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« Au-delà du salaire de la peur », par Jean-Pierre Thomas, Président du Cercle de l’Épargne

Les éditos du Président 8 mai 2025

Nous connaissons tous Le Salaire de la peur, chef-d’œuvre d’Henri-Georges Clouzot, où le danger imminent dicte chaque décision. En France, depuis 2020, un autre scénario s’est imposé : celui de l’épargne de la peur. Sous l’effet d’une succession de chocs — crise sanitaire, guerres en Ukraine et au Moyen-Orient, poussée inflationniste, tensions politiques, retour de Donald Trump, urgence climatique, vieillissement démographique — les ménages ont, presque mécaniquement, accru leur épargne de précaution. Contrairement à leurs homologues américains, prompts à renouer avec la consommation dès le retour à la normale, les Français n’ont pas desserré les cordons de leur cagnotte.

L’épargne obéit à deux dynamiques fondamentalement opposées : la peur du présent et la foi en l’avenir. Les incertitudes du temps incitent à la prudence, mais l’acte même d’épargner n’a de sens que s’il est adossé à une confiance — même ténue — dans le futur. Ainsi, selon que l’une ou l’autre de ces forces domine, l’épargnant orientera ses choix vers des actifs de court ou de long terme, plus ou moins risqués. Lorsque l’horizon s’éclaircit, les investissements productifs reprennent le dessus ; à l’inverse, lorsque le brouillard s’épaissit, les capitaux se replient vers des havres familiers : livrets, immobilier, or… des valeurs-refuges inchangées depuis plus d’un siècle.

À cette trilogie historique s’est ajoutée, depuis les années 1990, une spécificité française : les fonds en euros de l’assurance vie. Offrant une rare combinaison de sécurité et de rendement, ils incarnent cette prudence rationnelle qui refuse de choisir entre immobilisme et productivité.

En 2024, les dépôts à vue des ménages s’élèvent à 550 milliards d’euros, soit 70 milliards de plus qu’en 2019. L’encours des livrets réglementés a bondi de 231 milliards en cinq ans, passant de 442 à 673 milliards. L’assurance vie, quant à elle, a su préserver sa dynamique. Son encours total atteint 2 000 milliards d’euros, contre 1 500 milliards dix ans plus tôt, et voit les unités de compte — placements exposés aux marchés — représenter désormais 40 % des flux de souscription et 28 % de l’encours global.

Cette résilience n’est pas anodine. Elle témoigne d’un apprentissage collectif. Les Français, échaudés mais lucides, n’ont pas cédé à la panique lors des épisodes de volatilité, notamment en 2020 ou plus récemment en 2025. Ils ont su résister à l’instinct de vente à perte, certains allant jusqu’à profiter des replis du marché pour renforcer leurs positions. C’est la marque d’un épargnant devenu acteur de ses décisions, et non simple spectateur des cycles.

Il serait tentant de voir dans cette accumulation une forme de repli sur soi. Il n’en est rien. L’épargne n’est pas un réflexe d’évitement ; elle peut être un levier de transformation. Placée, investie, orientée, elle devient une force au service du développement économique et de la transition sociale. Encore faut-il sortir de la logique défensive pour entrer dans une dynamique de projet.

L’enjeu est désormais clair : substituer à l’épargne de la peur une épargne de projet. Redonner foi dans le long terme, renforcer la lisibilité de l’action publique, offrir des perspectives crédibles sur les retraites et la transition écologique — telles sont les conditions nécessaires pour canaliser cette ressource vers les entreprises, en particulier les PME, les territoires, l’innovation.

Dans une époque traversée par le doute, l’épargne peut redevenir un acte de confiance. Il appartient aux décideurs, autant qu’aux institutions financières, de réenchanter l’avenir pour que les Français n’épargnent plus malgré l’histoire, mais pour l’histoire.

Jean-Pierre Thomas

Président du Cercle de l’Épargne

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