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L’histoire des retraites en France, un mille feuilles marqué par l’Histoire

Le premier régime de retraite français a plus de 300 ans. C’est Colbert, le grand commis de l’Etat et le précurseur de l’économie mixte qui a créé un régime de pensions au profit des mariniers. Pourquoi les mariniers ont-ils eu avant tous les autres travailleurs le droit à une retraite payée par l’Etat ? Les mariniers qui passaient leur vie sur les mers, n’avaient guère, en effet, le temps et les moyens pour accumuler un capital en vue d’assurer un revenu pour leurs vieux jours. La dureté de la tâche et la nécessité d’avoir des hommes en pleine possession de leurs moyens justifiaient l’instauration par les pouvoirs publics d’un régime de pensions.

Malgré la création de ce premier régime, il faudra plus de trois cents ans pour généraliser l’assurance vieillesse dans notre pays ; trois cents années faites d’hésitations et de controverses ; trois cents années qui n’ont pas suffi pour créer un système homogène et pouvant affronter sans risque le défi du vieillissement démographique.

La couverture du risque vieillesse a été, en effet, l’objet, en France, d’importantes polémiques qui ne sont pas toutes éteintes comme en témoignent les débats et les passions que génère actuellement l’éventuelle instauration d’un complément de retraite par capitalisation. Au fil des siècles, ce sont les mêmes questions, les mêmes antagonismes et parfois les mêmes solutions qui reviennent :

– Qui doit instituer et gérer les régimes de retraite ?
– Doivent-ils être facultatifs ou obligatoires ?
– Comment doivent-ils être financés ?

Le législateur et plus globalement les pouvoirs publics ont du s’y prendre, à plusieurs reprises, pour répondre de manière adéquate à ces questions et pour instituer une couverture vieillesse globale et correcte. La multitude des textes législatifs et des initiatives tant publiques que privées marquent profondément notre système de retraite et expliquent sa complexité.

Si les mariniers ont été, compte tenu de la spécificité de leur métier, des précurseurs, dès le XVII ème siècle, le problème de la retraite se pose avec acuité au XIX ème siècle. Le décollage industriel, l’urbanisation et l’allongement de la durée de la vie ont profondément transformé durant ce siècle, profondément, la notion de vieillesse.

Dans la société rurale telle qu’elle a existé jusqu’au XIX ème siècle, la prise en charge de la vieillesse est assurée par la famille ou plus largement par la communauté villageoise. Le vieillard, c’était celui qui ne pouvait pas travailler aux champs ; ce qui ne l’interdisait pas, par ailleurs, de remplir certains petits travaux n’exigeant pas trop d’efforts physiques. Le travail était la règle jusqu’à l’extrême limite de ses possibilités. Le vieillard était l’impotent, mais il était en règle général respecté ou toléré car, il jouait le rôle clef en détenant le capital de la famille, les terres, la boutique, les outils.

Avec l’industrialisation, avec le développement du salariat, le problème de la vieillesse change de nature. Le salarié, à la différence du paysan, n’a pas de capital. Il ne dispose que de sa force physique et de ses capacités intellectuelles. Au début du siècle dernier, le salarié travaille jusqu’à l’épuisement ou jusqu’au moment où sa productivité décline. Avec l’avènement de l’industrie, les personnes âgées demeurent souvent prises en charge par les familles, il ne faut pas sous-estimer les solidarités familiales même dans les villes, mais l’insuffisance des revenus fait des vieillards des personnes fréquemment isolées et démunies. Le retour au village d’origine ou l’apport des enfants constituent, alors, la seule possibilité pour l’ouvrier âgé de continuer à vivre dignement sauf s’il a eu la possibilité d’épargner durant sa vie active.

L’Etat, pour ses agents, met en place une couverture du risque vieillesse, dans le prolongement de ce qui avait été fait au XVII ème siècle pour les mariniers. Ainsi, en 1790, le régime des fonctionnaires titulaires de l’Etat est institué. De même, en 1831, un régime de retraite est créé en faveur des militaires. Dès 1806, la Banque de France qui est, à l’époque une entreprise privée, mais qui remplit des missions de services publics, instaure un régime de pensions. La création par l’Etat de systèmes de couverture du risque vieillesse n’est pas surprenante. En effet, l’Etat qui développe ses administrations au cours du XIX ème siècle, embauche des jeunes employés qui pour accepter d’abandonner leurs droits sur la terre ou sur la boutique de leurs parents ou plus simplement pour accepter de partir de leur village ou de leur ville natale, ont besoin d’avoir un minimum de couverture sociale d’autant plus que les rémunérations versées par l’Etat sont faibles.

