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Un anniversaire sur fond de crise sanitaire

Prévoyance 15 octobre 2020

La Sécurité sociale fête ses 75 ans en France. Elle a été créée par les ordonnances des 4 et 19 octobre 1945. En trois quarts de siècle, le système a fortement évolué en devenant, au fil des décennies, de moins en moins lié à l’emploi et de plus en plus universel.

La protection sociale a commencé à être structurée sous le régime de Vichy. Comme celui-ci fut considéré comme « nul et non avenu » et comme l’objectif était d’associer les syndicats qui avaient œuvré à la libération de la France, les pouvoirs publics ont dessiné un nouveau cadre. Celui-ci reposait notamment sur le préambule de la IVe République qui dans son 10e alinéa précisait que « la Nation assure à l’individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement ». Le 11e aliéna est encore plus précis « la Nation garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs. Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l’incapacité de travailler a le droit d’obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence ».

Pierre Laroque, un des pères de la protection sociale française, avait, avant même la fin de la Guerre, défini avec justesse les missions de la Sécurité Sociale à l’occasion d’un discours prononcé le 23 mars 1945 à l’École nationale d’organisation économique et sociale. Il avait également souligné que « La Sécurité sociale est la garantie donnée à chacun qu’il disposera en toutes circonstances d’un revenu suffisant pour assurer à lui-même et à sa famille une existence décente, ou à tout le moins un minimum vital […] Si donc cette garantie, pour être vraiment complète, doit viser toutes les familles, il n’en est pas moins vrai que la sécurité sociale est avant tout la sécurité des travailleurs, des familles, qui tirent leurs revenus du travail d’un ou de plusieurs de leurs membres ».

La Sécurité sociale est créée sur une base professionnelle. Elle est de nature assurantielle avec des cotisations salariales et patronales. La philosophie retenue est celle qui avait prévalu en Allemagne en 1879 sous Bismarck. La Sécurité sociale, qui couvre les risques maladie, accident du travail, retraite et famille a connu depuis sa création trois grandes périodes :

  • 1945/1967 : une gouvernance élue par les assurés ;
  • 1967/1996 : un paritarisme assumé sur fond d’interventionnisme de plus en plus appuyé de l’État ;
  • À partir de 1996 : une étatisation croissante avec la création des lois de financement de la Sécurité sociale qui avaient été précédées de celle de la CSG, une contribution de nature fiscale.

La construction d’inspiration bismarckienne n’a pas empêché l’État d’être très tôt un acteur majeur de la protection sociale en jouant plus ou moins directement sur le contenu des prestations et sur le montant des cotisations. Dans les faits, l’État assure la tutelle des régimes sociaux grâce à l’appui de la direction générale de la Sécurité sociale qui est alors rattachée au ministère du Travail et de ses déclinaisons régionales. Au niveau financier, le ministère des finances exerce dès le début de l’aventure un contrôle. Pour Bruno Pallier, « dès les premières années de fonctionnement, le mode d’organisation de la Sécurité sociale se traduit peu à peu par un tripartisme de fait ». Avec le dérapage des dépenses à la fin des années 60, l’État renforce sa présence dans la gestion de la protection sociale. Par ordonnances, en 1967, le gouvernement de Georges Pompidou décide de remplacer la caisse nationale de sécurité sociale, par la caisse nationale d’assurance-maladie des travailleurs salariés (CNAMTS), gérant également les accidents du travail, la caisse nationale d’assurance vieillesse des travailleurs salariés (CNAVTS) et la caisse nationale des allocations familiales (CNAF) en vue de séparer les risques et d’éviter des compensations jugées contraires à la responsabilisation des partenaires sociaux. Cette transformation s’accompagne de la fin des élections des représentants des caisses au profit de leur désignation par les organisations représentatives. La répartition paritaire est alors immédiatement décriée par les syndicats qui y voient un renforcement inopportun du rôle du patronat. Les ordonnances de 1967 donnent une expression juridique aux branches de la Sécurité sociale.

