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Régime universel de retraite, la réforme suspendue

Retraite 7 avril 2020


La discussion parlementaire de la réforme des retraites visant à instituer un régime universel par points a été suspendue par le Président de la République le 16 mars 2020, en raison de l’épidémie de coronavirus et au nom de l’unité nationale. Cette réforme, depuis ses débuts, affronte de nombreux vents contraires, des « gilets jaunes » à la crise sanitaire en passant par la question de l’âge pivot, la démission forcée du Ministre qui en avait la charge, par les interminables grèves des transports publics et par le recours contraint à l’article 49-3 de la Constitution pour son adoption en première lecture à l’Assemblée nationale. Depuis plus de deux ans, la réforme des retraites a été une source de polémiques, de tensions sociales et de tergiversations.

Une sourde inquiétude en matière de pouvoir d’achat

Avant la crise du coronavirus, les Français étaient très inquiets sur l’évolution de leur niveau de vie à la retraite. 72 % des Français estimaient, selon l’enquête 2020 le Cercle de l’Épargne/Amphitéa (sondage réalisé par l’IFOP et le CECOP), que leurs pensions sont ou seront insuffisantes pour vivre correctement à la retraite. Cette proportion est en hausse par rapport à 2019 (+3 points). Si l’année dernière, 50 % étaient préoccupés par le niveau de leurs pensions, en 2020, cette proportion atteint 63 %. Ce taux s’élève même à 71 % pour les femmes retraitées. Preuve que la réforme était très anxiogène, 77 % des personnes qui étaient concernées par le changement de règles estimaient qu’elles auraient du mal à vivre correctement avec leurs pensions.

39 % des Français interrogés craignaient que la réforme n’amputât leur niveau de vie à la retraite. Ce taux est de 52 % chez les plus de 45 ans qui n’étaient pas touchés par la réforme du mode de calcul des pensions.

Du beau slogan à l’âge d’équilibre, un chemin tortueux

La réforme est née d’un slogan qui avait fait mouche lors de la campagne présidentielle, « un euro cotisé donne les mêmes droits pour tous » couplé à l’idée que l’âge légal de départ à la retraite ne serait pas rehaussé. Elle répondait à la soif d’équité au sein de la population. Durant la première phase de concertation, le Gouvernement avait réussi à maintenir le cap. La situation s’est compliquée, en 2019, avec le retour sur le devant de la scène de la question des déficits des régimes de retraite ainsi que de celle de l’âge de départ. Ces deux sujets ont pris de l’ampleur avec la publication, en juin, du rapport annuel du Conseil d’Orientation des Retraites et du rapport de Jean-Paul Delevoye au mois de juillet. Le lien entre la situation financière, l’âge de départ à la retraite et le changement des règles de calcul des retraites avait été intégré par les Français dès le début de l’année 2019 comme le soulignait l’enquête du Cercle de l’Epargne/Amphitéa. Les tergiversations de l’exécutif sur ces sujets amenèrent à un revirement d’une partie de la population. Le Gouvernement tenta de nier le problème financier en demandant au Conseil d’Orientation des Retraite de refaire ses calculs. Dans ses conclusions remises au mois de novembre de 2019, ce dernier confirme un déficit possible de 17 milliards d’euros en 2025. Le Premier Ministre indiqua alors que le basculement de l’ancien système dans le nouveau ne pourrait intervenir que si les comptes étaient à l’équilibre. À cette fin, la préférence alla à l’instauration d’un âge pivot à 64 ans avec introduction d’un dispositif de malus et de bonus en fonction de l’âge effectif à la retraite. L’opposition des syndicats fut rapide et totale amenant à la mise en place d’une Conférence de financement qui devait initialement remettre ses propositions à la fin du mois d’avril. Cette conférence était censée trouver 17 milliards d’euros sans pour autant augmenter les cotisations, réduire les pensions et toucher à l’âge légal. Cette quadrature du Cercle ne sera peut-être pas résolue au regard des besoins urgents auxquels l’économie française sera confrontée dans les prochaines semaines. Avant la diffusion du virus, les partenaires sociaux étaient plutôt enclins à allonger la durée de cotisation et le cas échéant accroître certaines contributions (cotisations de solidarité sur les hauts revenus).

La question du recul de l’âge serait pour les Français le premier objectif de l’exécutif. 37 % pensent qu’Emmanuel Macron et le Gouvernement visent à retarder l’âge effectif de départ à la retraite à travers la réforme des retraites. 34 % placent la recherche de l’équité en tête des objectifs et 29 %, la diminution des pensions.

Selon l’enquête du Cercle de l’Épargne/Amphitéa de 2020, 54 % des sondés étaient opposés à la mise en place d’un âge d’équilibre. Ce sont les représentants des professions intermédiaires, des employés et des ouvriers qui y étaient les plus défavorables (respectivement 60, 66 et 62 %). En revanche, 74 % des commerçants et des artisans y étaient favorables, tout comme 58 % des professions libérales et des cadres supérieurs. Cette différence d’appréciation selon les catégories socioprofessionnelles est liée aux écarts d’âge de départ à la retraite. Les professions libérales ou les cadres supérieures partent à la retraite plus tard que les ouvriers et fréquemment au-delà de 64 ans. Parmi les Français qui étaient directement concernés par la réforme, 57 % étaient opposés à l’instauration d’un âge d’équilibre à 64 ans.