Toujours au XIX ème siècle, c’est le patronat des grandes entreprises, en particulier dans le Nord, qui crée des régimes de retraite. C’est, ainsi, que les mines en 1894, les grands réseaux ferrés, en 1909 et les réseaux ferrés secondaires en 1922 instituent des mécanismes de couverture vieillesse pour leurs anciens salariés. Ces régimes ont perduré même après de la création de l’assurance vieillesse en 1945. Ces régimes qui obéissent à des règles spécifiques de cotisations et de prestations, correspondent à nos régimes spéciaux.

Le politique ne s’est pas désintéressée, loin de là, de l’épineux dossier de la couverture du risque vieillesse. Le débat, dès le départ, s’est cristallisé autour du caractère obligatoire ou facultatif du système de retraite. Pour les libéraux, comme Thiers, la couverture du risque vieillesse devait être laissée à l’appréciation de chacun. Il ne faut pas y voir une volonté délibérée des libéraux de maintenir la classe laborieuse dans un état de dénuement, mais comme la volonté de laisser chacun maître de son argent. A l’époque, il était admis tant pour la droite que pour les syndicats que les salariés devaient pouvoir utiliser, comme ils le souhaitaient, leur épargne.

Durant la seconde moitié du XIX ème siècle, avec le décollage économique de la France, la retraite devient un enjeu politique et social.

La Seconde République de 1848 et le Second Empire donnent lieu à d’importantes avancées dans ce domaine.

En 1848, deux projets avec des philosophies différentes sont déposés. Le projet de Waldeck-Rousseau propose d’obliger les communes, les départements et l’Etat à verser des cotisations au profit des caisses de prévoyance mutuelle. Il s’agit d’un projet qui repose sur la notion de solidarité. C’est le contribuable, tant local que national, qui est appelé à financer des pensions. Dans le deuxième projet, celui de Rouveuvre, il s’agit d’imposer des contributions obligatoires aux patrons au profit des sociétés de secours mutuels. Ce projet obéit à une logique professionnelle. Ni l’un, ni l’autre ne verront le jour, mais ils ont eu une nombreuse descendance.

En effet, ils donneront naissance, entre 1850 et 1852, à la création de la Caisse nationale de retraite et du fonds collectif d’épargne et de la mutualité.

La Caisse nationale de retraite a été créée par la loi du 18 juin 1850 afin de recueillir l’épargne des salariés qui souhaitent préparer leur retraite. Cette nouvelle institution n’a pas réussi à attirer les ouvriers. Elle est utilisée avant tout par les titulaires de revenus moyens et élevés qui profitent du bon rendement des placements. De ce fait, un décret de 1852 a permis à travers la création d’un fonds collectif d’épargne, aux sociétés mutuelles de verser des pensions. Le gouvernement de l’époque considérait que, par leur proximité et leur bonne image, les sociétés mutualistes répondraient mieux aux attentes des ouvriers. Cette volonté de la Seconde République et du Second Empire à traiter le problème de la retraite repose en grande partie sur celle de Louis Napoléon Bonaparte qui avait en 1844 écrit un ouvrage sur « l’extinction du paupérisme ».

La Caisse nationale de retraite et le fonds collectif furent des échecs relatifs. A la veille de la première guerre mondiale, ces deux institutions versent des pensions à moins de 500 000 personnes. Plus grave, seuls 6 % des ouvriers ont adhéré à ces régimes.

La grande faille de ce système provenait de son caractère facultatif et du choix de la capitalisation qui pose un problème d’amorçage pour les personnes qui sont retraités ou qui sont en fin de période d’activité. Pour bénéficier d’une rente confortable, il faut placer une partie de son épargne sur au moins une dizaine d’années.

Face à cet échec relatif, le législateur, avant la première guerre mondiale et pendant l’entre-deux-guerres, essaiera d’instituer une couverture de retraite généralisée.

Le rapide développement du salariat s’accompagne d’une montée en puissance du nombre de retraités. Il faut, en outre, souligner que les employeurs ont, pour maintenir leur niveau de productivité, besoin de rajeunir en permanence leurs effectifs. La création de régimes de retraite répond donc à deux objectifs : un objectif social et un objectif économique.

