’État a besoin d’argent, cela signifie que la situation est grave et qu’il est de bon ton de renforcer son épargne de précaution. Les pouvoirs publics, à force de raffiner leur communication, en perdent le fil. Ainsi, les Français doivent tout à la fois réduire leur effort d’épargne et renforcer leur épargne à long terme pour financer notamment leur retraite. S’ils doivent consommer pour relancer l’économie, ils sont censés ne pas gaspiller, privilégier les biens d’occasion et réparer leur électroménager plutôt que de succomber à la nouveauté, afin de réduire leur empreinte environnementale. Comprendra qui voudra ! La coercition douce reste une coercition. Il serait préférable de recourir à la franchise et responsabiliser les agents économiques plutôt que de les infantiliser comme cela est trop souvent le cas. L’efficience y gagnerait, tout comme la morale.
Jean-Pierre Thomas
A lire dans le Mensuel N 84 d’ avril 2021 du Cercle de l’Épargne
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