Entre son gonflement par absence de consommation et sa mobilisation pour la reprise économique en passant par son éventuelle taxation, l’épargne est, depuis le début de la crise, au cœur des débats. Que pouvons-nous attendre dans les prochains mois sur le terrain de l’épargne ?
Sur l’ensemble du premier trimestre qui a été marqué par seulement 15 jours de confinement, le taux d’épargne a gagné plus de quatre points. Il a, en effet, atteint 19,6 % du revenu disponible brut contre 15,1 % au dernier trimestre 2019. À période historique, épargne atypique ! Les mois de confinement ont conduit les ménages à épargner malgré eux, faute de pouvoir consommer. Au cours du seul mois d’avril qui a été entièrement confiné, le taux d’épargne aurait atteint près de 40 %. Le taux d’épargne financière est passé de 4,6 à 10,4 % du revenu disponible brut sur la même période. Cette augmentation sans précédent du taux d’épargne est la conséquence d’une forte baisse de la consommation. Sur l’ensemble de la période de confinement, les ménages ont épargné une soixantaine de milliards d’euros.
Le dégonflement de cette poche sera donc un enjeu majeur des prochains mois. Néanmoins, à chaque crise, l’encours de l’épargne liquide augmente sans retrouver son niveau initial durant la période de croissance qui suit. La succession de crises depuis une trentaine d’années contribue à cet effet cliquet, aidé en outre par le vieillissement de la population. Au Japon, l’épargne des ménages est recyclée dans l’endettement public qui dépasse 250 % du PIB. Les déficits se financent aisément par la coexistence d’une épargne abondante et de politiques monétaires accommodantes. Pour les pays ayant en plus des excédents extérieurs importants comme le Japon ou l’Allemagne, la contrainte de l’endettement public est faible voire inexistante.
Les premières semaines de déconfinement ont prouvé un rapide retour à la normale de la consommation qui était, en mai, encore entravée par le maintien de certaines restrictions de circulation, et par les fermetures des restaurants et des cafés. Avec la levée de ces restrictions, un rebond des dépenses est-il possible ? Est-il imaginable que les ménages rattrapent les dépenses annulées durant le confinement ? Une partie le sera. Il s’agit des dépenses d’habillage, des dépenses incontournables pour le logement, mais d’autres ne le seront pas car devenues inutiles. Si rebond il y a, il exige un éclaircissement de la situation sanitaire. La restauration de la confiance constitue évidemment un point clef pour la reprise de la consommation. Celle-ci nécessite que la dégradation de la situation du marché de l’emploi soit la plus faible possible. Les plans de soutien décidés par les pouvoirs publics sont également amenés à soutenir la consommation d’ici la fin de l’année.
Au regard des pratiques constatées dans le passé, les ménages devraient conserver un volant important d’épargne de précaution. Il y a un effet cliquet qui joue depuis une quinzaine d’années. À chaque crise, les Français épargnent en laissant leurs liquidités sur leurs comptes courants, sur leur Livret A ou sur leur LDDS mais, après la crise, l’encours ne retrouve pas son niveau antérieur. La succession des crises incite les ménages à renforcer de plus en plus leurs liquidités. Cette situation est constatée dans de nombreux pays et notamment au Japon.
Le maintien d’un fort taux d’épargne n’est pas en soi aussi dommageable que certains le prétendent. Au Japon, il autorise un endettement public très élevé, plus de 250 % du PIB. L’État, en empruntant, compense l’aversion aux risques des ménages.
Pour favoriser la consommation et au nom de la solidarité nationale, certains seraient tentés d’instituer une taxe sur l’épargne ou de restaurer l’Impôt de Solidarité sur la Fortune. Cette solution, facile à mettre en œuvre, serait contre-productive. Elle inciterait les épargnants à conserver encore plus d’argent sur leurs comptes courants, voire d’accroître leur réserve de numéraire. Par ailleurs, l’augmentation des prélèvements n’a pas incité dans le passé les épargnants à consommer. Cela a bien souvent eu l’effet contraire à celui escompté. L’augmentation des prélèvements symboliserait la prégnance des difficultés économiques et financières. Face à une dégradation annoncée de la situation, les ménages ont, en règle générale, tendance à augmenter leur épargne. Par ailleurs, avec l’accroissement des prélèvements, la rentabilité de l’épargne baissera, contraignant les Français à épargner davantage pour atteindre le niveau d’encaisse souhaité.
L’accroissement des prélèvements aura également comme conséquence de dissuader les investissements d’origine étrangère. La France a un besoin de capitaux tant pour financer la dette publique que pour moderniser l’appareil productif.
Le dégonflement de l’épargne de précaution passe par la confiance qui repose sur l’amélioration de la situation économique et sur la stabilité du cadre juridique.
Les gouvernements, à défaut de pouvoir contraindre les épargnants à se muer en consommateurs, espèrent infléchir leur comportement afin qu’ils orientent leurs liquidités vers des placements de long terme. Cette question était d’actualité avant la crise. La Loi PACTE de 2019 avait justement comme objectif le développement de produits longs d’épargne, notamment en vue de la retraite. La crise actuelle révèle la faiblesse en fonds propres des entreprises françaises qui sont fortement endettées.