De 1866 à 1906, le nombre de salariés augmente de 5,2 millions. Sur la même période, le nombre des agriculteurs diminuent de 100 000 par an. Par ailleurs, en ce début du XIX ème siècle, la France est confrontée à son premier papy boom, avec un vieillissement démographique occasionné par une chute rapide de la natalité ; la part des plus de 60 ans passant de 10,9 % en 1861 à 12,8 % en 1901.

La loi du 14 juillet 1905 définit le cadre de l’assistance aux vieillards nécessiteux. De 1908 à 1936, de 500 000 à 700 000 personnes âgées, soit 11 % de la population concernée, bénéficient de cette loi, sous la forme de prestations ou sous la forme d’un hébergement dans un hospice. En effet, cette loi oblige les hospices à accueillir gratuitement les vieillards en difficulté. La loi de 1905 instaure, ainsi, une sorte de minimum vieillesse en faveur des personnes âgées.

La loi du 5 avril 1910 sur les retraites ouvrières et paysannes est un nouvel essai de généralisation de la prévoyance collective. Mais, une fois de plus, le succès n’est pas au rendez-vous car la jurisprudence limite la portée de cette loi en indiquant qu’elle n’a pas de caractère obligatoire. De ce fait, elle est demeurée en grande partie inappliquée.

La première guerre mondiale a un impact non négligeable en matière d’assurance social. A la fin de cette guerre qui, par sa durée et son horreur, mélangea les classes sociales, un besoin légitime de protection se fit jour. La mort de millions d’hommes et les millions de blessés, souvent handicapés à vie, rendent nécessaire la mise en place de nouveaux systèmes d’assurance. Face aux veuves, face aux mutilés de la guerre, un devoir de solidarité s’impose. L’état providence moderne est, ainsi bien malgré lui, un enfant des tranchées. L’hostilité d’avant guerre des syndicats qui par foi révolutionnaire, refusait toute forme d’assistance patronale, s’estompe. La guerre aura été l’occasion également de comparer notre système social par rapport à ceux en vigueur à étranger. Or, force est de constater que la France avait pris un retard important. Le retour de l’Alsace Lorraine qui hérite et qui conserve jusqu’à aujourd’hui du système de retraite allemand, prouve à la communauté française que les tergiversations du XIX ème siècle n’ont pas permis d’offrir à chacun la couverture sociale qu’il mérite.

Dès 1889, l’Allemagne bénéficie, en effet, d’un régime de retraite qui couvre une grande partie de la population. La Belgique a mis en place un système de retraite entre 1911 et 1925. L’Italie et le Royaume-Uni ont fait de même respectivement en 1919 et 1925.

Dans notre pays, malheureusement, la solidarité née des horreurs des tranchées ne débouchera sur rien de concret ; les leçons de la Première Guerre mondiale ont été vite oubliées ou mal apprises. Le souhait d’effacer des mémoires cette boucherie, l’espoir de retrouver la joie de l’avant guerre ne permettent pas de remodeler tant les institutions fatiguées de la III ème République que de construire un véritable système d’Etat providence. La France ne profite donc pas de la croissance des années vingt pour moderniser en profondeur ses structures sociales. Pourtant, les revendications sociales augmentent avec le développement du taylorisme, avec le processus de concentration dans l’industrie. La longueur des débats parlementaires et l’instabilité gouvernementale empêchent toutes avancées significatives sur le dossier de la retraite. Ni les gouvernements de droite, ni le Front populaire n’ont réussi à régler ce dossier. Si, aujourd’hui, bien souvent, nous légiférons dans l’urgence en réaction à des fait d’actualité et de ce fait si nous légiférons trop et mal, la III ème République était marquée par les défauts inverses. La discussion d’un texte pouvait prendre des années.

Néanmoins, quelques petits pas sont réalisés, en vue d’améliorer la situation des futurs retraités avec l’adoption de la loi du 5 avril 1928 qui est modifiée, par ailleurs, par la loi du 30 avril 1930.

Dans les faits, le premier régime de retraite des salariés non cadres date réellement des lois de 1928 et de 1930 sur les assurances sociales. Ces lois qui concernaient les salariés agricoles ainsi que ceux de l’industrie et du commerce, innovent sur deux points en tendant à instituer un régime obligatoire et mixte qui repose à la fois sur la capitalisation et sur la répartition.