Avec la succession des crises à compter de 1973, l’État est de plus en plus présent dans la gestion de la protection sociale même si, avec l’arrivée de François Mitterrand à la présidence de la République, l’élection des représentants des caisses de Sécurité sociale est réactivée. Les élections du 19 octobre 1983 sont marquées par une forte abstention et par la dispersion des forces syndicales. L’abandon des élections aboutit à la restauration du paritarisme en 1994. Auparavant, en raison de l’accumulation des déficits de la Sécurité sociale et pour ne pas peser sur le coût du travail, Michel Rocard crée la contribution sociale généralisée (CSG) en 1991. La CSG vise initialement à financer la branche famille avec un taux fixé à 1,1 %. En 30 ans, cette contribution a été augmentée à sept reprises pour atteindre 9,2 % des revenus d’activité. En plus des prestations famille, elle finance désormais l’assurance maladie, la retraite et le chômage. Compte tenu du projet de loi déposé au mois de juin 2020, elle devrait financer à terme la dépendance. Par sa nature fiscale, ayant une assiette très large, la CSG a déconnecté en partie la protection sociale de sa base professionnelle.

Avec la réforme d’Alain Juppé de 1995, la gouvernance de la Sécurité sociale a profondément évolué. Le paritarisme se double d’un contrôle parlementaire qui discute et vote les projets de loi de financement de la Sécurité sociale. L’État fixe directement le cadre financier général dans lequel s’inscrit la gestion des caisses en ayant la charge de l’élaboration de projets de loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) et en concluant des conventions d’objectifs et de gestion avec les caisses nationales de la Sécurité sociale. La création de la contribution de remboursement de la dette sociale (CRDS) en 1996 conforte le processus d’étatisation et de changement de nature de la protection sociale. Les déficits de la Sécurité sociale sont transférés à la Caisse d’amortissement de la dette sociale (CADES) qui est financée par des prélèvements de nature fiscale dont la CRDS. Le contribuable est ainsi appelé à financer indirectement des dépenses relevant des branches. Le changement de nature de la protection sociale concerne également les dépenses. Le lien avec le statut professionnel se délite avec une forte demande d’universalisation des couvertures sociales. L’instauration de la CMU puis de la CMUC, remplacée depuis 2018 par la protection universelle maladie (Puma), transforme en profondeur le modèle français d’assurance maladie. La mise en place de la complémentaire obligatoire pour les salariés et des zéros à charge y contribuent également. Ce ne sont plus les négociations entre les partenaires sociaux qui aboutissent à la création de nouveaux droits, ce sont les programmes des candidats à l’élection présidentielle. L’instauration du quinquennat et la personnalisation du pouvoir ont favorisé l’hégémonisme de l’exécutif en ce qui concerne l’initiative sur le terrain social. Certes, certains engagements présidentiels résultent de propositions pouvant émaner d’une organisation syndicale comme ce fut le cas pour le compte de pénibilité ou pour le projet de régime universel de retraite. Néanmoins, ces projets sont portés par le pouvoir politique sans être le fruit d’une négociation entre partenaires sociaux.

Le poids croissant des dépenses sociales, en France, plus du tiers du PIB, a conduit l’exécutif à être de plus en plus présent. Les prestations tout comme les cotisations sont devenues des outils de la gestion publique. Cette prise de contrôle est intervenue au moment où son pouvoir sur l’économie a faibli en raison de la montée en puissance de l’Union européenne et de la mondialisation.