Pour recycler l’épargne issue du confinement, le Gouvernement pourrait avoir l’idée de créer un grand fonds d’investissement lui permettant de venir en aide à des entreprises soit sous forme de prêts soit sous forme d’apports en capital. Pour alimenter ce fonds souverain, l’État pourrait faire appel aux épargnants avec ou sans réduction d’impôt. La question des modalités de gestion de ce fonds se posera. Dans le passé, l’État n’a pas toujours été chanceux en jouant la carte de l’économie mixte (Crédit Lyonnais, plans machines-outils, informatiques, etc.).
Jusqu’en 1995, les Gouvernements aimaient régulièrement proposer aux épargnants la souscription à des emprunts d’État. Certains pouvaient être obligatoires comme en 1976 avec « l’emprunt sécheresse ». D’autres pouvaient être assortis d’avantages divers (fiscalité ou indexation avec les emprunts Pinay ou Giscard). Cette pratique a été abandonnée avec la baisse des taux et la modernisation des marchés financiers. Le Gouvernement pourrait renouer avec le grand emprunt mais au vu des conditions de marché, le taux offert serait faible. Il faudrait donc qu’il soit obligatoire pour être rentable. En l’état actuel, cette solution n’apparaît pas la plus attrayante.
Éric Woerth a émis l’idée d’instituer un livret « covid-19 » afin de faciliter le financement de l’économie dite réelle. Ce livret reprendrait l’architecture du Livret A mais au lieu de financer le logement social ou les collectivités locales, il permettrait d’accorder des prêts de longue durée aux entreprises. Cette intermédiation administrée pourrait s’avérer coûteuse aux pouvoirs publics et ne ferait qu’accroître l’endettement des entreprises. Pour être attractif, le taux de rémunération de ce livret ne pourrait être guère inférieur à celui du Livret A, soit actuellement, 0,5 %. Or, compte tenu des faibles taux, ce rendement pèserait sur le coût de la ressource destinée aux entreprises. En instaurant une exonération, l’État perdrait des recettes fiscales qui lui manquent cruellement. Le mode de gestion administrée de ce type de placements pourrait être, enfin, peu efficient pour l’économie.
Le renforcement des fonds propres passe par les augmentations de capital des entreprises. L’achat sur le marché secondaire des actions n’a pas d’incidence directe sur le capital de l’entreprise. Pour avoir un effet économique, une action sur les augmentations en capital doit être privilégiée. La France dispose déjà de plusieurs véhicules pouvant répondre à cette demande, les Fonds communs de Placement dans l’Innovation et les Fonds d’Investissement de Proximité. Une amélioration de leur régime fiscal pourrait être imaginée afin d’encourager ce type de placements.
La France a besoin d’épargne longue orientée vers les entreprises. Le Plan d’Épargne Retraite a été créé pour améliorer non seulement le niveau de vie des futurs retraités mais aussi le financement des entreprises. Lancé le 1er octobre 2019, sa commercialisation a été arrêtée de fait par la crise sanitaire. Afin d’encourager ce produit, au moment où les Français sont avant tout attachés à la liquidité, une augmentation passagère du régime de déduction fiscale pourrait être imaginée pour les années 2020 et 2021. De même, un geste fiscal en faveur des unités de compte pourrait être institué.
Gérald Darmanin a proposé de « généraliser » et « étendre l’actionnariat salarié, en versant aux salariés des montants importants, et non plus symboliques ».
L’encours de l’épargne salariale s’élevait en 2019 à 144 milliards d’euros (source AFG). C’est moins de la moitié de l’encours du Livret A et à des années-lumière de l’assurance vie qui affiche plus de 1 740 milliards d’euros d’encours. Les versements en 2019 ont été de 15,5 milliards d’euros (+325 millions d’euros par rapport à 2018). 10,9 millions de bénéficiaires dont 3,1 millions ont un produit d’épargne retraite (PERCO ou PER). Le montant moyen de l’épargne salariale pour les salariés couverts était, en 2017, de 2 500 euros (l’équivalent d’un 13e mois — source DARES). Seulement 15 % des salariés dans les entreprises de moins de 50 salariés ont accès à un produit d’épargne salariale contre 84 % dans les entreprises de plus de 500 salariés (source DARES).
Plusieurs mesures ont été prises dans la loi PACTE en réduisant le forfait social pour les PME. Il est encore trop tôt pour apprécier leurs effets. Au moment où les entreprises enregistrent des contractions de leur chiffre d’affaires, il n’est pas certain que le contexte soit porteur pour l’épargne salariale. En outre, le Gouvernement a demandé aux entreprises qu’il aidait de ne pas verser en 2020 de dividendes, ce qui touchera les bénéficiaires de l’épargne salariale. Même si cette dernière favorise le financement des entreprises, sa relance ne pourra se réaliser qu’à moyen et long terme.
Le dégonflement de l’épargne des ménages sera, en France, progressif. À la différence des autres crises, il semble que les épargnants n’aient pas effectué de sortie du marché « actions ». Certes, fin 2019, la France ne comptait que 3 millions d’actionnaires directs contre 7 millions en 2007, néanmoins, selon l’Autorité des Marchés Financiers, plusieurs centaines de milliers d’épargnants auraient décidé d’effectuer des achats d’actions au mois de mars profitant de la baisse des cours. Ce comportement signifierait que les Français ont confiance dans l’avenir des entreprises ou qu’ils intègrent la volatilité des cours. Jusque-là, les épargnants français avaient tendance à entrer au plus haut et à vendre au plus bas. Leur changement d’attitude est donc une évolution favorable aux placements « actions ». Dans ces conditions, le Gouvernement aurait tout à gagner à ne pas changer les règles de l’épargne dans le contexte que nous connaissons à l’heure actuelle.
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