La grande partie des cotisations étaient versées à des caisses de retraite fonctionnant selon le principe de capitalisation. Néanmoins, une petite part de ces cotisations était affectée à un fonds de garantie qui fournissait, en utilisant la technique de la répartition, des pensions, aux personnes à faibles revenus. Le montant des cotisations étaient faibles ; le montant des prestations offertes aux retraités ne leur permettait pas de maintenir un niveau de vie convenable. Dans les esprits, la notion de la retraite n’était encore appréhendée que sous l’angle de la survie et non sous l’angle d’une période de vie. Les lois de 1928 et de 1930 avaient, en outre, un grand défaut ; elles ne réglaient pas le problème des personnes de plus de 60 ans qui n’avaient pas cotisé et qui se trouvaient réduit à la pauvreté.

Notre système de retraite était, à la veille de la seconde guerre mondiale, embryonnaire, et injuste. Une partie de la population bénéficiait de la couverture par les régimes spéciaux, une autre partie avait adhéré à un des dispositifs mis en oeuvre par l’Etat ou en adhérant à une mutuelle, une autre partie, par son épargne, se fabriquait sa propre retraite et enfin une partie de la population était sans aucune protection. Le krach de 1929 et l’inflation augmentèrent le nombre de personnes sans revenu au moment de la cessation d’activité.

L’incapacité des pouvoirs publics d’instituer un système général de retraite et plus globalement, un système global d’Etat providence, a permis aux mutuelles de se développer dans le domaine de la protection sociale. En 1939, plus de 10 millions de Français étaient adhérents à une mutuelle contre 2 millions en 1898.

A la veille de la seconde guerre mondiale, dans un pays en proie au vieillissement, l’ensemble de la population n’était donc pas couverte par un système de retraite. Les hésitations des pouvoirs publics tant à la fin du XIX ème siècle, qu’au début du XX ème siècle, les réticences tant patronales que syndicales ne sauraient être utilisées pour condamner définitivement la retraite par capitalisation. Il ne faut pas assimiler la technique qu’est la capitalisation avec l’incapacité traditionnelle de la France à se réformer.

La seconde guerre a joué comme la première, mais de manière plus efficace, le rôle de catalyseur pour l’instauration d’une couverture sociale des salariés.

Les besoins d’une couverture sociale étaient, en effet, connus de longue date, de multiples propositions avaient été faites, seule la volonté manquait. En deux temps, la France a rattrapé son retard. Ainsi, le régime de Vichy, en 1941, a opté pour l’instauration d’un régime obligatoire de retraite par répartition. En même temps, un minimum vieillesse était institué à travers une allocation aux vieux travailleurs salariés.

A la Libération, l’ordonnance du 19 octobre 1945 instaurait, dans le cadre de la Sécurité Sociale, un système cohérent et obligatoire de retraite d’assurance vieillesse fondé sur la répartition. Ce régime qualifié de « général » n’a pas mis fin aux régimes particuliers qui préexistaient. Le régime général de retraite a été construit sur les décombres de la guerre et après la faillite des rentiers. Elle est le symbole de la cogestion à la française : les représentants des salariés et du patronat dirigent les caisses de retraite.

L’engagement de créer un système de Sécurité Sociale avait été pris avec le programme du Conseil National de la Résistance publié le 15 mars 1944. Ce programme prévoyait l’instauration « d’un plan complet de Sécurité Sociale visant à assurer à tous les citoyens les moyens d’existence, dans tous les cas où ils sont incapables de se les procurer par le travail, avec gestion appartenant aux représentants des intéressés et de l’Etat ». Il indiquait également qu’ « une retraite permettant aux vieux travailleurs de finir dignement leurs jours » devait être instituée. Ces engagements ont été repris dans le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, préambule qui est également celui de l’actuelle constitution.

Ce préambule souligne, ainsi, que la nation « garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs. Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l’incapacité de travailler a le droit d’obtenir de la collectivité les moyens convenables d’existence ».