Tout en étant opposée au recul de l’âge de départ à la retraite, une majorité de Français estimait que son recul inévitable. Ainsi, 51 % pensaient, selon l’enquête 2020 du Cercle de l’Epargne/Amphitéa, partir après 65 ans. Seuls 21 % pensaient pouvoir partir à 62 ans.

Ce débat sur l’âge d’équilibre ne saurait masquer le fait que pour avoir un niveau de vie plus élevé, une majorité de Français était prête à travailler deux ans de plus (55 %). Ce taux atteint 65 % pour les personnes de moins de 45 ans se déclarant touchées par la réforme.

Du régime unique au régime pluriel

De la concertation initiale aux négociations, le Gouvernement a été obligé d’atténuer le caractère universel du futur régime en acceptant bon gré mal gré le maintien des anciens régimes, en acceptant soit des spécificités soit de longues phases transitoires. Les marins, les policiers, les danseurs de l’Opéra, les salariés de la Banque de France, les professeurs, les avocats, etc. ont ainsi obtenu des aménagements. Les règles des départs anticipés ont été sacralisées à plusieurs professions. À mesure des négociations, le régime universel est devenu pluriel, voire polyphonique. La multiplication des concessions entraînait un coût croissant sur lequel le Gouvernement ne souhaitait guère communiquer.

Un report d’entrée en vigueur, sur fond de « clause du grand-père »

Tous les pays qui ont mené des réformes structurelles ont prévu des périodes de transition allant de quelques années à quelques décennies. Ce fut le cas de la Suède, de l’Allemagne ou de l’Italie. Dans ce dernier pays, initialement, seuls ceux qui entraient sur le marché du travail postérieurement à l’adoption de la réforme, étaient concernés. Compte tenu de la dégradation de la situation des finances publiques, les pouvoirs publics ont accéléré la phase de transition avec un calcul en deux parties des pensions (anciennes et nouvelles règles). Le Gouvernement d’Édouard Philippe s’est inspiré de l’Italie. Lors de la présentation du rapport de Jean-Paul Delevoye, il était prévu que seules les générations nées à partir de 1963 seraient concernées. Dans le projet de loi, l’année 1963 céda la place à l’année 1975. Pour les actifs nés après le 1er janvier 1975 et entrés ou qui entreront sur le marché du travail avant le 1er janvier 2022, le système de retraite devrait être mixte avec la cohabitation des anciennes et des nouvelles règles. Certaines professions ont obtenu que le montant de la pension issu de la période de cotisation dans l’ancien système soit calculé en fonction des salaires des six derniers mois d’activité (clause italienne amendée).

Le débat des gagnants et des perdants n’était pas terminé

Le débat sur les gagnants et les perdants de la réforme a rapidement pris de l’importance sans pour autant trouver de réponses. Avec un changement du mode de calcul et avec une longue période de transition, l’évaluation des pertes et les gains est très difficile compte tenu du nombre de paramètres à retenir. Aucun simulateur crédible n’a été mis en ligne. Parmi les perdants potentiels figurent les fonctionnaires bénéficiant d’un faible montant de primes. Le montant du point a été calculé sur la base d’un traitement majoré d’au moins 20 % de primes. Cela concerne en premier lieu le personnel enseignant. Le Gouvernement a ainsi décidé d’engager un processus de revalorisation des traitements des professeurs et du personnel chercheur. Avant la suspension de la réforme, le débat des gagnants et des perdants était sans fin. Pour certains, les femmes étaient avantagées avec le nouveau système quand d’autres affirmaient l’inverse. Il en était de même avec les majorations pour les enfants, la réversion, le temps partiel, etc. Le plafonnement des cotisations créatrices de droits à trois fois le plafond de la Sécurité sociale était tout à la fois perçu comme une mesure allant à l’encontre des intérêts des cadres supérieurs et comme une incitation à l’épargne-retraite. Le rôle supposé du gestionnaire d’actifs, BlackRock dans la réforme des retraites a soulevé à nouveau la question des intentions masquées du Gouvernement.

Si dès le début de l’année 2019, les Français ont estimé que le Gouvernement, sous couvert d’équité avait un objectif financier, ce sentiment s’est renforcé au fil des jours. Ils ont intégré que l’exécutif cherchait les moyens d’imposer un report de l’âge de départ à la retraite. L’opposition sur cette mesure est moins tranchée qu’il n’y paraît. Selon les derniers résultats de l’enquête 2020 du Cercle de l’Epargne/Amphitéa, 46 % des sondés sont favorables à l’instauration d’un âge d’équilibre.

En décidant le 16 mars dernier, la suspension de la réforme des retraites Emmanuel Macron a souhaité aplanir les relations avec les syndicats dans un contexte économique et social sans précédent. La situation après la crise sera totalement différente avec une envolée des déficits et de la dette. Le retour à la normale pourrait prendre de nombreux mois. Une reprise de la discussion parlementaire d’ici la fin de l’année apparaît bien incertaine. La nécessité de parer au plus pressé devrait conduire à un ajournement durable de la réforme. Compte tenu du calendrier électoral, la fenêtre de tir pour son éventuelle adoption avant la prochaine élection présidentielle s’amenuise.


A lire dans le Mensuel N°72 d’avril 2020

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