Accueil > Actualités > Economie > 2020 >
L’interview de Philippe Crevel à retrouver dans le Mensuel N°75 de juillet 2020
Plus d’un mois après le déconfinement, l’économie française redémarre notamment grâce à la consommation. L’importance de la reprise permettra de compenser en partie les pertes enregistrées du mois de mars au mois de mai. Dans ce contexte particulier marqué par une forte progression de l’endettement public, quelles sont les perspectives pour la France dans les prochains mois ?
Le redémarrage de l’économie est réel. La consommation a assez rapidement retrouvé un rythme proche de celui d’avant crise. En revanche, la production, notamment industrielle, peine un peu à monter en puissance en raison des mesures de distanciation et des ruptures d’approvisionnement. Dans les prochaines semaines, ces problèmes et contraintes s’estomperont. Certains secteurs demeurent néanmoins fortement pénalisés, et en premier lieu le tourisme, même si avec les vacances, la situation devrait progressivement s’améliorer. Fin juin, de nombreux hôtels étaient encore fermés. L’absence des touristes internationaux se fait fortement ressentir tant au sein des grandes métropoles que sur le littoral. Par ricochet, les transports sont toujours dans une phase de redémarrage symbolisée, le 26 juin dernier, par la réouverture de l’aéroport d’Orly. Les difficultés de certains secteurs et de certaines entreprises existaient bien avant la crise, celle-ci n’a fait que les accentuer. L’automobile est, en effet, confrontée à une difficile double mutation, la transition énergétique et l’automatisation. Cette mutation intervient dans un contexte de métropolisation du pays amenant à redéfinir la place de la voiture dans la cité.
Les pouvoirs publics ont décidé de soutenir à la fois la demande, à travers les mécanismes de chômage partiel, et l’offre avec les prêts garantis par l’État. Ces mesures sont complétées par des plans de relance sectoriels et par le futur plan européen. Les effets économiques de ces mesures devraient se faire sentir essentiellement au cours du second semestre. Le rebond constaté depuis le 11 mai devrait s’accroître à la rentrée de septembre.
L’endettement public devrait passer de 98 à 120 % du PIB au cours de l’année. Cette progression est la conséquence d’une amplification des dépenses sociales et d’une contraction des recettes en liaison avec la récession. Avec l’appui de la Banque centrale européenne, l’État peut emprunter à très faible coût. Avec une dette multipliée par plus de deux en vingt ans, le service de la dette, le paiement des intérêts, est resté identique. La contrainte financière n’existe pas tant que la BCE maintient sa politique monétaire expansionniste, ce qui suppose l’accord des Allemands. Si, évidemment, demain, les taux d’intérêt venaient à progresser de plusieurs points, la situation serait tout autre. Par crainte d’un emballement inflationniste, d’un processus de dépréciation monétaire, les États d’Europe du Nord souhaiteront à un moment ou un autre réduire les injections de liquidités de la banque centrale. Ce processus sera délicat à réaliser compte tenu des stocks de dettes en jeu.
Les émissions de dettes sont, en partie, monétisées avec les rachats que la Banque centrale européenne réalise depuis le début de la crise. Les titres de dettes sont inscrits au bilan de la BCE. Les États sont appelés à rembourser au fur et à mesure leur dette. Si les tombées d’emprunt donnent lieu à de nouveaux rachats de manière automatique avec des taux faibles, voire négatifs, la dette devient de fait perpétuelle et pèse peu sur les finances publiques. Cela suppose évidemment le maintien de taux d’intérêt faibles.
Pour réduire le poids de la dette publique, des voix se font entendre pour annuler les titres détenus par la Banque centrale. L’effacement de tout ou partie des dettes s’appelle un défaut de paiement, une banqueroute. Par le passé, la France a eu recours à huit reprises à la banqueroute. En 1797, deux tiers de la dette publique française furent effacés. En 1812, à plus petite échelle, Napoléon 1er, après le désastre de la retraite de Russie, décida de ne pas honorer toutes les dettes de la France. Le défaut de la Russie, en 1917, reste un des plus célèbres mettant en cause de nombreux épargnants français.
L’ancien chef économiste du FMI, Kenneth Rogoff, dans un de ses ouvrages, avait dénombré qu’entre 1975 et 2006, 71 pays ont fait défaut sur leurs dettes souveraines. La Croatie en 1996, la Russie en 1998, l’Ukraine en 2000 ou encore le Venezuela en 2004 furent les derniers à connaître un défaut. La Grèce qui détient le record du nombre d’années passées en défaut depuis sa création en 1860 n’a pas fait officiellement banqueroute en 2012, mais dans les faits, cela s’en rapprocha. Le défaut de paiement pour un État est souvent synonyme de mise au ban avec de possibles mesures de rétorsion internationales. L’Argentine, qui a fait banqueroute sur sa dette en 2001, reste encore à ce jour exclue des marchés financiers. Les investisseurs se méfient naturellement d’un État qui n’honore plus sa signature. Pour éviter cette situation délicate, les États préfèrent renégocier leur dette avec le concours du FMI voire de la Commission de Bruxelles comme pour la Grèce en 2012. Cette affaire grecque a laissé un goût amer pour les banques et les compagnies d’assurances qui ont dû annuler certains titres grecs. Ce sont les épargnants qui ont payé en partie la note. Par ailleurs, l’affaire grecque a contribué à ralentir la croissance jusqu’en 2018.
Pour limiter les effets d’un défaut européen, certains estiment que cette décision devrait être prise au niveau international. Il n’en demeure pas moins que cela resterait pour la communauté financière, un aveu de faillite. À partir du moment où les créances commencent à ne plus être remboursées, nul ne sait où ce processus s’achèvera.
contact@cercledelepargne.com