Le système de Sécurité sociale, mis en oeuvre à la Libération, s’inspire des modèles anglais et allemands. Le caractère centralisé qui se caractérise par la création de caisse nationale (Caisse nationale d’assurance vieillesse, caisse nationale d’assurance maladie caisse nationale des allocations familiales) se rapproche du modèle très centralisé anglais. En donnant aux partenaires sociaux, le pouvoir de direction et de gestion des différentes caisses de Sécurité Sociale, tant au niveau local qu’au niveau national, le législateur s’est inspiré du modèle allemand et de son système de cogestion. La Sécurité Sociale à la française repose sur l’assurance professionnelle. Ce sont des cotisations assises exclusivement sur les salaires qui financent les prestations. La création de la CSG, en 1991, dont l’assiette englobe la quasi-totalité des revenus a diversifié les sources de financement. Pour bénéficier d’une couverture sociale, il fallait être au préalable un actif ayant un emploi. La notion d’assurance prime sur celle de solidarité. Le fait d’acquitter des cotisations donne droit à être couvert pour la maladie, les accidents du travail et la retraite. Les prestations familiales, tout en étant financées par des cotisations, sont versés non pas au nom du principe d’assurance, mais au nom du principe de solidarité. Toute famille ayant des enfants peut les percevoir quel que soit le statut professionnel des parents. Le financement des allocations familiales par l’impôt a été, à maintes reprises, avancé au nom de la cohérence et afin de rééquilibrer les comptes sociaux.

Face aux revendications et aux exigences sociales, la solidarité s’est infiltrée de plus en plus fort dans la logique assurantielle. La meilleure preuve en est fournie avec la retraite. Dès la Libération, il a fallu traiter le problème des anciens salariés qui n’avaient pas avant guerre cotisé. Le bénéfice de l’assurance maladie a été accordé à un nombre croissant de personnes. Il faut noter que du fait du basculement de la quasi-totalité des cotisations maladie, salariés sur la CSG qui peut être assimilé à un impôt, le lien professionnel qui avait inspiré les fondateurs de la Sécurité Sociale s’estompe. L’instauration d’une assurance maladie universel tel qu’elle est prévue dans la loi sur l’exclusion présentée au printemps 1998 confirme cette tendance.

La France, à la différence de la quasi-totalité de ses partenaires, a fait le choix exclusif de la retraite par répartition. Ce choix n’était pas, loin de là, irrationnel, en 1945. Le nombre de retraités était faible, la crise des années trente avait provoqué la faillite d’un grand nombre de rentiers. La logique voulait donc que des cotisations assises sur les salaires servent à payer directement les pensions des retraités. Le choix du tout répartition reposait également sur une analyse keynésienne voire marxiste de l’économie. Le salariat et la grande entreprise devaient devenir la règle d’organisation de la société au détriment du travailleur indépendant et des petites structures. La victoire des Etats-Unis et de l’Union soviétique n’était-elle pas la victoire de la firme multinationale et du combinat. Les nationalisations, la planification, l’interventionnisme de l’Etat, les concentrations obéissaient à cette conception. Dans les années 50/60, le contrat à durée indéterminée est devenu le statut de droit commun. En 1975, 80 % de la population active était régie par un contrat à durée indéterminée. Une vision simple s’imposait alors : un emploi salarié à vie pour chacun au sein d’une grande entreprise.

Si le principe de base, en 1945, était l’instauration d’un régime de retraite universel applicable à tous les salariés, fondé sur la répartition, il faut souligner que ce principe n’a pas été, dès le départ respecté.

La loi du 22 mai 1946 pose le principe de l’assujettissement obligatoire et clôt, du moins sur le plan législatif, le débat du caractère facultatif ou non de la couverture retraite. La loi du 13 septembre 1946 ordonne que toute la population soit affiliée à l’assurance vieillesse à compter du 1er janvier 1947. Cette obligation ne sera, dans les faits, respectée que dans les années soixante. L’universalité de l’assurance vieillesse est impossible à imposer du fait de l’existence des régimes spéciaux qui sont pérennisées par le décret du 8 juin 1946.

Par ailleurs, les non salariés ont, refusé de rentrer dans le régime général. Ils ne voulaient pas que leurs cotisations alimentent les caisses salariés et ils craignaient, par-dessus tout, une augmentation de leurs charges. Pour tenir compte de leur refus, il est créé en 1945 le régime des industriels et commerçants géré par l’Organisation autonome national de l’industrie et du commerce (ORGANIC). Les artisans bénéficie également d’un régime spécifique géré par la Caisse autonome de compensation de l’assurance vieillesse artisanale (CANCAVA) qui est instaurée en 1947. Les professions libérales ont également, depuis le mois de janvier 1948, leur régime avec la Caisse nationale d’assurance vieillesse des professions libérales (CNAVPL). Par ailleurs, les exploitants agricoles disposent d’un régime autonome.