À défaut d’orienter l’économie, les gouvernements ont privilégié le terrain social. Cet interventionnisme a l’avantage de pouvoir peser directement sur le niveau de vie des citoyens et donc des électeurs. Par ailleurs, les gouvernements confrontés au chômage de masse ont, depuis les années 80, mené des politiques de baisses ciblées des cotisations sociales afin de favoriser la création d’emplois. Cette immixtion dans la gestion de la Sécurité Sociale s’est accrue avec l’instauration des 35 heures entre 1999 et 2001 qui donna lieu à d’importantes exonérations afin de compenser une partie du surcoût pour les entreprises. Face à cette intrusion dans les comptes, la loi Veil du 25 juillet 1994 avait prévu que les exonérations de cotisations décidées par l’État soient intégralement compensées. Cependant, le gouvernement d’Édouard Philippe, en 2019, avec le retour attendu des excédents de la Sécurité sociale avait envisagé de mettre un terme à ce principe. Si le paritarisme a été contesté, il n’a pas disparu pour autant disparu du champ du social. Une de ses expressions majeures a concerné la retraite complémentaire. Celle-ci est née de l’insatisfaction des cadres et des ingénieurs dont les retraites prévues par le nouveau régime général étaient bien moins intéressantes que celles dont ils pouvaient disposer dans le cadre des régimes privés qui avaient été mis en place dans l’entre-deux-guerres. En 1945, 200 000 ingénieurs et cadres étaient couverts. Le 14 mars 1947, l’Association générale des institutions de retraites des cadres (Agirc) voit le jour par signature de conventions collectives donnant alors accès à une retraite complémentaire à ces salariés. Ce processus concerne également les non-cadres qui avaient accès à près de 600 dispositifs de couverture retraite et prévoyance. En 1957, par des accords de branches et d’entreprises sous l’égide de l’Union nationale des institutions de retraites des salariés (Unirs), un processus de fusion est engagé. Il se matérialise, en 1961 par la création de l’Association des régimes de retraites complémentaires (Arrco). La loi du 29 décembre 1972 a ensuite généralisé la retraite complémentaire à l’ensemble des salariés et anciens salariés affiliés à titre obligatoire au régime général de Sécurité sociale. La gestion de l’Agirc et de l’Arrco est pleinement assumée par les partenaires sociaux qui adaptent régulièrement les paramètres de ces régimes par répartition (valeur du point, âge de départ, montant des cotisations), et fixent les grandes orientations pour assurer l’équilibre financier des régimes (cf. accords de 1993, 1994, 1996, 2001, 2003, 2011, 2013, 2015…). Avec l’assurance-chômage jusqu’à la réforme de 2019, la retraite complémentaire a été le principal champ du paritarisme en France.

Si l’assurance maladie a été la première branche à être sous les feux de l’étatisation avec la fixation d’un objectif de dépenses (ONDAM), la retraite et le chômage n’échappent pas à la mainmise de l’exécutif. L’instauration de la CSG, contribution sociale mais déconnectée en partie du travail, a joué un rôle important dans l’évolution du système. La complexification des liens entre le budget de l’État et les budgets sociaux a également facilité la mainmise de Bercy. Les divisions des partenaires sociaux ont également permis à l’État d’être tout à la fois l’arbitre, le décideur et le gestionnaire. La forte demande de l’opinion pour une couverture générale indépendante du travail a servi de fondement à la tentation hégémonique de l’administration. 75 ans après sa création, la Sécurité sociale a répondu aux attentes de ses créateurs tout en étant en crise depuis au moins quarante ans. Les crises économiques ces dernières décennies ont mis sous tension le système social qui par ailleurs est à la recherche d’une nouvelle légitimité. Les réformes mises en œuvre depuis plusieurs dizaines d’années sont souvent perçues comme des reculs et non comme des adaptations à l’évolution de l’économie. Le système est à la peine face à l’évolution de l’emploi avec la montée en puissance de la micro-entreprise, des CDD ou du travail à temps partiel. La question de l’allongement de la durée de la vie est également difficilement appréhendée comme le soulignent les difficultés nées de la mise en place du compte de pénibilité.

A lire dans le Mensuel n°78 d’octobre 2020 

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