La faiblesse, dès le départ, des pensions versées par le régime général de l’assurance vieillesse a facilité le développement des régimes complémentaires. L’article 18 de l’ordonnance du 4 octobre 1945 permet, à ce titre, aux institutions de prévoyance de se maintenir ou d’être créées pour accorder des avantages s’ajoutant à ceux de la Sécurité Sociale.

Il a été décidé d’instituer des régimes complémentaires conventionnels, d’abord pour les cadres en 1947 (AGIRC), puis pour les non cadres (ARCCO). L’affiliation à un régime complémentaire a été rendue obligatoire par la loi du 3 juillet 1972.

Dans les années soixante-dix, de nombreuses dispositions ont été prises pour améliorer le régime des retraites en France. En 1971, la loi Boulin a contribué à améliorer les retraites du régime général. La retraite à taux plein était, avec cette loi, accordée à 65 ans après 37,5 années de cotisations. Elle était fixée à 50 % du salaire moyen, au lieu de 40 % du salaire après 30 ans de cotisations.

La loi du 3 juillet 1972 a réformé le régime de retraite des commerçants, artisans et industriels dont les pensions sont maintenant assimilées à celles du régime général.

De 1973 à 1977, de nombreux groupes sociaux ont pu bénéficier de retraite à taux plein dans les conditions du régime général. (Anciens combattants, travailleurs manuels,…). Dans l’action des pouvoirs publics de cette époque, il y a un fil directeur : harmoniser le système complexe des retraites en France. Ainsi, l’article 1er de la loi du 24 décembre 1974 mentionne qu’ « un système de Sécurité Sociale commun à tous les Français sera institué au plus tard le 1er janvier 1978 dans les trois branches, assurance maladie,-maternité, vieillesse et prestations familiales ». Cette volonté d’universalisation n’est pas accompagnée d’une refonte du mode de financement et de la remise en cause des régimes spéciaux.

Les années soixante-dix ont donc été marquées par la généralisation du droit à la retraite, mais aussi par l’amélioration du minimum vieillesse et des droits à réversion. Dès la création de l’assurance vieillesse, s’est posée la question du traitement des vieux travailleurs qui n’avaient pas cotisé. L’ordonnance du 30 décembre 1944 prévoit l’instauration d’une contribution de 4 % acquittée par les employeurs pour alimenter le fonds de retraite des vieux. Ce fonds verse des allocations égales à 20 % du salaire moyen des 20 dernières années à l’âge de 60 ans et de 40 % à 65 ans aux salariés ayant cotisé au moins pendant cinq ans. Cette allocation s’ajoute à celle destinée aux vieux travailleurs salariés. Par ailleurs, il est créé une allocation aux vieux au profit de toute personne de plus de 65 ans, privée de ressources et ne bénéficiant d’aucune retraite. La loi du 10 juillet 1952 introduit également une allocation spéciale destinée aux vieux travailleurs arrivant à l’âge de la retraite sans avoir acquis des droits suffisants.

L’allocation supplémentaire est accordée à toutes personnes qui bénéficient à titre personnel ou au titre du conjoint survivant d’un avantage vieillesse en provenance d’un régime salarié ou non, de l’allocation aux vieux travailleurs salariés et de l’allocation spéciale. Cette allocation vise à amener le montant des revenus des personnes concernées à un niveau fixé par décret, appelé minimum vieillesse. C’est le montant des pensions et des allocations minimales auxquelles peuvent prétendre les retraités. Le minimum vieillesse s’élevait à 40 % du SMIC en 1963, à 46 % et à 61 % respectivement en 1974 et 1980. Le septennat de Valéry Giscard d’Estaing a permis d’améliorer, de manière substantielle, la situation des retraités au nom d’une meilleure redistribution des fruits de la croissance. Ainsi, si le SMIC progresse de 138 % de 1974 à 1980, le minimum vieillesse augmente de son côté, de 180 %. Cette réévaluation n’est pas que purement monétaire. Le pouvoir d’achat des bénéficiaires du minimum vieillesse s’accroît de 52 %, contre 24 % pour les salariés payés au SMIC durant le septennat giscardien. C’est l’âge d’or des retraités, des pensions qui s’améliorent, une couverture de plus en plus large et une reconnaissance par la société de plus en plus forte.

Cette amélioration de la situation des retraités se traduit par la diminution sensible du nombre de personnes bénéficiant du minimum vieillesse qui passe de 2,5 à 1 millions de 1956 à 1995. Cette diminution sensible s’explique par l’arrivée à l’âge de la retraite de personnes ayant cotisées, durant la totalité de leur activité professionnelle à des régimes de retraite et bénéficiant, de ce fait, de retraites à taux plein.

Avec les années quatre-vingt, la volonté réformatrice s’estompe. Malgré le processus de dénatalité qui s’est amorcé depuis 1965, malgré la crise qui s’installe en profondeur dans notre société, aucune réforme de notre système de retraite n’est engagée. En 1982, afin de respecter une promesse faite durant la campagne présidentielle de l’année précédente par François Mitterrand, l’âge de la retraite est abaissé à 60 ans. Alors que le régime général d’assurance-vieillesse commence à être confronté à un déficit qui de conjoncturel devient structurel, les gouvernements comme les partenaires sociaux parient sur l’augmentation des dépenses publiques pour relancer l’économie. C’est la lutte contre le chômage qui devient la priorité. La préretraite à 55 ans voire à 50 ans qui avait été utilisée dans les années soixante-dix pour traiter la crise de la sidérurgie, se généralise. La France se démarque de ses partenaires en ayant le plus faible taux d’activité des 55/65 ans. Le développement massif des préretraites a permis de régler des problèmes d’emploi sur le court terme mais certainement pas sur le long terme. Il est frappant de constater que ce sont les pays qui ont eu le moins recours à la préretraite qui ont aujourd’hui les meilleurs taux de chômage. La préretraite a fait croire à des millions de Français que l’on pouvait à la fois libérer des emplois et offrir du temps libre. Son coût pour la collectivité et donc pour les contribuables a été élevé.

Du fait de la création tardive et de la juxtaposition des réformes, les systèmes de retraite, en France, constituent donc une mosaïque complexe. Plus de 100 régimes de base coexistent ainsi que 600 régimes complémentaires.

Cette mosaïque est aujourd’hui confrontée au vieillissement de la population, à la mutation économique et aux déséquilibres de certains régimes.

Face aux défis démographiques et face aux défis économiques, une seule grande réforme a été engagée en France grâce à l’action volontaire de Simone Veil, en 1993.

La loi courageuse du 23 juillet 1993, complétée par plusieurs décrets, a permis, en effet, de dégager les moyens de financement afin d’assurer le paiement des pensions jusqu’en 2010 sans de trop gros problèmes. L’objectif de cette réforme, élaborée en période de cohabitation, n’était pas de traiter les problèmes à moyen et long terme du système de retraite français. Il fallait avant tout mettre un terme à la spirale des déficits dans laquelle plongeait l’assurance vieillesse. Force est de constater que cette réforme a atteint son but ; la dérive des déficits a été arrêtée.

Premier point de cette réforme, pendant cinq ans (1993/1998), les pensions du régime d’assurance vieillesse sont indexées sur l’indice des prix hors tabac au lieu d’être indexées sur le salaire moyen.

Deuxièmement, d’ici 2003, la durée de cotisation pour bénéficier d’une retraite à taux plein passera progressivement de 150 à 160 trimestres, c’est à dire de 37,5 à 40 ans. La période de cotisation est augmentée d’un trimestre par an. Cette mesure aboutira à allonger la période d’activité et à reculer, de manière implicite, l’âge de départ à la retraite, d’autant plus que l’âge d’entrée dans la vie active du fait de la poursuite d’études plus longues, recule. En commençant à travailler vers 25 ans, les actifs devront, à compter de 2003, cotiser jusqu’à 65 ans pour bénéficier d’une retraite à taux plein. Si la pratique actuelle de mettre à la retraite de plus de 60 ans se poursuit, le montant des pensions diminuera.

Troisièmement, le processus de diminution des pensions est engagé avec le fait que d’ici 2008, les pensions seront calculées sur la base non plus des dix meilleurs années mais sur la base des vingt-cinq meilleures années. A compter de 1993, la base de calcul est augmentée d’un an chaque année.

La loi du 23 juillet 1993 a créé le Fonds de solidarité vieillesse qui prend en charge les dépenses de retraite relevant de la solidarité et non de l’assurance. Trois types de dépenses ont été ainsi transférés : le minimum vieillesse, les majorations pour charges de familles et la validation des périodes non cotisées. Ce fonds est alimenté par 1,3 point de CSG et par les droits sur les alcools. Ce transfert de l’assurance vers la solidarité est la première mesure, depuis la seconde guerre mondiale, de clarification en matière de financement de notre système de retraite.

La réforme de Simone Veil a permis un rééquilibrage des comptes de l’assurance vieillesse. Le déficit de 40 milliards de francs en 1993 a été ramené à 8 milliards de francs en 1997.

Par ailleurs, si cette réforme rapportera à l’assurance vieillesse 80 milliards de francs, elle couvrira au mieux que 70 % des besoins de financement en 2010 et à condition de ne pas revaloriser les retraites.

La réforme de Simone Veil ne s’applique pas aux régimes spéciaux. L’importance des déséquilibres démographiques et financiers de ces régimes, l’inégalité qu’ils génèrent entre les retraités, avaient conduit le Premier Ministre, Alain Juppé, dans le cadre de son plan sur la Sécurité Sociale présenté à l’Assemblée Nationale au mois de novembre 1995, à proposer un rapprochement entre ces régimes et le régime général. Du fait des mouvements sociaux du mois de décembre 1995, cet objectif a été abandonné.

Les régimes complémentaires sont bien évidemment concernés par les bouleversements démographiques. Les partenaires sociaux ont signé des accords pour l’ ARRCO et l’AGIRC, en avril 1996, accords qui provoqueront pour les futurs retraités une baisse de 20 % du montant des pensions versées par ces organismes d’ici 2001. Pour 100 francs de cotisations, l’adhérent recevra une rente annuelle de 7,20 francs contre 8,74 francs à l’heure actuelle pour l’ARRCO et 9,20 francs pour l’ARGIRC.

Il a été, par ailleurs prévu que la valeur du point ne pourra pas augmenter plus vite que les prix. Le taux de cotisation pour l’AGIRC passera à 16 % avant 1999 au lieu de 2003 et le taux ARRCO sur la tranche B passera à 16 % en l’an 2000 au lieu de 2005. Cette réforme est insuffisante pour équilibrer le régime des cadres qui du fait du départ à la retraite d’un nombre croissant de cotisants est confronté à une crise sérieuse.

Enfin, un accord a été conclu entre les partenaires sociaux et l’Etat au mois de décembre 1996 pour le financement des retraites complémentaires entre 60 et 65 ans. La prise en charge du surcoût de l’abaissement de la retraite à 60 ans estimé à 36 milliards de francs est assurée par l’ASF, association pour la gestion de la structure financière qui reçoit à hauteur d’un tiers le financement de l’Etat, 1,6 milliard de francs jusqu’à maintenant et de l’UNEDIC, l’équivalent de deux points de cotisation. Grâce à l’ASF, les retraites complémentaires à taux plein ont pu être versées depuis 1983. Dans l’accord du mois de décembre, l’Etat a décidé de réduire à 700 millions de francs sa contribution. Néanmoins, l’ASF continuera à financer les retraites complémentaires comme auparavant mais un étalement de la dette de cet organisme qui s’élève à 10 milliards de francs a été prévu.

Nous devons retenir les leçons de l’histoire mouvementée de la retraite en France. De nombreuses générations ont été victimes de l’absence de volonté et de clairvoyance des pouvoirs publics au sens large du terme. Il convient de ne pas rééditer les erreurs du passé. Nous avons, du fait d’une peur d’affronter les réalités et certainement à cause de la rapidité des alternances au niveau du gouvernement, pris beaucoup de retard. L’absence de consensus et notre incapacité à élaborer des réformes à travers la concertation expliquent notre retard. Plus de trois cents ans après l’instauration du premier régime de retraite pour les mariniers, la France est à nouveau entrée dans un cycle d’hésitations pour traiter le défi du vieillissement. De nombreuses études ont été réalisées. Des solutions ont été avancées. Mais, le débat est escamoté. Au lieu d’analyser les problèmes du vieillissement de manière consensuelle, c’est l’opposition classique et obsolète, capitalisation contre répartition qui est mis en avant, c’est la revendication complètement irrationnel de la retraite à 55 ans qui est lancée sans réflexion dans l’opinion publique. Il faut surtout ne pas être emprisonné dans les schémas du passé et répéter jusqu’à l’usure des clichés vieux de plus d’un siècle.

La retraite mérite mieux. C’et parce que de plus en plus de Français atteignent l’âge de la retraite et qu’un grand nombre en profite de plus en plus longtemps que nous avons un devoir d’aborder au-delà des passions idéologiques, ce sujet.

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